L'Étudiant Libre

Pamphlets et misère : Léon Bloy à la lumière de Pierre Termier

“Je considère Léon Bloy comme l’un des plus grands écrivains de tous les temps et de toutes les civilisations.” (René Lacroix-à-l’Henri, "Léon Bloy, un écrivain pour l’an 2000", 1978).

Il est sans nul doute que l’écrivain, né à Périgueux en 1846, soit l’un des plus grands qu’ait connu le XXe siècle. Et il est fort déplaisant de voir que son écriture, voire son nom, n’évoque plus rien à une grande partie de la jeunesse du XXIe siècle. Cela est d’autant plus regrettable que sa vie, son mode d’existence, son style et surtout ses réflexions – dont ses romans et autres œuvres transpirent – seraient une ligne conductrice pour notre pensée.

Les propos suivants ne peuvent donc être simplement une présentation de cette “espèce d’explorateur en partance” (Pierre Termier, Introduction à Léon Bloy, 1932) mais une invitation à la lecture d’un artiste, c’est-à-dire d’un homme capable de dire la Beauté.

Littérature mystique : 

Se confronter à l’œuvre de Léon Bloy n’est pas chose facile. Cet écrivain, à bien des égards différents des autres, “domine de si haut son lecteur et l’entraîne si impérieusement et d’une telle allure sur des chemins si vertigineux et si malaisés” (Pierre Termier, ops. cit.) qu’il n’est pas simple de le suivre. Mais son style imagé, démesurément hyperbolique, s’accroche au coeur et ne laisse pas indifférentes nos tripes sensibles puisque c’est au détour d’une page, d’un chapitre ou de l’ouvrage que l’on prend part à la découverte du “Léon Bloy mystique”.

Oui, Léon Bloy est un mystique et un “doux mystique” comme le faisait remarquer un prêtre à Pierre Termier : “Léon Bloy est un doux mystique ; on ne l’a pas compris tant qu’on n’a pas compris cela”. Il est l’un de ceux qui a trouvé et a su embrasser le mystère non pas seulement dans sa vie, mais aussi dans son œuvre. Ceux qui se lanceront dans une lecture (le pronom indéfini est d’usage face à ce type d’expérience unique et solitaire) du Désespéré – lecture déjà ô combien courageuse – se verront emportés dans une Espérance dont seul le ciel en est coupable. C’est cette même Espérance qui se dissimule au plus profond de l’Être, celui-là même qui ne cherche qu’à comprendre l’absolu ou à rencontrer l’existence d’un monde au-delà du visible.

Le Pamphlétaire misérable :

Alors bien-sûr, il est étonnant de prêcher pour la douceur d’un Léon Bloy dont les contemporains n’ont saisi en lui “qu’un écrivain atrabilaire, haineux, violent, aigri ; un pamphlétaire éloquent et redoutable, devant qui personne ne trouve grâce” (Pierre Termier, ops. cit.). Pamphlétaire ? Il l’est et il ne s’en cache pas : “Je suis pamphlétaire, dit-il, parce que je suis forcé de l’être, vivant, comme je peux, dans un monde ignoblement futile et contingent, avec une famine enragée de réalités absolues. Tout homme qui écrit pour ne rien dire est, à mes yeux, un prostitué et un misérable, et c’est à cause de cela que je suis pamphlétaire… je le suis par indignation et par amour, et mes cris, je les pousse, dans mon désespoir morne, sur un Idéal saccagé.” (Léon Bloy, Belluaires et Porchers, 1905.)

Avocat de la douleur, jamais de la majuscule jusqu’au point, il ne s’essouffle pour décrier les malheurs de son temps appauvri par la guerre de 1870. Les lecteurs de La Femme pauvre témoigneront de cette capacité redoutable qu’il a de s’esclaffer devant les nombreuses facettes de la pauvreté et de dénoncer le scandale de l’argent comme abaissement moderne.

S’il fallait ranger cet homme d’un côté, c’est du côté des miséreux. Mais attention, il n’est pas de n’importe quelle misère, uniquement de celle qui tend à la sainteté. Barbey d’Aurevilly avait d’ailleurs ces mots pour le qualifier : “Léon Bloy est une gargouille de cathédrale qui vomit les eaux du ciel sur les bons et les mauvais”. C’est une bonne définition, à laquelle il faut ajouter celle de celui qui n’en a pas fait de meilleur portrait – Pierre Termier : “[Léon Bloy] est la cathédrale elle-même […]. Celle qui est hostile aux riches, aux heureux du monde, qui la trouvent sombre, froide, triste, inconfortable ; elle est infiniment douce aux pauvres et aux affligés.”

 

Enfin, lire Léon Bloy c’est apprendre à ne pas mâcher ses mots, c’est comprendre qu’il faut dire tout haut ce qu’on pense à la manière d’un Marchenoir ou d’une Clothilde malgré sa petitesse face à la société. C’est aussi admettre que l’Être janusien que nous sommes, l’homme aux deux visages, doit avoir la figure du mystique et de l’artiste ainsi que celle du militant pour le Ciel et pour ici-bas.

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François Marie

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