L'Étudiant Libre

Mettre fin à la crise ? Les déserts médicaux français

En France, dans les villes comme dans les campagnes, la pénurie de médecins touche de plus en plus les habitants. L'État, l'Ordre des médecins ou les localités tentent de trouver des solutions pour pallier ce phénomène.

15 à 21 millions de Français vivent à plus d’une demi-heure d’un médecin ou spécialiste. C’est le terrible constat dressé par l’association UFC-Que Choisir dans une étude de 2016. Constat qui a poussé l’Etat français, l’Ordre des médecins ou encore les localités à tenter de trouver des solutions pour pallier ce phénomène.

Les solutions des médecins généralistes et des infirmiers

Les médecins généralistes essayent désespérément d’obtenir un consensus avec l’Etat concernant cette situation. “Le décret de compétence des infirmiers n’a pas été mis à jour depuis 2004”, souligne le porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers. Le 7 octobre dernier, les sept Ordres des professions de santé (kinésithérapeutes, sagefemmes, médecins, pharmaciens, infirmiers, chirurgiens-dentistes, podologues), ont signé un accord de propositions communes pour améliorer l’accès aux soins. Il stipule, par exemple, que lorsqu’il n’y a aucun médecin disponible pour un patient, dans une zone géographique précise, il pourra désormais être pris en charge par d’autres professionnels de santé (comme les infirmiers).

La révolution du PLFSS 2023

En plus des praticiens de santé, l’Etat prend aussi les choses en main. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2023 (PLFSS) des permanences de soins à ces professionnels ainsi qu’aux sagefemmes et aux dentistes, afin de pallier le manque de médecins de garde le soir et les week-ends. Autrement dit, permettre à d’autres professionnels de santé d’effectuer des tâches qui étaient jusque-là réservées aux médecins.

Après que l’Etat s’est penché sur la question, le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) affirme : “L’équipe de soins primaires et de proximité sera coordonnée par le médecin quant au diagnostic, aux choix thérapeutiques et aux moyens mis en œuvre pour une prise en charge optimisée du patient”.

Les habitants prennent les choses en main

Des initiatives sont aussi prises au niveau local, pour lutter contre l’augmentation des déserts médicaux. Créer des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) en fait partie. Les MSP regroupent du personnel travaillant dans le domaine médical (obligatoirement deux médecins généralistes) et paramédical (au moins un infirmier).  Ces MSP permettent de faciliter l’accès aux soins, dits de “premiers recours” pour les patients. Dans plusieurs départements, comme la Corrèze ou la Côte-d’Or, des maires ont signé des conventions afin que des médecins des MSP se déplacent dans les villages environ une fois par semaine.

Comment attirer les médecins ?

Pour encourager les médecins à se délocaliser des grandes villes et exercer dans la campagne, certains élus trouvent des solutions. C’est le cas de Pascal Coste, député de la Corrèze, qui a pour ambition d’attirer les jeunes médecins. “Nous octroyons des enveloppes mensuelles de 300 euros à une dizaine d’étudiants en 2e année de médecine et des bourses de 600 à 800 euros à des étudiants de 4e année s’ils s’engagent à venir en Corrèze à l’issue de leurs études”, explique le député LR au magazine Concours Pluripro.

Cette aide à la formation de jeunes médecins vient s’ajouter à une revalorisation des salaires des médecins du département montant à environ 6000 euros par mois.

En plus de la campagne, les villes sont aussi touchées par ce phénomène. En Seine-Saint-Denis, à Clichy-sous-Bois le département connaît la plus faible densité de généralistes de l’Hexagone : environ 58 praticiens pour 100 000 habitants, selon des chiffres de la Caisse nationale de l’assurance-maladie. Mais depuis 2017, une MSP s’est installée dans le quartier et attire des praticiens. “Un jeune médecin de Bobigny et une généraliste n’ayant jusqu’ici travaillé qu’en hôpital nous ont rejoints”, note ainsi le docteur Annick Houngbo. Comparé au travail dans les hôpitaux, les horaires sont allégés et la collaboration entre médecins rend plus agréable la pratique du métier.“Je trouve que c’est une excellente initiative : cela nous permet d’avoir accès aux autres professionnels de santé, plutôt que de devoir faire plusieurs kilomètres pour un rendez-vous chez un kiné ou une orthophoniste”, salue une habitante de Clichy-sous-Bois sur FranceTVInfo.

Se tourner vers l’international ?

Lorsque les solutions manquent toujours malgré les initiatives, certaines communes se tournent vers l’international. Dans des localités, l’appel à des médecins étrangers se démocratise de plus en plus. Par exemple, le maire de Thourotte, situé dans l’Oise, s’est tourné vers une coopération avec l’Italie. Cette coopération consiste à mettre en relation les différentes communes françaises à la recherche de médecins de proximité, avec des praticiens italiens prêts à émigrer en France. L’Italie et la France ayant une équivalence au niveau des diplômes, l’Ordre des médecins a alors encouragé cette initiative, à condition que les praticiens d’origine étrangère parlent convenablement Français.

Le département de l’Oise n’est pas l’unique département à faire appel à cette méthode. À La Motte, dans les Côtes-d’Armor, la mairie cherchait à tout prix à remplacer le seul généraliste du village de 2 100 habitants, qui partait à la retraite. Elle a donc fait appel à une agence, qui a fini par dénicher un praticien roumain, le Dr Gino Pogani.

La barrière de la langue

À la mi-octobre, le maire, Jean-Pierre Guilleret, présente à ses administrés le tout nouveau praticien. Après un entretien avec le conseil départemental, le Dr Gino Pogani devait prendre ses fonctions à la fin du mois. Entre-temps, la mairie lui a déroulé le tapis rouge. Un cabinet médical qui a été entièrement refait à neuf lui sera loué à 300 euros par mois (avec 6 premiers mois gratuits), la municipalité a même pris à sa charge l’achat du matériel informatique. En plus de tout cela, un appartement lui sera loué à un prix préférentiel.

Mais le rêve du docteur roumain devient vite un cauchemar. Lors de son entretien, le conseil départemental a jugé « insuffisante » sa connaissance de la langue française. La secrétaire générale de l’Ordre départemental des Côtes-d’Armor, affirme : “Parfois, les médecins recrutés parlent très correctement, mais celui-ci n’était pas au niveau, même pour une conversation courante et basique”. En effet, selon le Dr Bonnier, Gino Pogani “n’a pas été en mesure de rédiger une lettre d’adresse fictive à un confrère”.

Le tant attendu Docteur roumain s’est engagé à suivre une formation accélérée, mais il ne pourra prendre ses fonctions avant plusieurs mois, et après avoir été évalué à nouveau par l’Ordre départemental.
En attendant, La Motte devra encore payer 12 500 euros pour le recrutement de ce praticien, puis le même montant à l’agence ayant permis son installation en France.

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Allan Branger

Allan Branger

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