L'Étudiant Libre

Entretien exclusif avec Pierre Meurin : « Il existe un trou de souris pour Marine Le Pen quand c’est porte close pour Éric Zemmour. »

Passé par l’ISSEP et initialement nommé responsable du maillage territorial de la campagne d’Éric Zemmour en mars 2021, Pierre Meurin a fini par quitter en août l’équipe de campagne du candidat Reconquête! en raison de désaccords stratégiques. Il avait exposé ces désaccords dans un entretien accordé à L’Express publié en novembre dernier. Quatre mois plus tard, il livre, en exclusivité pour L’Étudiant Libre, son analyse sur la stratégie électorale de la campagne d’Éric Zemmour.

Entretien réalisé à la mi-février 2022.

Au mois de novembre dernier, lors d’un entretien publié dans L’Express, vous aviez émis un certain nombre de critiques sur la stratégie de campagne électorale d’Éric Zemmour. Quatre mois plus tard, celle-ci vous convainc-t-elle davantage ?

Je formulais des critiques stratégiques et organisationnelles qui m’apparaissaient rédhibitoires pour remporter l’élection présidentielle. Il me semble que lorsque l’on s’inscrit à une course, c’est pour la remporter. Battre le pire président de la Vème République est l’enjeu crucial de cette échéance.

Éric Zemmour, sous toutes réserves, n’est pas en mesure de réaliser cet objectif ; il est crédité d’un score similaire à celui de Marine Le Pen en 2017 en cas de second tour. La pré-campagne que je critiquais en novembre demeure la tache indélébile qui rend sa victoire tout à fait improbable. Sa campagne s’est densifiée, a bénéficié de plusieurs ralliements, dont il est difficile de prévoir la portée électorale. Mais si l’on se fie avec prudence aux sondages, cela ne semble pas décisif.

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En revanche, je décèle chez les militants et les dirigeants de la campagne d’Éric Zemmour un autre objectif : recomposer la vie politique - le serpent de mer de l’union des droites - en dynamitant Les Républicains et le Rassemblement National qui sont, il est vrai, des partis politiques affaiblis chacun pour des raisons différentes. Je considère à titre personnel que l’union des droites est un projet qui n’intéresse pas les électeurs. Je pense que cela relève plus de l’animation d’une communauté politique et sociologique résiduelle en France. Quand je dis résiduelle, cela signifie incapable d’emporter une élection présidentielle. En tout état de cause, l’enjeu actuel est de gagner l’élection présidentielle de 2022, pas de recomposer les droites pour un vaporeux « coup d’après ».

Dans cet entretien, vous regrettiez notamment la trop faible prise en compte de la « France périphérique » dans la pré-campagne d’Éric Zemmour. Depuis lors, celui-ci s’est illustré par un certain nombre de déplacements dans la ruralité (Châteaudun, Chaumont-sur-Tharonne, Honnecourt-sur-Escaut, …) ainsi que par quelques propositions fortes sur le pouvoir d’achat (prise en charge par les entreprises de 50% des frais d’essence de leurs employés, baisse de la CSG, bourses de 10 000 euros pour chaque naissance en zone rurale, …). Trouvez-vous cela suffisant ?

Non. Il est bien sûr positif qu’Éric Zemmour ait finalement choisi de se rendre sur le terrain, et de rencontrer la ruralité. Je pense toutefois qu’il a fait les choses dans le désordre. La campagne rurale, il aurait dû la faire entre mai et novembre 2021. Or, cette période cruciale, au cours de laquelle il saturait l’espace médiatique, aurait dû être mise à profit pour adoucir son image, s’intéresser au pouvoir d’achat et aux préoccupations concrètes des Français, développer une vision optimiste pour préparer la conclusion d’un accord gagnant-gagnant avec les Français. Sa pré-campagne « guerre civile » et « votez pour moi sinon vous allez mourir » est indélébile dans l’esprit des électeurs. Ces derniers ne veulent pas de guerre civile ; ils sont épuisés par deux ans de covid, par les dizaines de CERFAS qu’ils passent leur temps à remplir, par le doublement de leurs factures de gaz, par l’inflation, etc. Ils veulent de la sérénité, un président qui leur propose de retrouver de l’optimisme, du calme et de l’espérance. Ils ne veulent pas d’un candidat qui appuie - cogne - sur leurs angoisses. Concernant les mesures « disruptives » qu’il annonce, et ici je serai plus dur, je les trouve sans cohérence les unes avec les autres - donc sans vision - et parfois absurdes. La bourse de naissance de 10.000 euros m’a choqué, et pourtant je pourrais en être bénéficiaire. Je connais assez bien les abstentionnistes de la France rurale et périurbaine, et beaucoup partagent mon avis. Cette mesure - en l’état de son annonce - est injuste (il existe des gens formidables, pauvres, obligés d’habiter dans les métropoles et qui n’auront pas le droit à ce « super bonbon »). Elle est également inconstitutionnelle (rupture d’égalité), donc cette annonce est infaisable en plus de l’injustice qu’elle créerait.

Actuellement, Éric Zemmour semble sur une dynamique assez positive. Un parti à 100 000 adhérents, des meetings pleins à craquer, quelques ralliements de choix, et une tendance sondagière plutôt à la hausse. Quel regard portez-vous sur cette situation ?

L’effet de nouveauté, cela marche en politique comme dans la vie économique, a fortiori quand le marketing est agressif et bien pensé. En l’espèce, « le produit est bon » pour un certain segment électoral ultra mobilisé, et c’est bien sûr positif pour Reconquête! qui pourrait devenir un parti solide et incontournable par la suite, si les querelles humaines ne se réveillent pas après la - probable - défaite.

Comment percevez-vous l’attitude d’Éric Zemmour face à Marine Le Pen ?

Éric Zemmour a justifié sa candidature par l’incapacité de Marine Le Pen de rassembler une majorité d’électeurs, parfois même de façon triviale - « elle est nulle ». De tels propos sont dangereux car ceci pourrait lui valoir un retour de flamme dans de très nombreux scénarios : s’il est éliminé au premier tour au profit de la candidate du RN ; s’il est qualifié au second tour et qu’il fait un score analogue à celui de Marine Le Pen en 2017. Et imaginez : Jean-Luc Mélenchon peut tout à fait bénéficier d’un vote utile à gauche, voire d’une dynamique de ralliements de candidats qui jettent l’éponge, s’illustrer dans un ou deux débats du premier tour et hop ! avec un ticket d’entrée à 16-17% au second tour, il pourrait griller la politesse de tout ce petit monde. Ce scénario n’est pas le plus probable, mais il sert à illustrer la dangerosité de cette double candidature : la « droite nationale » joue avec le feu. Et toutes ces nouvelles rancœurs risquent de parasiter les élections législatives : combien de députés de ladite « droite nationale » si chaque circonscription voit concourir un candidat RN et un candidat Reconquête! ?

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Je vais d’ailleurs vous faire une confidence : certainement car elle est « challengée » comme jamais, je trouve absolument remarquable la campagne de Marine Le Pen, qui est précisément celle qu’aurait dû faire Éric Zemmour (rendre leur argent et leur sérénité aux Français) pendant six mois. Elle n’est plus perçue comme « gauchiste » et ne fait plus peur à l’électorat de droite. On peut d’ailleurs se demander si elle ne commence pas à bénéficier d’un effet vote utile d’une partie de la droite qui honnit Emmanuel Macron, considérant qu’elle fait mieux qu’Éric Zemmour et Valérie Pécresse au second tour dans les sondages.

Quels apports positifs reconnaissez-vous à sa campagne ?

Sur la forme, elle est « disruptive » à l’image des campagnes de Donald Trump aux États-Unis, de Podemos en Espagne, et même d’Emmanuel Macron en 2017. C’est une campagne « blast » dont le succès médiatique est réel et qui apporte de la fraîcheur dans des équilibres politiques sclérosés. Une génération de jeunes de droite, dont j’espère qu’ils n’adopteront pas les réflexes partisans et les erreurs de leurs prédécesseurs, émerge et c’est enthousiasmant. Avec la bonne stratégie dès le mois de mai 2021, ces deux paramètres auraient pu contribuer à la victoire. De nouvelles têtes vont émerger et c’est une bonne nouvelle. Votre cofondateur, Stanislas Rigault, président de « Génération Z », sera une figure de notre courant de pensée dans les années à venir.

La stratégie d’Éric Zemmour d’élever cette élection à un enjeu civilisationnel, si elle se défend parfaitement sur le plan intellectuel, ne semble pas tellement porter ses fruits au regard des sondages. Les Français sont-ils désintéressés par leur avenir en tant que Nation ?

L’enjeu civilisationnel se défend sur le plan intellectuel, et bien évidemment il m’est très cher. Il se défend toutefois aussi sur le plan politique bien entendu : terrorisme, immigration, islamisation sont une seule et même préoccupation partagée par environ 70% des Français. Ces derniers sont attachés à leur France des clochers, ressentent l’insécurité « civilisationnelle », mais ne veulent pas qu’on leur mette le couteau sous la gorge pour voter contre une hypothétique « guerre civile ». 

Les Français ne sont pas désintéressés de leur avenir commun ni de leur histoire, qu’ils connaissent très bien. Ils attendent en revanche autre chose : de l’optimisme pour eux et leurs enfants, qu’un candidat leur permette de se projeter cinq ans plus tard, et qu’ils visualisent l’amélioration de leur vie quotidienne dans toutes ses dimensions, y compris civilisationnelle. J’appelle cela « rendre sa belle trivialité à la politique ».

Quel impact sur la campagne peut avoir le ralliement de Marion Maréchal ?

C’est difficile à dire. Elle prend un risque immense de s’aliéner de la sympathie populaire en mettant en scène à son corps défendant un « storytelling » familial bien compliqué et en rompant avec le parti qui l’a faite élire député. Le RN emploiera largement ces éléments de langage le cas échéant. Ce ralliement peut même pourquoi pas attirer de la compassion à l’endroit de Marine Le Pen. Il n’est toutefois pas exclu qu’elle permette à Éric Zemmour d’accéder au second tour pour préparer la fameuse « union des droites », elle ne le fera probablement pas gagner pour autant. 

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À mon sens, Marion Maréchal devrait plutôt se positionner comme la future réconciliatrice de ces deux mouvements concurrents. Son choix lui appartient, les conséquences seront, quelles qu’elles soient, collectives. On sent toutefois que Éric Zemmour espère que ce ralliement lui permettra de se qualifier au second tour.

À deux mois de l’élection présidentielle, ni Éric Zemmour ni Marine Le Pen ne semblent en mesure de battre Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Selon vous, ceci est-il lié à une pure question de stratégie électorale, ou bien l’électorat de la droite nationale est-il tout simplement trop minoritaire dans le pays ?

C’est une pure question de stratégie électorale. Dans La Cause du Peuple, Patrick Buisson indiquait que l’unique possibilité de gagner la présidentielle dépendait de la capacité du candidat à faire l’alliance électorale entre les classes populaires et la bourgeoisie conservatrice. J’ai l’intuition que Marine Le Pen semble aujourd’hui - et c’était loin d’être prévisible - plus en mesure de mobiliser au second tour une partie de la droite classique hostile à Macron grâce à sa campagne cohérente et crédible qu’Éric Zemmour les classes populaires. La recomposition des droites est une chose, mais à mon sens pour la présidentielle, aujourd’hui, il existe un trou de souris pour Marine Le Pen quand c’est porte close pour Éric Zemmour.

Vous aviez conclu votre entretien à L’Express par des mots très prudents : « Cinq mois c’est long, tout reste ouvert ». Nous sommes aujourd’hui en février. Avez-vous une idée plus précise de comment pourrait se terminer cette campagne du côté de la droite nationale ?

Je préfère formuler un souhait : si Éric Zemmour ou Marine Le Pen se qualifient au second tour, le vaincu doit soutenir sans réserve le qualifié, pour qu’une dynamique d’entre deux tours conduise à la victoire, puis à un accord pour les élections législatives. A défaut, il faudra du temps pour reconstruire après cette séquence politique désastreuse.

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