Il est 18h30 quand au 238 Rue de Vaugirard à Paris, retentit des cris de joie : Éric Ciotti est élu à la présidence du parti Les Républicains, avec 53,7% des suffrages exprimés. Le parti historique n’avait pas connu un score aussi serré depuis le congrès de l’UMP de 2012, opposant Fillon à Copé – ambiance vintage…
Ce clin d’œil rappelle que le parti n’a pas beaucoup évolué, englué dans ses vieux démons depuis la défaite de Nicolas Sarkozy, le 2 mai 2012. Pour preuve, le dernier à les avoir mené au sommet, milite désormais pour une alliance avec Emmanuel Macron. En effet, le constat est sans appel : 4,78% à la présidentielle, 3ème groupe d’opposition à l’Assemblée nationale. Le parti doit se reconstruire et le nouveau président des Républicains doit faire face à une « tâche herculéenne » pour reprendre les propos de Bruno Retailleau, malheureux finaliste à la présidence des Républicains.
La lutte de tous contre tous
La genèse de ce déclin commence dès le quinquennat Sarkozy : alors que ce dernier réussit le pari de séduire à la fois la gauche strauss-kahnienne, la droite libérale et europhile, tout en prenant de nombreuses voix dans l’électorat du FN ; dès les élections cantonales de 2008, on observe une remobilisation de la gauche et une reconstruction du FN. Commence alors la perte progressive de la base électorale des Républicains : les centristes quittent l’UMP pour former l’UDI, un concurrent-allié qui continuera à afficher sa proximité avec le parti de Nicolas Sarkozy. Cependant, ce constat permet de comprendre la défaite de 2012 : Nicolas Sarkozy a perdu son électorat de centre-gauche, mais également son électorat populaire laborieux, déçu de ses promesses de campagne non tenues, qui rejoindra le Front National et ne le quittera plus.
Son image écornée par les défaites présidentielles et législatives, le parti va s’effondrer dans une guerre fratricide d’un Jean-François Copé, ancien secrétaire général, proche des militants et un François Fillon, ancien Premier ministre durant tout le quinquennat, critiquant de manière exacerbée le sarkozysme. Le paroxysme de ce spectacle médiatique est atteint à l’occasion des résultats où le vainqueur de l’élection est difficile à déterminer, les 2 camps revendiquant la victoire. Il faudra attendre l’intervention de la Commission nationale des recours pour déterminer le vainqueur : la droite est tombée bien bas… Dès lors, Jean-François Copé souffre cruellement de légitimité et le parti est au bord de l’implosion, en témoigne la création éphémère du Groupe Rassemblement-Union pour un mouvement populaire, un groupe dissident de 73 députés. La droite s’enfonce dans une guerre de parti, une guerre de têtes dont elle ne se remettra jamais.
En manque cruel de leader, l’affaire Bygmalion pousse Jean-François Copé dehors pour le retour en grâce du grand leader : Nicolas Sarkozy qui avait annoncé la fin de sa vie politique après la défaite de 2012, encore une promesse non tenue… En grande pompe, il annonce la naissance en 2015 des Républicains devant près de 10 000 personnes. La droite est de retour ! Mais l’amour sarkozyste, lui, est définitivement consommé : les cadres du parti ne veulent pas d’un retour de l’ancien président aux affaires. Alors, comme souvent, la droite décide de s’inspirer de la gauche et entérine le choix d’une primaire pour désigner son candidat à l’Elysée qui lui est tant promise : le parti de droite vient de signer son arrêt de mort. La primaire met en lumière les tensions présentes depuis 2012 : les 3 ténors, que sont Alain Juppé, François Fillon et Nicolas Sarkozy se détestent.
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Alors que la gauche semble s’entretuer dans des une lutte de pouvoirs entre François Hollande, Manuel Valls et Claude Bartolone, la droite est sûre de sa victoire : elle sera au second tour, face à Marine Le Pen. La primaire, contre toute attente, choisit François Fillon, un libéral-conservateur assumé face à Alain Juppé au second tour de la primaire, l’ancien baron Sarkozy ayant, lui, échoué dès le premier tour de la primaire. Dès lors, sûr d’une alternance qui n’a quasiment jamais failli depuis l’instauration de la Vème République, la droite prend son temps et Fillon se permet même quelques semaines d’un repos bien mérité. Il entame véritablement sa campagne en janvier ; mais voilà, dès le 25, les révélations du Canard enchaîné vont mettre à mal l’image du candidat qui, il faut le rappeler, avait fondé sa primaire sur la probité en politique. Ses déclarations malheureuses de démission en cas de mise en examen et la réponse des juges tueront définitivement sa campagne : « le calendrier politique va subir le calendrier judiciaire » annonça prophétiquement Georges Fenech, soutien de Juppé, et député du Rhône.
Après 2017, le déluge
Cet échec posé, il est intéressant de raisonner sur l’espace politique qu’il reste désormais aux Républicains. Premier groupe d’opposition à l’Assemblée, le parti espère un retour au pouvoir en 2022.
Il le fera bien avant, du fait de la nomination de certains cadres du parti au gouvernement, à commencer par le Premier ministre, Edouard Philippe, ou encore Bruno Le Maire à l’Economie et Gérald Darmanin, figure montante du Nord, aux Comptes publics. Macron pioche parmi les soutiens de Juppé et de Sarkozy : les séquelles de la primaire perdurent au-delà des élections.
Dès lors, le Congrès des Républicains de 2017 nomme Laurent Wauquiez comme président de parti actant leur ligne politique : l’opposition. Mais comme toujours, le président de parti manque de légitimité, notamment par son passif politique virevoltant (soutien de Jacques Barrault, centriste de Haute-Loire puis d’une droite forte, dénoncant le « cancer de l’assistanat ») et ses relations tendues avec Nicolas Sarkozy. Les élections européennes de 2019 apparaissent comme décisives pour retrouver l’électorat de 2017, perdu par des affaires judiciaires et non par convictions politiques : fini les vieilles têtes, vive la jeunesse ! François-Xavier Bellamy, adjoint au maire de Versailles, jeune tête pensante du mouvement, est nommé pour prendre la tête de la liste, conservateur assumé, peu connu du grand public, il incarne le libéralisme-conservateur. Cependant, certains refusent, et prônent un accord rassemblant les différentes lignes du parti : un trio sera alors décidé avec Bellamy en tête, assisté d’Agnès Evren (soutenu par Baroin et Pécresse) et d’Arnaud Danjean (soutenu par Juppé). Tenant d’une ligne conservatrice, la campagne bat son plein et présage d’un score raisonnable (entre 12 et 15%). Le soir du scrutin, le score tombe : 8,48% – LR arrive en 4ème position, avec 8 élus : c’est une débâcle pour le parti qui obtient son pire score national. Alors que le parti espérait récupérer des voix auprès du RN, il ne subsiste de son électorat qu’un vote libéral-conservateur, dernière vague à ne pas avoir rejoint Macron.
Les élections locales intermédiaires permettront au parti de se maintenir à flots par un ancrage local encore subsistant. Mais la claque présidentielle de 2022, où la candidate Valérie Pécresse fait un score de 4,78 %, démontre la perte totale de l’électorat des Républicains qui ne peut désormais compter que sur ses élus locaux pour continuer à survivre. En effet, le clivage gauche-droite semble définitivement consommé au profit d’un clivage élitaire-populaire opposant Marine Le Pen du Rassemblement national à Emmanuel Macron et Renaissance. Développée par le sondeur et analyste politique Jérôme Sainte-Marie, cette notion de blocs permettrait de définir la mort politique des anciens partis nationaux des Républicains et des socialistes. En effet, l’alternance gauche-droite s’est peu à peu effacée suivant les élections poussant à la formation du macronisme. Le génie supposé de Macron d’unir la droite et la gauche est en réalité une volonté profonde des libéraux de gauche et de droite de s’allier au sein d’un grand parti de gouvernement. Dès 2015, Alain Juppé déclarait dans un interview au Point qu’ « il faudra peut-être songer un jour à couper les deux bouts de l’omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite comme de gauche, qui n’ont rien compris au monde ».
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Ainsi, le mérite de Macron a été d’incarner ce rassemblement, mais en aucun cas de l’avoir formulé. Dès lors, et ce sentiment s’est accru depuis 2017, un bloc politique libéral-libertaire s’est agrégé autour de Macron. Celui-ci est dès lors soutenu électoralement les ultra-riches, les cadres de la haute-fonction publique, mais aussi les cadres supérieurs et les retraités. Cet électorat, originellement incarné par les LR est désormais acquis au parti gouvernemental. De l’autre côté, Marine Le Pen incarne la France des travailleurs aux revenus modérés et pauvres, attachée à l’idée de nation et d’ordre, elle incarne ainsi un parti souverainiste et régalien. De plus, grâce à un travail sérieux de purge et de dédiabolisation, elle a su s’imposer comme le premier parti d’opposition, comme en témoigne l’arrivée fracassante de 89 députés à l’Assemblée nationale. Enfin, siphonné de son électorat libéral-conservateur par le candidat Reconquête, les LR marchent aujourd’hui sans cap visible, ne sachant où trouver ses électeurs.
Conscient de ses difficultés, le parti attendait beaucoup du Congrès des Républicains de décembre 2022 afin de nommer le nouveau chef pour mener la bataille. Elle a opposé au 2nd tour Bruno Retailleau, tenant d’une ligne libérale-conservatrice, à un Eric Ciotti plus régalien. La victoire d’Éric Ciotti à 53% démontre aujourd’hui la difficulté d’incarner la droite dite républicaine – ce qui fragilise le leader nommé pour 2027, Laurent Wauquiez. Dès lors, il s’agit pour les Républicains de retrouver une capacité à d’incarnation – une force de proposition, qui n’est ni libérale-libertaire ni souverainiste populaire, pour continuer à exister sur le plan national, ou bien être condamnés à devenir un parti d’élus, à l’image du parti radical que personne ne connait désormais.
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