Entrepreneur, militant et essayiste, Rémi Tell a fondé le collectif Peuple Libre au moment de la crise sanitaire pour alerter sur les dérives liberticides des politiques publiques. Il publie actuellement « Paroles révoltées », aux éditions Perspectives Libres.
Votre recueil d’articles a pour ligne directrice la colère que vous éprouvez vis-à-vis de la société du vide que vous décrivez. Comment cette société du vide lie-t-elle les sujets du covidisme, de la bioéthique, de l’indigénisme ?
Ces articles ont, pour la plupart, été écrits avant la crise sanitaire. Il m’a cependant semblé intéressant de les remettre en avant après cette crise, en ce qu’ils annonçaient déjà ce qu’il allait se passer. Le covidisme, dans son rapport complètement déréglé au monde réel et à la vérité, dans l’inversion accusatoire qui le caractérise, dans l’indifférence morale avec laquelle il a traité les populations, au fond, n’est que l’expression paroxystique de ces traits de décivilisation que je pointe dans ces « paroles révoltées ». C’est d’ailleurs plutôt un motif d’espoir, car ce qui n’apparaissait pas clairement dans la réalité il y a deux ou trois ans a été mis sur la place publique, et est désormais « à portée de jugeotte », pour reprendre une expression de Philippe de Villiers. Je crois que là, les gens se sont vraiment rendus compte de la vacuité de l’époque dans laquelle on évolue, où l’on peut ne pas trouver de contradiction entre le fait de fermer des lits à l’hôpital, de refuser les traitements, d’euthanasier les personnes âgées au Rivotril dans les EHPAD, et, de l’autre côté, d’expliquer que rien ne vaut plus que la vie, et que pour cette raison-là, il faut confiner la population toute entière. Ce n’est pas tant, d’ailleurs, un paradoxe qu’une logique que l’on n’a pas su comprendre. Il s’agit de la logique de l’égoïsme et de la jouissance absolue, avec une importante dimension générationnelle. En 1968, jouir sans entrave consistait à jeter des pavés sur les forces de l’ordre. Aujourd’hui, continuer à jouir sans entraves suppose d’interdire à la jeunesse de sortir dans les bars parce que l’on a peur pour ses poumons. Le Covid est donc la conséquence logique de tout cela : le désintérêt vis-à-vis de l’Autre et de la vérité. C’est aussi une forme de paresse intellectuelle, car si les gens s’étaient davantage préoccupés des coulisses de ce que l’on leur présentait sur les chaînes d’information, l’affaire aurait été réglée bien plus rapidement. C’est enfin une indifférence morale notable, avec un processus continuel d’inversion accusatoire. Ce qu’il s’est passé à l’occasion du meeting d’Éric Zemmour au Trocadéro est assez parlant sur le sujet, puisque les cris de « Macron assassin », manifestent d’abord et avant tout un malaise et un rejet total de la personne d’Emmanuel Macron et du bilan de son quinquennat. C’est ce message que les journalistes ont refusé de voir.
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Comment expliquez-vous que votre colère soit aussi peu partagée parmi la population, notamment parmi la jeunesse qui semble en pleine léthargie sur ces sujets ?
Nous sommes dans une époque sans colère. Cela est très inquiétant pour l’avenir de la démocratie française. Parce que la colère n’est pas la violence, mais la condition indispensable au progrès véritable, à savoir vers ce qui nous rend « plus humains », pour citer Orwell. J’ai été assez terrifié par l’incapacité à l’indignation de beaucoup de nos compatriotes depuis deux ans. Je crois qu’il est temps de réapprendre à s’indigner, et de retrouver des armes pour faire fructifier cette indignation. Ces armes sont celles du cœur et celles de l’esprit. Dans un moment où nous assistons à l’effondrement du système éducatif, où la logique des plaisirs et des peines l’emporte sur celle du bien et du mal, le vide de la pensée menace. Chacun connait l’avertissement d’Arendt pourtant…. Les jeunes Français doivent refuser de se laisser porter tels des rondins de bois sur un fleuve. Nous méritons de reprendre le contrôle sur nos vies. Et l’indignation, la révolte, sont les outils qui nous permettront d’y parvenir.
Pour vous, la campagne électorale a-t-elle réussi à renouer un dialogue entre les politiques et les citoyens ?
Malheureusement je ne le crois pas. Fin mars, 43% d’entre nous ne savaient même pas quand aurait lieu la date exacte du premier tour. C’est dire le niveau de désintérêt pour cette campagne. Et pour cause, les sujets essentiels à la vie des Français sont complètement évacués du débat public. On occulte la gravité de ce s’est passé depuis deux ans, à savoir des dérives éthiques inédites, ainsi que la rupture des pactes social et intergénérationnel. On ne traite pas assez des enjeux économiques qui sont pourtant fondamentaux au vu de la crise majeure qui s’apprête à survenir. Les 1 000 milliards de la « dette Great Reset » seront inévitablement payés – a fortiori par les plus fragiles. Surtout, les Français ont intériorisé le fait que nous avions perdu toute forme de pouvoir et de capacité à déterminer l’avenir puisque nous ne sommes plus souverains. Vous avez donc des candidats-acteurs qui singent une volonté politique ou un désir de transformation, mais qui n’en auront de toute façon pas les moyens. Quoiqu’on dise et qu’on fasse, les chaînes que nous avons aux pieds nous interdisent de changer quoi que ce soit par nous-mêmes. Cela, les gens l’ont compris, et c’est pour cela qu’ils ne s’intéressent pas à cette campagne. Je crois vraiment que les Français ne demanderaient pas mieux qu’à être passionnés par un vrai débat politique. Notre peuple possède un vrai sens politique. Donc quand il décide d’ignorer à ce point une élection si importante, à plus forte raison dans un pays qui fait de l’élection présidentielle l’alpha et l’oméga de sa vie politique, il faut se questionner sur l’état de la démocratie.
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Est-ce que finalement, l’abstention n’arrange pas le système en place, étant donné qu’elle concerne majoritairement des opposants à ce système ?
Il y aurait une théorie à élaborer (peut-être existe-t-elle déjà) sur le fait qu’au fond, l’on n’a même pas besoin de mettre en place une dictature lorsque l’on contrôle de A à Z le comportement électoral de sa population. Si on peut, par des mécaniques d’ingénierie sociale ou de politiques publiques d’achat de voix (c’est ce qu’il s’est passé lorsque l’on a payé les gens à rester chez eux durant le confinement), déterminer ce qui sera voté par la majorité, ou plutôt par une minorité active, nous ne sommes plus du tout en démocratie. Nous nous trouvons tout au mieux dans une démocratie purement procédurale : il y a une élection, on a le droit de se rendre au bureau de vote et de choisir pour qui l’on veut voter. Mais il y a une détermination antérieure tellement importante que seuls ceux qui vont choisir la perpétuation du système sont présents le jour de l’élection. Tout a déjà été orchestré en amont.
Votre avant-propos cite un essai philosophique de Sophie Galabru qui se veut de réhabiliter la colère comme première étape de la révolte humaine. Ne faut-il pas y ajouter l’espérance pour inciter à l’action, et surtout, à l’action constructive ?
La colère et la révolte comprennent cette double dimension de la destruction et l’espérance. La contestation de l’ordre existant est aussi l’espoir d’un ordre de nouveau. Autrement, c’est l’abattement qui l’emporte. Se mettre en révolte, dans la rue ou dans l’espace public numérique, suppose de croire qu’un autre état des choses est possible. Raison pour laquelle je suis assez rassuré lorsque je vois des gens révoltés, et beaucoup plus inquiet face à des masses sans vitalisme. Il va cependant de soi que la révolte n’est pas une condition suffisante pour construire quelque chose de plus désirable. Redonner une capacité d’indignation aux gens, et leur rendre de la liberté politique (c’est-à-dire la souveraineté), permettra à la démocratie de reprendre sa place. Mais l’exercice démocratique est impossible quand les regards sont éteints et quand le bras ne peut agir. Rallumez les regards, rendez sa puissance au bras, et tout sera possible. Et à ce moment-là, les désaccords et les débats retrouveront un intérêt réel. Je crois que l’indignation et la révolte répondent à une partie de cet enchaînement.
Vous consacrez également une partie de votre recueil à des éloges, notamment ceux d’Arnaud Beltrame, de Georges Pernoud et d’Antoine de Saint-Exupéry. Pour vous, en quoi ces personnages sont-ils facteurs d’espérance et des exemples à suivre ?
Il est très important, a fortiori quand on est jeune, d’avoir des modèles dont s’inspirer, et dont tirer leçon. Chacun de ces trois personnages nous apprend des choses sur ce que pourrait être un devenir désirable. Saint-Exupéry comme Georges Pernoud sont l’un comme l’autre dans une forme de bienveillance enracinée. Ils sont les hommes de quelque part, avec un rapport au réel très cru, donc en cela, complètement en décalage avec notre époque (dans la confrontation aux éléments, dans le travail de la mer, avec ce que cela suppose de difficulté et de courage). On peut tirer cela de leurs œuvres respectives, comme on trouve dans la beauté d’un mot ou d’un paysage la force de se battre. En ce qui concerne Arnaud Beltrame, il y a une dimension plus spirituelle. Très récemment, j’ai eu la chance de rencontrer le professeur spirituel d’Arnaud Beltrame (il va d’ailleurs sans doute y avoir un procès en canonisation le concernant, car de nombreux miracles se sont produits suites au décès d’Arnaud Beltrame). Que nous apprend-il ? Eh bien, que le courage viril est tout le contraire de la barbarie. Arnaud Beltrame a gardé un souvenir traumatique de son enfance, où il a vu sa mère malmenée. Et lorsque cette caissière du supermarché de Trèbes a été prise en otage, il ne s’est pas posé de questions. Il savait que son devoir le conduisait à échanger sa vie contre celle de cette femme. Aujourd’hui, on porte des jugements extrêmement dépréciatifs vis-à-vis de la question de la masculinité et de la virilité, mais au fond, qu’a donné l’émasculation de l’homme occidental ? Elle a donné la question suivante : où étaient les pères pour défendre leurs enfants quand on les a masqués à l’école et que l’on les a obligés à se faire tester trois matins par semaine, lorsque, pour certains d’entre eux, on les a vaccinés par la force ? L’on a beaucoup entendu les mères, mais trop peu les pères. La disparition de la masculinité occidentale, c’est aussi ça. Et Arnaud Beltrame nous démontre par son sacrifice que la virilité bonne est possible, et surtout, utile à l’autre sexe. J’ai donc voulu suivre ces trois exemples, car ils me semblaient en contre-point par rapport à l’époque, qui se résume à déconstruction, nihilisme, et inversion morale. Il était important de leur rendre hommage.
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