Cette figure de l’homme providentiel se rattache à son mythe, qui verrait à chaque temps de crise l’arrivée d’un messie à la poigne ferme, envoyé par la Providence pour sauver son pays et son peuple et marquer l’Histoire. Les surnoms donnés à Éric Zemmour aujourd’hui – « Zapoléon », « le Z » et tant d’autres, témoignent d’une fascination importante des Français pour être sauvés par un nouvel homme providentiel. Des sobriquets qui témoignent également du fait qu’un personnage du roman national arbore prodigieusement cette figure de l’homme providentiel français : Napoléon. Lui qui, venu d’une modeste famille corse, triomphe de batailles en batailles face aux ennemis coalisés qui tentent d’éteindre le feu encore vif des idéaux de la Révolution française et fait de la France l’un des plus grands empires que l’Europe ait connus. C’est ainsi que Napoléon s’est doté de cette stature de l’homme providentiel : un sauveur venu de là où on ne l’attendait, et qui face à l’ennemi, ne tremble pas mais triomphe.
Cette propension d’un sauveur face à un ennemi qui menace le pays est l’une des caractéristiques principales de l’homme providentiel : Jeanne d’Arc – l’archétype féminin du mythe messianique – contre les Anglais, Napoléon contre les coalisés, Clémenceau et de Gaulle face aux ambitions territoriales et idéologiques de l’Outre-Rhin, et aujourd’hui Éric Zemmour, qui tente d’unir le peuple français pour sauver la France d’un « Grand Remplacement » issu de l’immigration africaine. En réalité, l’histoire républicaine de la France peut se résumer en une quête nostalgique de la figure napoléonienne, c’est-à-dire l’incarnation d’un pouvoir despotique : la madeleine de Proust de la République qui la hante encore aujourd’hui alors qu’elle doit appuyer son fonctionnement sur la souveraineté populaire.
Mitterrand écrivait dans Le Coup d’Etat permanent : « les temps du malheur sécrètent une race d’hommes singulière qui ne s’épanouit que dans l’orage et la tourmente ». Cette citation nous permet d’aborder une autre caractéristique de l’homme providentiel : ce qui les façonne et ce qui les fait grandir.
Ces hommes providentiels ne viennent pas de la Providence mais naissent pour la très grande majorité dans des contextes de crises, de guerres, et grandissent en même temps que leur évolution. Pour exemple, la première moitié du XIXème siècle est viscéralement imprégnée par les guerres napoléoniennes et par cette fascination autour de l’image de Napoléon. Sa légende, forgée par le Consulat et par le Grand Empire, a marqué toute une génération, qui cherchait à la retrouver sous le Second Empire qui s’est appuyé sur cette légende et sur cette génération nostalgique pour se développer et devenir légitime. Napoléon III a été imprégné par son bain culturel et familial des épopées de son oncle, puis il a connu la Restauration, les Trois Glorieuses, le printemps de 1848,… Pareillement, Gambetta a quant à lui connu à un jeune âge la révolution de 1848, puis la montée en France de la germanophobie dans les années 1860. Thiers, lui, a connu et traversé toutes les crises et les guerres du XIXème siècle. Puis vient le XXème siècle, qui est marqué par des hommes qui ont sauvé la France après les deux guerres mondiales, comme Clémenceau, qui a connu le Printemps des peuples, la guerre franco-prussienne et l’humiliation française, l’Affaire Dreyfus, ou comme le général de Gaulle qui a connu les tranchées et l’horreur de la Première Guerre mondiale, le Krach de 1929, le climat de haute tension politique en Europe des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. Cependant, il va de soi de rappeler et préciser que les hommes issus des temps de crises ne sont pas propres qu’à la France : partout en Europe et dans le monde, des hommes providentiels forgés par la crise et la guerre ont foulé le sol de notre Terre. Nous en avons l’exemple avec le XIXème siècle qui a connu Napoléon, Napoléon III, Bismarck en Prusse, Garibaldi en Italie, ou encore l’exemple des dictateurs totalitaires du XXème siècle comme Hitler en Allemagne, Mussolini et « l’homme nouveau » en Italie, Staline en URSS, Mao en Chine, Franco en Espagne, Castro à Cuba, ou l’exemple des présidents américains comme Washington, Lincoln, Franklin D. Roosevelt, Obama, Trump, ou encore celui de Churchill en Angleterre. Le mythe de l’homme providentiel n’est pas purement français, mais il touche au contraire toutes les régions du monde.
Si l’on se rattache au mythe de l’homme providentiel dans l’analyse historique, les Français ont très souvent eu recours à une figure charismatique pour les sauver, eux et leur patrie, lors des temps de crise les plus rudes. C’est une des caractéristiques de l’homme providentiel, ou du moins ce qui lui permet d’embrasser son destin : la rencontre au moment le plus opportun entre un peuple épris de sensibilités, de rêves, de religiosité et dépourvu de pensées rationnelles en ces temps de crises, et ce mythe messianique qui existe et qui les sauvera. Cette alchimie entre ces deux parties s’est toujours vérifiée dans l’histoire de France et peut expliquer l’accession au pouvoir d’une personnalité forte en temps de crises. Ces grands hommes providentiels arrivent au pouvoir au moment où le pays est le plus en proie au danger, à la crise, des maux immensément profonds. Comme la Révolution Française, qui a vu Napoléon Ier arriver sur le trône, ou la Révolution de 1848 et puis l’accession au pouvoir de Napoléon III, l’humiliation de 1870 avec après elle, Gambetta et Thiers, ou la France de Vichy et la débâcle de 1940 puis la venue du général de Gaulle… Ainsi, chaque crise a son homme providentiel et chaque homme providentiel a sa crise. Une analyse qui accroît la dimension héroïque d’un messie venu sauver son pays quand il est en train de se déchirer, et qui explique une telle mystification et un tel culte envers l’homme providentiel en France.
L’autre caractéristique de l’homme providentiel est sa carrure, le charisme fédérateur qu’il dégage et qui amène tout un peuple à lui faire confiance. En France, cela s’appuie sur un uniforme : celui du militaire – ou du héros combattant. Cela se vérifie à travers Napoléon Bonaparte tout naturellement, le général Boulanger, ou également le maréchal Pétain, et surtout le général de Gaulle, plébiscité à deux reprises par le peuple français pour sauver la France et en assurer le destin. Mais le recours à un homme en uniforme n’a pas toujours été nécessaire dans l’histoire de France : Jeanne d’Arc, Louis-Napoléon Bonaparte, Gambetta, Clémenceau,… – ont quant à eux porté l’uniforme du héros combattant à leur manière… Outre ce pilier qui fonde le charisme et qui entraîne une confiance aveugle du peuple français, l’assurance, la cohérence sur le long terme d’un discours ou d’une idée, le pouvoir et la puissance des idées, la faconde d’un homme, sa confiance en sa propre destinée héroïque à sauver un peuple, sont d’autres piliers majeurs sur lesquels s’appuie la séduction charismatique. Le culte de la personne est aussi un élément important, si ce n’est le plus important, de la séduction des foules. En effet, grâce à lui seul peut s’entretenir aussi longtemps que possible la fascination pour un homme – providentiel. Ce culte de la personne qui s’inscrit dans la postérité, s’observe à travers la propagande que Napoléon a mis en place durant le Grand Empire, qui fonctionne aujourd’hui encore sur l’imaginaire collectif du peuple français et qui entretient la légende, même deux cents ans plus tard.
En somme, n’est pas Napoléon ou de Gaulle qui veut. Même si Zemmour peut dans quelques esprits, susciter une fascination semblable à celle de l’homme-providentiel, il n’en reste pas moins que dans son histoire, la Vème république nous a montré qu’elle ne peut accueillir en sa présidence un homme de cette trempe, qui devra conséquemment être confronté tôt ou tard à un plafond de verre démocratique qui l’empêchera d’accéder au plus haut grade de la République Française. Avril 2022 nous le dira… L’homme-providentiel n’est-il qu’un mythe, qui par définition n’a rien de réel que l’imaginaire et la nostalgie cyclique d’un peuple ? Ou au contraire est-ce une réalité qui entretient l’explication de l’histoire en montagnes russes de la France ?
À lire également : Lettre à la jeunesse de France