L'Étudiant Libre

Avortement aux États-Unis : une décision qui en a dans le ventre

Des étudiants de l'Université de Notre Dame lors de la Marche pour la Vie à Washington, D.C.. Janvier 2013. c : Miss.Monica.Elizabeth CC BY SA 3.0

 « Aujourd’hui, la Cour Suprême contrôlée par les Républicains a réalisé le sombre dessein extrémiste du Parti, c’est-à-dire arracher aux femmes le droit d’assumer elles-mêmes leurs décisions en matière de santé reproductive. À cause de Donald Trump, de Mitch McConnell, du Parti Républicain et de son écrasante majorité à la Cour Suprême, les femmes aux États-Unis ont aujourd’hui moins de liberté que leurs mères. » Nancy Pelosi.

C’est avec moult trémolos dans la voix et force soupirs que la (très) démocrate Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants, s’est exprimée sur la révocation de l’arrêt Roe vs Wade de 1973, qui avait rendu obligatoire l’autorisation de l’avortement au niveau fédéral, c’est-à-dire sans que les États pro-vie puissent l’interdire à l’échelle régionale. En gros, même traitement pour la Californie que pour l’Alabama… mais avec les règles californiennes. Cependant, à l’heure de la sanctuarisation du fameux droit des femmes à disposer de leur corps et de l’édification de l’avortement en acquis civilisationnel, comment un tel scénario a-t-il pu voir le jour ?

 

La législation passée et présente : Roe vs Wade et la question de la constitutionnalité du « droit » à l’avortement

Tout part du fameux arrêt Roe vs Wade de 1973, présenté à tort dans nombre de journaux et de médias comme une loi fédérale homogénéisant la légalité de l’avortement sur tout le territoire américain. Nous y reviendrons, mais commençons par remettre l’église au centre du village : le texte n’est pas une loi, mais un arrêt, c’est-à-dire une jurisprudence ; parler d’une loi abrogée est un abus de langage. De même, la législation antérieure à 2022 n’a jamais fait de l’avortement un droit absolu ; en effet, d’après l’historienne Mary Ziegler, « L’IVG est autorisée jusqu’au seuil de viabilité, c’est-à-dire le stade à partir duquel un fœtus peut survivre en dehors de l’utérus. L’avortement est donc légal jusqu’à environ 24 semaines de grossesse, sur l’ensemble du territoire américain. »[1]

Dans les faits, il serait inexact d’affirmer que la politique en matière d’avortement était en tout point semblable à Los Angeles qu’à Oklahoma City. Le système politique américain est fait de telle manière qu’il recherche continuellement la balance entre la liberté des États et le pouvoir effectif de Washington, les républicains ayant une tendance plus fédéraliste que les démocrates, plus centralisateurs. De fait, quand une loi fédérale impopulaire est adoptée, les États en désaccord avec la législation de Washington éditent des contre-lois régionales qui, sans revenir sur la loi fédérale qui prime sur elles, la restreignent et la contraignent. Ainsi, dans le cas de l’avortement, l’arrêt Planned Parenthood vs Casey de 1992 reconnaît aux États le droit de limiter l’accès à l’IVG selon leurs propres lois régionales. Cet arrêt marque alors le début d’une véritable bataille juridique pour les États conservateurs et plusieurs centaines de lois contraignantes viennent entraver l’accès aux cliniques abortives, provoquant la fermeture de beaucoup d’entre elles ; ainsi, dans tout l’État du Missouri (dont la superficie est à peu près équivalente à celle de la Syrie), une seule clinique pratiquait encore l’IVG[2] en 2022.

Or, l’élection de Donald Trump a provoqué un séisme dans le paysage juridique américain. En effet, la Cour Suprême des États-Unis, responsable du contrôle de la constitutionnalité des lois des États et des lois fédérales, a vu la nomination (à vie) de trois juges conservateurs sous le mandat du président républicain, portant la balance à 6 conservateurs contre 3 libéraux. Dans ces conditions, les États les plus hostiles à l’IVG (notamment l’Alabama, le Texas et le Mississippi, entre autres) ont commencé à restreindre drastiquement les conditions d’accès à l’avortement, allant même au-delà de ce que la jurisprudence découlant de l’arrêt Roe vs Wade leur permettait en théorie.  

Dans ces conditions, il peut paraître surprenant depuis la France que ces lois n’aient pas été attaquées en justice devant la Cour Suprême qui, toute conservatrice qu’elle soit, est tout de même tenue de faire respecter la loi. Cette légitime interrogation trouve sa réponse dans l’explication de l’historien américain Simon Grivet : « Il n’existe aucune loi fédérale sur l’avortement aux États-Unis. Cette fuite [le média Politico avait révélé le projet d’abrogation de Roe vs Wade début mai, ndlr] vient questionner sur la viabilité de cette jurisprudence et aussi sur la légalisation ou pas des lois anti-avortement aux États-Unis. Si les révélations du média Politico se confirment, la Cour Suprême des États-Unis veut clairement dire qu’il n’est pas normal que sa jurisprudence Roe vs Wade s’oppose aux lois ou décisions des États américains en ce qui concerne l’avortement ».

Pour faire simple, lancer une procédure constituait pour les défenseurs de l’IVG une perte de temps au vu de la composition actuelle de la Cour Suprême, et pouvait même servir de prétexte pour que ce même organe ne révoque tout bonnement l’arrêt de 1973. En effet, cet arrêt constitue une source majeure de débat juridique aux États-Unis depuis son adoption, car il part du principe que l’avortement serait un droit garanti par la Constitution des États-Unis. Il faut d’ailleurs bien reconnaître que la justification de la constitutionnalité de l’IVG est assez ésotérique : prenant appui sur la 1ère section du 14e amendement (ratifié en 1868 ! Pour donner un élément de contexte, en 1880, la pratique de l’avortement est criminalisée sauf en cas de danger pour la vie de la mère, ce qui laisse peu de place à une justification littéraliste…), et sur la phrase « Aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière », la Cour Suprême de 1973 avait en effet jugé les lois du Texas contradictoires avec la Constitution… Roe vs Wade affirmait donc que « le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution (…) est suffisamment vaste pour s’appliquer à la décision d’une femme de mettre fin ou non à sa grossesse », et qu’« une loi du type de celle du Texas qui fait de l’avortement un crime, sauf quand la vie de la mère est en danger, sans tenir compte du stade de la grossesse ni des autres intérêts en jeu, viole le 14e amendement de la Constitution »[3].

C’est donc sur la base d’une justification de constitutionnalité assez bancale que l’auteur du texte révélé par Politico, le juge suprême Samuel Alito, justifie le nouvel arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization en date du 24 juin : « Il est temps de prendre en compte la Constitution et de renvoyer la question de l’avortement aux représentants élus du peuple. (…) [Le droit à l’avortement] n’est pas profondément enraciné dans l’histoire et les traditions de la nation [et] n’est protégé par aucune disposition de la Constitution. (…) La Constitution n’interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d’interdire l’avortement. »[4]. Là encore, halte aux mensonges et raccourcis médiatiques ; le nouvel arrêt rend aux États la liberté de légiférer eux-mêmes sur la question ; il n’y a donc en aucune manière abrogation ou interdiction de l’avortement au niveau national. Que se rassurent donc les Fourest et autres De Haas : les poubelles des cliniques californiennes ou new-yorkaises continueront de se teinter de pourpre et de chair pendant encore longtemps…

 

De la légitime espérance qu’il nous faut tirer de cette décision historique

Il peut paraître surprenant en France, où aucune personnalité politique majeure ne remet en cause la loi Veil, que ce thème, cantonné chez nous à une caste bourgeoise et catholique, défilant régulièrement en pantalon de couleurs et serre-tête en velours à l’occasion de la Marche pour la Vie, suscite un tel débat outre-Atlantique. Les enseignements que l’on peut en tirer sont nombreux.

Une fois n’est pas coutume, il nous faut saluer la savante complexité du système politique américain. En effet, c’est bien l’ancien principe de fédération des États qui permet à ces derniers de légiférer de manière souveraine sur des questions d’importance, sans que des technocrates new-yorkais ou californiens ne puissent imposer au niveau national leurs convictions profondes sur le port d’armes ou l’enseignement sexuel à l’école. La tradition (assez récente finalement) jacobine et centralisatrice française, pourtant ancrée dans nos esprits, doit être remise en cause chez les jeunes nationalistes français. Déjà parce qu’elle n’a rien d’antique, puisque les parlements des provinces d’Ancien Régime disposaient déjà d’une large autonomie sous nos rois (la doctrine maurassienne prônait d’ailleurs une monarchie décentralisée ; le maître de Martigues affirmait ainsi que « la durée de l’ancien régime était due à la décentralisation : la féodalité, les communes ensuite, puis les corporations religieuses, ouvrières et autres, les universités, les parlements étaient autant d’organismes qui s’interposaient entre le pouvoir central et l’individu et prenaient leur part de responsabilité et de liberté »[5]). Mais surtout parce qu’en analysant les derniers scrutins, on se rend aisément compte que la Provence, l’Occitanie ou le Nord-Est auraient tout intérêt à s’affranchir de la tutelle de Paris qui, inquiète des dérives conservatrices et rétrogrades de la France périphérique, fait le maximum pour que le territoire ne se couvre pas de petits Béziers et Perpignan…

Il faut également rendre hommage au peuple américain en lui-même qui, quoi qu’on en dise, est resté pour une large partie fidèle aux valeurs chrétiennes et patriotiques. Que l’on ne s’y méprenne pas ; la ferveur religieuse des Baptistes du Mississippi ou le profond respect des Texans pour les vétérans de guerre ne se retrouve nulle part en France, et surtout pas sur les bancs de la Sainte Église Catholique et Romaine. Les Protestants (et même les Catholiques) outre-Atlantique, n’en déplaise à Mgr Ravel, sont des combattants de la Foi qui n’envisagent pas d’autre attitude vis-à-vis du Mal que la lutte, sans compromission. Quelle sorte d’affront à la Foi Catholique constitue typiquement la communion donnée par le Pape François à Nancy Pelosi, fervente militante en faveur de l’avortement aux États-Unis, désavouant ainsi Mgr Cordileone, archevêque de San Francisco, qui la lui avait refusée conformément à la doctrine catholique de non-communion en cas de péché mortel ?[6] Le travail et le courage d’une jeune génération de penseurs comme Ben Shapiro, Candace Owens ou Charlie Kirk, conservateurs décomplexés et assumés, y sont sans nul doute pour beaucoup.

Il faut surtout saluer le courage et la détermination de tous ces militants, de toutes ces familles, chrétiennes ou non, à tous les niveaux de la société, du redneck en T-shirt confédéré au fin fond du Kentucky à l’honorable juge de la Cour Suprême Clarence Thomas. Comment ne pas rester rêveur à la vue de ces États, pour certains grands comme la France, où 60 % de la population affirme la primauté du droit à la vie sur le meurtre de confort et ne voit ni dans le wokisme ni dans la promotion du changement de sexe chez les enfants l’horizon indépassable de la civilisation occidentale ? À nous, maintenant, de reconstituer ces îlots territoriaux traditionalistes (puisque les grandes villes ou l’Ouest sont définitivement perdues à la cause nationale), de parsemer l’Hexagone de petits Perpignan, et, qui sait ? Plomber un peu l’aile des technocrates au pouvoir à Paris et à Bruxelles… Pour le reste, un seul principe : ne pas abandonner le principe du combat, ne pas se compromettre avec nos ennemis mortels, affirmer haut et fort à qui veut l’entendre que notre pays est né du lys et de la Croix, et que les plus grands ennemis de notre civilisation chrétienne se parent de l’arc-en-ciel et du dollar pour continuer le travail de destruction entamé depuis deux siècles… À ce nouveau culte de Baal qui exige des sacrifices d’enfant pour apaiser sa colère, nous déclarons la guerre, car nous savons que le destin des civilisations qui accordent si peu de respect à la vie de leurs enfants est nécessairement la disparition et le remplacement.

 

Tiocfaidh ar la ! Notre jour viendra !

 

[1] États-Unis : on vous explique pourquoi le droit constitutionnel à l’avortement pourrait bientôt être renversé par la Cour suprême, franceinfo.fr, 3 mai 2022

[2] Dans le Missouri, premier État à supprimer le droit à l’IVG, les pro et anti-avortement s’affrontent, Mathilde Dehimi, franceinter.fr, 30 juin 2022

[3] Droit à l’avortement : qu’est-ce que l’arrêt Roe vs Wade, qui a fixé le cadre légal de l’accès à l’IVG aux États-Unis en 1973 ?, Clémence Apetogbor, Le Monde, 3 mai 2022

[4] États-Unis : on vous explique pourquoi le droit constitutionnel à l’avortement pourrait bientôt être renversé par la Cour suprême, franceinfo.fr, 3 mai 2022

[5] Enquête sur la Monarchie, Charles Maurras, 1900

[6] Canon 915 du Code de Droit canonique de 1983 : « Les excommuniés et les interdits, après l’infliction ou la déclaration de la peine et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion. ». Pour rappel, le concile Vatican II avait qualifié « l’avortement et l’infanticide de crimes abominables ».

Wladimir Chikovani

Wladimir Chikovani

Avortement aux États-Unis : une décision qui en a dans le ventre
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