« Comme là où il n’y a point de bonnes armes, il ne peut y avoir de bonnes lois, et qu’au contraire il y a de bonnes lois là où il y a de bonnes armes, ce n’est que des armes que j’ai ici dessein de parler. »[1] Selon Machiavel, armes politiques et lois sont intrinsèquement liées. S’il n’est pas difficile d’identifier les lois, il n’en est pas de même pour les armes. Le barème Macron qui se veut être un moyen juridique infaillible d’indemnisation d’un salarié victime d’un licenciement abusif pourrait-il être également une arme politique ? Apparu en septembre 2017, soit au tout début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, il a été validé par la Cour de cassation le 11 mai dernier…
Tout d’abord, qu’est-ce que le barème Macron ? C’est un barème d’indemnisation en cas de licenciement abusif d’un salarié. En effet, un licenciement prononcé par un employeur peut être totalement injustifié. Le salarié licencié peut alors saisir le Conseil des prud’hommes afin que ce dernier reconnaisse que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. C’est là qu’entre en jeu le fameux barème Macron mis en place par une des ordonnances de septembre 2017. En effet, si le juge reconnaît que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il doit condamner l’employeur à indemniser le salarié. Le montant de cette indemnisation est plafonné par le barème en fonction de l’ancienneté du salarié[2]. Il s’avère qu’un salarié doté d’une petite ancienneté aura une indemnisation très faible. En effet, là où, avant 2017, un salarié ayant au moins 2 ans d’ancienneté bénéficiait de minimum 6 mois de salaire en indemnité, ce même salarié ne bénéficie maintenant que d’une indemnité plafonnée entre 3,5 et 5 mois de salaires. Les employeurs auront donc davantage intérêt à embaucher pour une courte durée, ce qui ne favorise pas le développement du marché de l’emploi.
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Avant même la publication des ordonnances, les syndicats de salariés ont fermement contesté la mise en place de ce barème par de délicats syntagmes tels que « Monsieur Macron a bien compris que c’était un bras de fer, il l’a voulu. »[3] Une mesure défavorable aux salariés ne peut qu’attiser les foudres de ces chers syndicats, toujours avides d’une occasion de prouver qu’ils existent encore. Cependant, trop occupés à défendre les intérêts de leurs protégés, aussi légitimes soient-ils, les syndicats ont omis de s’émouvoir sur le fait que la réforme d’envergure du droit du travail qui a donné naissance à ce barème a été effectuée par voie d’ordonnance. Une réforme d’une telle ampleur conçue et appliquée par des acteurs qui ne sont pas élus interroge. L’objectif du Gouvernement est officiellement de favoriser l’emploi. En réalité, Emmanuel Macron distribue des cadeaux aux patrons des grandes entreprises, ses premiers soutiens… En effet, cette réforme est intervenue dans les premiers mois de son quinquennat et c’est même l’une de ses premières mesures. Ce barème Macron est donc l’enfant désiré des grands patrons, né par GPA dans les bureaux de l’Élysée. Il n’a pas manqué de faire l’objet de ferventes contestations.
Le 11 mai 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts qui valident le barème. Nous sommes quelques semaines après la réélection d’Emmanuel Macron. Réalité juridique ou conformisme politique, tous les doutes sont permis. Ces décisions qui s’illustrent par leurs explications sibyllines et leur argumentaire bancal ont au moins le mérite de faire cesser tout débat sur le barème. Il n’en demeure pas moins que le fond de la décision interroge sur la véritable motivation des juges du quai de l’Horloge. Les juges de cassation ont considéré de manière discrétionnaire que le salarié préférait savoir qu’il allait peu être indemnisé, mais avec une fourchette précise, plutôt que d’avoir un minimum de 6 mois. Quelle sagesse admirablement populaire des juges de la Haute juridiction ! On constate qu’une fois encore, ils semblent avoir noyé le bon sens sous un océan de questions vaseuses, se présentant ensuite comme des héros en apportant une pseudo-réponse.
Cette décision de la Cour de cassation du 11 mai 2022 semble être un cadeau de (re) bienvenue fait à Emmanuel Macron. C’est la gerbe de fleurs déposée sur les marches de l’Élysée par les juges du quai de l’Horloge. Sauf que, loin de la petite fille souriante en robe blanche, nous avons des juges à genoux.
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[1] Prince, Machiavel (1532)
[2] Article L.1235-3 du Code du travail
[3] Reuters, 12 septembre 2017