L'Étudiant Libre

Ukraine : l’aubaine slave d’Emmanuel Macron

Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Des années après, force est de constater que les répercussions des battements d’ailes des hélicoptères Mil Mi-26 semblent avoir une incidence directe sur la vie politique française, à quelques 2000 kilomètres de Kiev…
c : CC BY SA 4.0

La chanson de Bénabar ainsi qu’un gag dans un album du très sérieux documentaire animalier Boule et Bill ont contribué à populariser, si ce n’est à la jeunesse actuelle, au moins à l’auteur à qui l’on pardonnera volontiers cette délicieuse madeleine, le concept de l’effet papillon. Cette métaphore, développée par le scientifique Edward Lorenz en 1972 afin d’éclairer la Théorie du Chaos et l’importance des conditions initiales, se présente sous la forme de la question suivante : le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? Des années après, force est de constater que les répercussions des battements d’ailes des hélicoptères Mil Mi-26 semblent avoir une incidence directe sur la vie politique française, à quelques 2000 kilomètres de Kiev…

« La France est le seul pays du monde où, si vous ajoutez dix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition, mais vingt divisions. »

PIERRE DANINOS

Rappelons la situation telle qu’elle se présentait début décembre 2021. Selon le sondage IFOP en date du 7/12/2021 sur les intentions de vote au premier tour des élections présidentielles, Emmanuel Macron arrivait premier avec 25% des suffrages, devant Marine Le Pen et Valérie Pécresse, toutes deux à 17%. Suivaient E. Zemmour avec 13%, puis J.L. Mélenchon avec 9%.

Oui mais voilà. Depuis, les eaux du Dniepr tranquille se sont mises à bouillonner, et les fertiles plaines de Zaporoguie et de Méotide se sont teintes de sang. Alors que la Guerre Froide continue de ravager le territoire de l’ancienne Rus’ de Kiev, que le sang européen coule à flots, que le prix des hydrocarbures s’enflamme, la scène politique française, hier si préoccupée par les problèmes du COVID, de l’immigration ou des gilets jaunes, se scinde entre atlantistes et eurasistes, détruisant encore une fois l’artificielle frontière Gauche/Droite qui n’existait déjà plus que dans l’esprit des retraités et des banquiers. Poutine est devenu le dénominateur commun de la politique française, l’originalité se trouvant dans le signe du nominateur, positif ou négatif. Alors certes, cet état de fait n’a rien étonnant per se, faisant écho à l’une des plus graves crises diplomatiques internationales depuis l’indépendance du Kosovo en 2008. Néanmoins, il est primordial de se pencher sur le dernier sondage réalisé par l’institut Elabe et publié le 8 mars pour constater que, en termes de stratégie électorale, la crise ukrainienne arrive à point nommé pour le président-candidat et semble faire bouger les lignes pour son futur adversaire du second tour…

Jusqu’ici, la courbe de popularité d’Emmanuel Macron ne différait pas en grand-chose de celle des anciens occupants de l’Elysée à la même période de leur mandat. Au 40e mois de son mandat, François Hollande se situait à 18% d’opinions positives ; Nicolas Sarkozy, à 30% ; Macron est donc à 35% ; les deux présidents réélus, François Mitterrand et Jacques Chirac, étaient respectivement à 40 et 56%. L’interprétation de ces chiffres se doit d’être précautionneuse : opinion positive n’équivaut pas nécessairement à intention de vote. Il ressort toutefois de ces données que :

  • Le mandat n’avait pas bien commencé pour l’actuel président. Au 20e mois, il était tombé à 22% d’opinions positives, 1% de plus à peine qu’Hollande au même moment. La crise des Gilets Jaunes avait, semblait-il à l’époque, précipité la fin du rêve macroniste.
  • Macron a surfé sur une remontée notable à partir de sa 2e année de mandat. Sa gestion de la crise sanitaire lui a permis de stabiliser sa courbe au cours de la 3e année, et à se maintenir au-dessus des 30% à partir de l’été 2020.
Graphique: Popularité : Emmanuel Macron comparé à ses prédécesseurs | c : Statista

Or, le tout frais sondage Elabe, dont l’intérêt est bien évidemment de prendre la température des électeurs en pleine crise ukrainienne, révèle que le président-candidat a enregistré une hausse de 8,5 points d’intentions de vote au premier tour par rapport à la semaine dernière, se plaçant à 33,5%. Marine Le Pen perd deux points et chute à 15%, baisse légère que certains seraient tentés d’expliquer par le ralliement de Marion Maréchal au candidat Zemmour. Mais il semblerait que ce ne soit pas le cas ; ce dernier se place désormais à la 4e place avec 11%, enregistrant une chute de 3%, derrière Jean-Luc Mélenchon qui totalise 13% des voix.

Dans un contexte de forte inquiétude face au conflit en Ukraine, E. Macron est jugé à la hauteur de la situation et bénéficie d’un “effet drapeau” dans les intentions de vote ( c : elabe.fr)
c : Elabe.fr

L’analyse de ces résultats soulève trois tendances principales :

  • une hausse de la popularité du président-candidat, due à ce qui est désigné dans la presse mainstream comme un « effet drapeau » : il semblerait que la plupart des Français voie d’un assez bon œil le positionnement de Macron sur le dossier ukrainien, et que ce dernier ait réussi à maintenir l’image d’un leader ferme vis-à-vis de la Russie, mais également (relativement) nuancé et réfléchi dans les sanctions imposées à Moscou.
  • une progression nette du candidat insoumis Jean-Luc Mélenchon, que sa position anti-atlantiste n’a pas l’air d’avoir entamée. Il est assez probable que ce dernier commence à être perçu par l’ensemble des forces de gauche comme le seul candidat ayant une mince probabilité de qualification au second tour. Et à l’approche des élections présidentielles, la baisse du communiste Roussel, de la socialiste Hidalgo et de l’écologiste Jadot semblerait confirmer cette hypothèse du vote « utile » à gauche.
  • le passage d’Éric Zemmour à la 4e place, enregistrant une baisse de 3% par rapport à fin février.

Attardons-nous particulièrement sur cette dernière donnée. Il est peu probable que Mélenchon ait volé des votes au candidat de Reconquête!. Valérie Pécresse, en chute libre, paraît au premier abord assez peu suspecte d’une éventuelle razzia. Par conséquent, l’on est en droit de se demander ce qui a cassé la dynamique triomphante (en tous cas, présentée comme telle par son équipe de campagne) d’Éric Zemmour.

Le sondage Elabe donne peut-être une piste par une question portant sur la certitude de vote. Il apparaît que Marine Le Pen occupe la première place, avec 83% de certitude. Éric Zemmour, quant à lui, arrive en dernière position avec 68% de certitude, 4 points derrière Pécresse (72%). Considérant la relative volatilité de ces deux derniers électorats, il n’est pas exclu qu’un certain nombre de potentiels électeurs zemmouriens, en particulier son électorat âgé et bourgeois, ait désapprouvé son discours anti-atlantiste ainsi que son attitude hostile à l’accueil des réfugiés ukrainiens, qui semble faire consensus dans le reste de l’arène politique, RN compris. Cette sous-partie de l’électorat serait possiblement allée se réfugier dans le camp républicain, dont elle est par ailleurs majoritairement issue. De même, la frange la moins idéologue des Républicains et la plus attachée à la stabilité du pouvoir et du marché, admirative de l’attitude présidentielle dans l’affaire ukrainienne, serait aller se loger dans les bras du candidat LREM. Il ne s’agirait finalement que d’un « glissement » des ailes gauches des deux mouvements vers le parti atlantiste immédiatement adjacent.

Dans un contexte de forte inquiétude face au conflit en Ukraine, E. Macron est jugé à la hauteur de la situation et bénéficie d’un “effet drapeau” dans les intentions de vote (elabe.fr)

Encore une fois, ces éléments sont à prendre avec des pincettes. La marge d’erreur pour les candidats se situant au-dessus de 10% est de 4 points. Quoiqu’il arrive, Macron est quasi-certain de finir premier le 10 avril, avec une avance douillette sur le dauphin. La course à la deuxième place va se jouer dans un mouchoir de poche, et finalement, peu importe que crise soit résolue ou en passe de l’être au jour de l’élection : le président bénéficiera soit d’une espèce d’entente cordiale bis, où les plus indécis préféreront jouer la carte de la légitimité et de la stabilité, soit du crédit de la sortie de crise. Il y a d’ailleurs fort à parier que la descente aux enfers de Pécresse allonge davantage l’avance du candidat LREM.

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Outre l’échappée du président, l’impact du dossier ukrainien pèse véritablement sur la Droite Nationale. Divisée, schismatisée, scindée, elle se révèle incapable de résister aux assauts du candidat Mélenchon, pourtant à moins de 10% en décembre 2021. L’atlantisme, relativement plus représenté chez les partisans d’Éric Zemmour que ceux de Marine Le Pen, surtout chez ceux « venant » des Républicains, pourrait bien se révéler un facteur de « retour à la maison » pour un électorat attaché à l’alliance américaine et l’unité géopolitique de l’Union Européenne. Or, à ce stade, il suffit d’un soutien de Jadot à Mélenchon ou de la désertion d’une partie de l’électorat écologiste/communiste pour inquiéter sérieusement le Rassemblement National, favori indétrôné pour la 2e place depuis 4 ans. Rappelons qu’avant la candidature d’Éric Zemmour, la candidate frontiste était créditée de 25% d’intentions de vote, et sa présence au second tour était quasi-assurée…

« Diviser les forces ennemies est bien mais diviser ses propres forces est une lourde faute. »

HENRI FAYOL

Ainsi, voilà ce que l’on doit retenir de l’impact du dossier ukrainien sur les élections présidentielles : sans verser dans le machiavélisme le plus basique ou le cynisme le plus grinçant, au point de vue de la politique politicienne, le Donbass s’est avéré constituer une véritable bénédiction pour le camp macroniste. Les sujets qui fâchaient, au premier rang desquels ceux du pass vaccinal et de l’immigration, ont été complètement occultés, à tel point que l’on se demande même si cette lèpre fulgurante qu’est le COVID n’est pas occupée à batailler du côté de Marioupol, laissant la France en paix. Le président a pu trouver à Kiev ce qu’il n’a jamais réussi à obtenir à Paris : une impression de détermination, de contrôle et de force de caractère aux yeux des Français. La Droite Nationale, effrayée et harcelée par une presse accusatrice qui leur reproche quotidiennement de jouer le même rôle avec la Russie qu’en son temps Doriot avec Hitler (décidément c’est formidable, cette farce marchera toujours), continue à se déchirer au gré des alliances opportunistes. Dernière en date, la propre nièce de Marine Le Pen. Alors, même en éprouvant une profonde sympathie pour Marion Maréchal, il est important de rappeler à ses émules les paroles prononcées en décembre 2021 par la présidente de l’ISSEP : « J’ai tendance à plaider pour une candidature unique derrière le mieux placé ». Or, les faits sont là. Zemmour n’est même plus en position de dauphin, et ne totalise que 30,5% des votes au second tour, contre 39% pour Marine Le Pen et 31,5% pour Jean-Luc Mélenchon …

Que retenir de tout cela ? Au-delà du fait navrant et décourageant que la France demeure le pays de la division gauloise inutile et de la défaite “encourageante”, l’auteur avait à cœur de souligner le cadeau que cette Droite d’intérêt et de parti faisait au camp mondialiste en scindant son électorat en deux, comme auparavant le firent Légitimistes et Orléanistes. Si la perspective d’un second tour Macron-Pécresse semble pour le moment s’éloigner (mais reste tout à fait possible dans le cadre des marges d’erreur), le spectre d’un second tour Macron-Mélenchon, peu probable encore voici quelques mois, semble constituer une possibilité non négligeable dorénavant. Voilà le résultat de cette bataille d’egos au service de factions incapables de s’élever au niveau de l’intérêt national, Zemmour comme Le Pen. Le constat désabusé et amer de Maurras est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier : « La France est déchirée parce que ceux qui la gouvernent ne sont pas hommes d’Etat, mais hommes de parti. Honnêtes, ils songent seulement au bien d’un parti ; malhonnêtes, à remplir leurs poches. Les uns et les autres sont les ennemis de la France. La France n’est pas un parti. » Après ce scrutin où la non-réélection du banquier avorteur et mondialiste apparaît de plus en plus lointaine, il faudra chercher les coupables dans notre camp et ne nous en prendre qu’à nous-mêmes…

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Wladimir Chikovani

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