2022, année faste pour la France car, si l’on en croit Rousseau, qui écrivait « le peuple anglais pense être libre, il se trompe fort : il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement » (Du Contrat social, livre III, chap. 15), les Français furent deux fois libres en moins de 6 mois. Oui, deux fois — d’abord grâce aux élections présidentielles d’avril, puis à l’aide des élections législatives de juin. Mais qu’ont-ils fait de cette liberté ? Visiblement, elle leur a servi à réélire l’un des présidents les plus détestés de la Ve République (il se tire la bourre avec François Hollande — c’est dire…) et à propulser une coalition nauséabonde faite de tout ce qui traînait de loupés et d’opportunistes dans la gauche mourante, j’ai nommé NUPES.
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A-t-on bien compris le principe des élections, génial spectacle de la capacité des hommes à s’entre-tuer pour des idées, ou plutôt pour des partis ? Le principe est simple : décanter progressivement l’humanité pour arriver à deux candidats qui seraient, paraît-il, les expressions de la majorité des Français. C’est tout, me demandez-vous : non ! Il s’agit ensuite de les voir s’écharper et s’entre-découper dans les limites de la bienséance contemporaine, à coup de projets de loi, de visions pourries de société, ainsi que de petites insultes croustillantes qui rappellent les plus belles heures de notre littérature (on se remémore avec mélancolie de ces puretés sémiotiques, tel que la fameuse « poudre de perlimpinpin », ou encore la « roupie de sansonnet » qui fit mouche dans bien des cœurs insipides).
Mis à part cela, qu’en dire de plus ? Qu’il est de mise d’y élire un crétin qui, durant cinq merveilleuses années présidera la France, ou toute autre charge parlementaire, au grand dam de ces mêmes personnes qui ont voté pour lui ! Certes, c’est là quelque chose de tout à fait admis. Voilà, cher lecteur, ce en quoi consistent les élections en France. C’est bien morne, bien plat — oui vous avez raison. Mais apprenez que cela dure depuis maintenant 64 ans ! Plus de six décennies de clientélisme, partitisme, affairisme et autres incongruités républicaines si chères à nos humanistes en herbe de la truculente politique pour les nuls.
Car, que l’on s’entende, une élection — si beau de principe — n’apporte rien de vraiment nouveau. L’On dit que la politique est un beau moment de partage des idées, des projets, que les élections sont aussi un moment de rassemblement des Français autour d’un candidat, autour d’un système qui fédère et sollicite l’avis de chacun. Que cela est beau, grand et généreux ! Mais permettez-moi d’en douter.
L’idéal est une belle chose : la démocratie kantienne, le débat aristotélicien pour faire progresser la Cité en partageant les raisons, ou la magnifique théorie de l’espace public d’Habermas. Oui tout cela est sympathique. Mais être sympathique n’a jamais été un métier ni un supplément d’être. Pardonnez-nous notre réalisme, que certains qualifient de cynique, mais que nous préférons passionné. Pardonnez-nous de ne voir que la triste réalité d’un projet affadi et rongé par la contingence d’une humanité affairée et peu encline à la patience des débats et à la collision des idées sur l’espace public — peut-on lui en vouloir ? Peut-on en vouloir à ceux qui ne s’intéressent ni aux idées ni aux débats ? De toute évidence non, car c’est ce même régime qui appelle à son avis, qui l’aliène à sa tâche répétitive, à son métier vidé de dignité et d’esprit – oui cette nation qui mit fin aux corporations en 1791, berceau de la dignité laborieuse, pour le travail rémunéré au lance-pierre, dans la limite du respect que l’on doit à de la chaire.
Alors on fait avec ; on suit la politique comme on va au music hall : la bouche ouverte et les oreilles attentives au plaisir. Le plaisir d’un roucoulement mielleux d’une brigue d’opportunistes ayant fréquenté les mêmes écoles, avec les mêmes codes, les mêmes envies, et finalement avec les mêmes programmes. Que l’on se souvienne de la charmante querelle entre la poussive Valérie Pécresse qui cajolait le néolibéraliste Emmanuel Macron, pour avoir fait le même programme qu’elle. Ces politiciens ont bien compris la leçon pratique, fondamentale du Prince de Machiavel : pour durer dans son gouvernement, il ne faut absolument rien faire de révolutionnaire, maintenir la situation sans la changer — ni en mal, ni en bien. C’est finalement le leitmotiv de la politique française depuis quelques décennies — si bien que l’on se demande aujourd’hui à quoi servent encore les élections, qui accouchent de candidats similaires, à chaque fois, avec les mêmes programmes et idées, dessinant une belle continuité que les plus astrologues d’ente-nous interpréterions comme une volonté divine. Oui, la volonté divine d’un Dieu inique qui se manifeste dans l’histoire par la mollesse de son évolution et la capiteuse médiocrité d’une classe immobile et immuable — c’est dire beaucoup de ce Dieu républicain !
Enfin, pour terminer avec élégance, laissons le mot de la fin à Chamfort, que nos contemporains feraient mieux de relire en fait de prophète : « (les politiciens) sont des chiens dans un tournebroche : il suffit qu’ils remuent les pattes pour que tout aille bien. Que le chien soit beau, qu’il ait de l’intelligence, ou du nez, ou rien de tout cela, la broche tourne et le souper sera toujours à peu près bon. »
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