L'Étudiant Libre

Plusieurs journaux ont donné la parole à des professeurs de droit public, en fait professeurs de conscience, pour discuter les propositions de réformes institutionnelles de Mme Le Pen. Pour disqualifier le recours au référendum, ces professeurs ont fait miroiter le risque d’une dérive autoritaire du régime politique, à l’exemple de la Hongrie et de la Pologne. Je crains que ces prétendues dérives autoritaires fassent plus de peine à la Commission européenne qu’aux Hongrois et aux Polonais eux-mêmes.
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L’éventualité du recours à l’article 11 de la Constitution française, qui permet au chef de l’Etat de provoquer sur certaines matières un référendum sur proposition de son Premier ministre, fait l’objet d’une controverse. Il est vrai que la consultation directe du corps électoral pour les décisions importantes perturbe une certaine partie de la communauté des juristes en France. Dans leur idée, non seulement le peuple devrait se borner à élire des représentants, mais en plus ces représentants ne pourraient pas donner au peuple l’occasion d’exprimer sa souveraineté de manière directe, comme le prévoit pourtant l’article 3 de la Constitution, qui dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Là où le texte constitutionnel pose une alternative, une certaine doctrine constitutionnaliste préfère poser le principe d’un monopole de la décision politique par la voie parlementaire. Pourtant l’article 3 est sans équivoque sur l’appartenance de la souveraineté au peuple, et sur le statut d’instrument de sa volonté des représentants et du référendum, placés à égalité. L’article 3, corroboré par l’article 2 qui dispose que le principe de la République est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, ne permet pas de tenir la volonté du peuple en échec.

Pourtant, les professeurs auxquels certains médias ont donné la parole cherchent à faire croire que l’appel à la participation du peuple par la voie référendaire pour prendre des décisions constitue une dérive autoritaire du régime républicain. Ils appellent violation de la Constitution ce qui est en fait l’application de la Constitution, et voudraient que le respect de la Constitution signifiât l’oubli de ses plus importantes dispositions. On ne saurait dire si c’est leur conception de ce qu’est une violation ou de ce qu’est la Constitution française qui est la plus originale. La véritable dérive est celle du constitutionnalisme, qui oublie dans son radicalisme antidémocratique quelques notions cardinales de droit public que sont le pouvoir constituant originaire, la souveraineté et le contrat social.

Les juristes dont il est question craignent que Mme. Le Pen, en en appelant au peuple, porte atteinte à la Constitution. Ils craignent en fait que Mme. Le Pen ne donne au peuple l’occasion d’exercer un droit qu’il a déjà en tout état de cause, celui de modifier la Constitution. Il faut rappeler que la Constitution est l’instrument du peuple français, qui l’a approuvée en 1958. Il ne faut pas oublier que le peuple français est dans la Constitution française chez lui. Il garde en tout état de cause la main sur la Constitution, et il ne peut pas la violer en décidant d’après son droit souverain de ce qu’elle contient ou de ce qu’elle ne contient pas, puisque c’est lui seul qui a autorité pour la créer, la modifier et la changer. Les constitutionnalistes travestissent les rapports de causalité. Proférant que c’est la Constitution qui fait le peuple, ils oublient que c’est le peuple qui fait la Constitution. Or ce que le peuple fait, il peut le défaire, ce qu’il donne peut être repris. La Constitution française de 1958, qu’ils prétendent vouloir sauver, est la preuve vivante de ce que les constitutions ne peuvent s’imposer à leurs auteurs indéfiniment, car s’il avait fallu conserver un texte contre le gré du peuple souverain, nous en serions restés à la Constitution de 1791.

Ce que cherchent à défendre les professeurs de droit qui s’opposent à l’usage du référendum, ce n’est pas la Constitution française, c’est le libéralisme. Or ce que le peuple français a ratifié en 1958 n’est pas la jurisprudence constructive, imprévisible et libérale du Conseil constitutionnel et des juges européens, c’est la Constitution. Les contempteurs du référendum veulent imposer le libéralisme au peuple, que ce soit démocratiquement ou non. Ses partisans veulent imposer la démocratie au libéralisme, que ce soit libéralement ou non. Le recours au référendum ne menace pas plus la Constitution que le système représentatif de toute manière. L’illibéralisme que les partisans de M. Macron agitent comme un épouvantail peut être le fait des représentants eux-mêmes, puisqu’ils peuvent avoir été élus sur le programme d’accroître le rôle décisionnel du peuple. Et prétendre le contraire reviendrait à avouer que les représentants du peuple sont en fait acquis à une idéologie fondamentalement inerte aux potentielles revendications du souverain. La Constitution française n’a pas besoin d’un référendum pour être violée. On craint que Mme. Le Pen ne viole la Constitution, mais c’est le Conseil constitutionnel et le Parlement français qui ont été les premiers à violer la Constitution. Le Conseil constitutionnel en décidant le 16 juillet 1971 de se donner accès à des textes auxquels le constituant ne lui avait pas donné accès en 1958, a excédé la lettre et l’esprit de l’article 61 de la Constitution. L’Assemblée nationale, en votant le 12 mai 1992 le projet de loi constitutionnelle du 22 avril 1992 par lequel le Parlement français acceptait de transférer sa compétence législative aux instances communautaires, a violé le principe de la séparation des pouvoirs, la Déclaration de 1789 en son article 16 et les article 3 et 24 de la Constitution, qui disposent que la souveraineté nationale appartient au peuple et que le Parlement vote la loi, comme le relevait Philippe Séguin dans son discours à l’Assemblée nationale du 5 mai 1992.

Dans des propos tenus à Franceinfo, M. le Professeur Dominique Rousseau prétend que l’inscription de la préférence nationale violerait la forme républicaine du gouvernement, puisqu’elle contreviendrait au principe d’égalité de la devise nationale. En effet, cette proposition instaurerait une discrimination sur la race, l’opinion, la religion, l’origine. Comme pour son prédécesseur patronymique, M. Rousseau commet autant d’erreurs qu’il y a de mots dans ses affirmations. D’abord la préférence nationale contrevient non pas au principe d’égalité, mais au principe d’égalité tel qu’il a été interprété par le juge constitutionnel, en violation de son acception traditionnelle, puisque l’exception à ce principe inclut le critère de la nationalité comme constitutif d’une différence de situation dans sa conception initiale. Deuxièmement, la nationalité n’est pas une race, une opinion, une religion ou une origine, puisqu’elle s’acquiert indépendamment de ces facteurs. La priorité nationale ne relève donc pas du champ d’application des discriminations prohibées par la loi. Troisièmement, il n’est écrit nulle part, sauf chez les professeurs qui le prétendent, que le principe d’égalité caractérise la République française.

M. Rousseau fait quelque chose que peu d’hommes osent faire avec autant d’éclat et de décomplexion : il s’arroge le monopole de la démocratie, il décide ce qu’est la démocratie en décidant ce qu’il est possible pour le peuple de dire et de vouloir.

Enzo Michelis

Pour le reste, la référence à la France du maréchal Pétain est outrancière, sinon diffamatoire. En prétendant que si la France sortait des institutions internationales, ce que ne propose pas Mme Le Pen contrairement à ce qu’invente M. Rousseau, elle ne serait plus républicaine, M. Rousseau assimile le cadre républicain au cadre européen. À ses yeux, une Europe qui serait fondée comme dans ses premières décennies sur une confédération des États-membres plutôt que sur l’adjonction d’instances supranationales serait une Europe du repli sur soi. Avec le caractère très approximatif de ces comparaisons, on se demande si M. Rousseau ne compense pas une vacuité argumentative par la force des images. Avec Mme Le Pen, c’est un coup de force institutionnel, mais avec M. Rousseau, c’est un coup de force dans la persuasion du lecteur.

M. Rousseau parle de sursaut démocratique consécutif à la potentielle élection de Marine Le Pen pour désigner les élections législatives qui auraient lieu au mois de juin. Pourquoi M. Rousseau ne parle-t-il pas de sursaut démocratique pour désigner l’élection même de Marine Le Pen ? Est-ce parce que, selon lui, la démocratie s’arrête là où on ne partage plus ses idées ? M. Rousseau fait quelque chose que peu d’hommes osent faire avec autant d’éclat et de décomplexion : il s’arroge le monopole de la démocratie, il décide ce qu’est la démocratie en décidant ce qu’il est possible pour le peuple de dire et de vouloir. Son critère d’argumentation est visiblement la position du Conseil constitutionnel et des juges internationaux. Mais si par malheur le Conseil constitutionnel et les juges internationaux prenaient un jour une position illibérale, comment ferait M. Rousseau ? Se raccrocherait-il encore à leur autorité aveuglément ? Il y a quelques siècles, l’on disait qu’on ne pouvait aller à l’encontre de la parole de l’Église. À ce jour, M. Rousseau dit qu’on ne peut aller à l’encontre de la parole des juges constitutionnels. Ses positions manifestement progressistes se justifient par un raisonnement manifestement archaïque.

Il est certes discutable que l’usage de l’article 11 pour provoquer un référendum sur une modification constitutionnelle soit conforme à la Constitution. Mais l’article 11 permet de recourir à un tel mécanisme pour les propositions relatives à la politique économique, sociale ou environnementale. Or l’instauration de la préférence nationale peut tout à fait se rattacher à une réforme sociale, dès lors qu’elle aurait pour objet de redéfinir les critères d’allocation des prestations sociales. Cela n’est pas certain, mais cela se discute. C’est là un point de droit qui ne nécessite pas de tenir des raisonnements caricaturaux et alarmistes comme s’y prête M. Rousseau. La contrepartie d’une position foncièrement antidémocratique est un minimum de qualité de l’argumentation, laquelle n’est pas au rendez-vous, puisque les démonstrations de M. Rousseau reposent sur des allégations factuellement inexactes, sur des approximations, sur des sophismes et sur des affirmations non fondées.

Ce qui est intéressant, c’est qu’on n’entend jamais M. Rousseau évoquer les problèmes constitutionnels que poserait la politique de M. Mélenchon, ou que pose celle de M. Macron. Cela donne la vague impression que le problème des réformes institutionnelles proposées par Mme. Le Pen, c’est Le Pen. Je le conçois, mais on ne peut pas en même temps faire du contrôle au faciès des candidats à la présidentielle et écrire ensuite que la préférence nationale est une discrimination. Le cadre républicain de M. Rousseau révèle un problème de cadrage idéologique.

Sommes-nous sortis du cadre républicain en 2021, lorsque le Conseil constitutionnel n’a pas censuré la loi qui a permis au gouvernement d’établir une discrimination des citoyens selon leur état de santé ? Où était le cadre républicain de M. Rousseau à ce moment-là ? Pourquoi M. Rousseau se préoccupe-t-il tant des étrangers plutôt que des Français ? Pourquoi ne sort-on pas du cadre républicain quand une discrimination est faite entre les Français ? Pourquoi ne sort-on pas du cadre républicain quand le Parlement abandonne illégalement sa compétence législative à des instances étrangères en 1992 ? Pourquoi ne sort-on pas du cadre républicain quand il vote en 2007 ce à quoi 55% des Français se sont opposés en 2005 ? Serait-ce parce que le cadre républicain ne consiste en fait en rien d’autre que dans l’exécution des idées politiques de M. Rousseau ?

Sous les habits d’un respectable professeur de droit, nous avons à faire à un militant d’extrême-gauche qui considère que la liberté doit s’arrêter là où s’arrêtent ses idées. L’introduction d’une préférence nationale en France n’est pas une révolution. Plusieurs pays comme les États-Unis, la Suisse, Monaco ou la Côte d’Ivoire appliquent la priorité nationale, sans être d’odieuses dictatures pour autant. Une telle mesure, contrairement à ce qu’affirme M. Rousseau, ne saurait remettre en question le cadre républicain de la France.

En dépit des années, M. Rousseau persiste dans ses problèmes de compréhension du concept de démocratie. Ce qu’il ne dit pas, et qu’il ignore peut-être, c’est qu’avec les réformes proposées par Mme. Le Pen, en plus de rester dans le cadre républicain, on entre dans le cadre démocratique.

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Enzo Michelis

L’enfumage du cadre républicain
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