L'Étudiant Libre

La France, une puissance moyenne ? Déni et indifférence à l’égard du déclin international français

La France serait-elle devenue une puissance moyenne ? L'interrogation est douloureuse pour un peuple aussi fier que le nôtre ; et pourtant elle mérite d'être posée aux vues des derniers indicateurs ...

« Puissance moyenne de rang mondial » ou « puissance moyenne » tout court, voici les façons dont d’anciens diplomates français (en l’occurrence Michel Foucher et Maurice Gourdault-Montagne) désignent la position de la France sur la scène internationale. Les indicateurs objectifs que sont les classements internationaux le montrent : la France connaît un déclin et se trouve concurrencée – voire dépassée – par des pays qu’elle regardait d’en haut il y a à peine trente ans comme l’Inde ou le Japon, et talonnée par des pays dits du Sud comme le Brésil ou l’Iran. Son passage du cinquième au septième rang des puissances mondiales en terme de PIB devrait alerter les autorités françaises sur ce déclin semblant irrémédiable. L’imposition d’une « voie particulière » française se fait attendre mais n’arrive pas. Un déni semble s’être emparé de la classe politique, souhaitant « jouer dans la cour des grands » sans pour autant imposer ses propres règles. Puisque nos dirigeants ne s’en émeuvent pas, il paraît utile de poser le diagnostic d’une France ayant perdu son indépendance, faisant le jeu d’alliances et de coopérations où elle se trouve perdante. Ce diagnostic révèlera-t-il la condamnation ou bien la possible résurgence de la puissance française au sein du Concert des nations ?  

Une « voie particulière » perdue, entre discrédit et assujettissement

Le contexte de la guerre en Ukraine est évidemment un révélateur de la faiblesse de l’influence française sur des sujets qui comptent et dans lesquels elle aurait pu avoir l’occasion de se démarquer, de recouvrer cette « voie particulière » que le général de Gaulle souhaitait lui donner en s’éloignant de l’OTAN en 1966. La réintégration au commandement intégré de l’Alliance atlantique de la France en 2007 sous Sarkozy était déjà un témoin de la tendance inverse à celle gaullienne – celle de la perte d’indépendance face à l’Empire américain. Pourtant, la réaction d’Emmanuel Macron au commencement de la guerre en Ukraine aurait pu être un signe de l’affranchissement de la France au ralliement pur et simple au camp occidental et pro-ukrainien. L’initiative d’Emmanuel Macron de conserver le dialogue avec Vladimir Poutine et d’organiser une rencontre afin de dissuader toute invasion de l’Ukraine le 7 février dernier est tout à fait louable mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions – et inversement. Cette rencontre avec l’ours du Kremlin n’a fait que démontrer l’incapacité de la France à faire poids face à l’impérialisme russe et prouve que son rôle d’arbitre des nations ne peut plus être assuré par un gouvernement l’ayant condamnée à ne provoquer que de l’indifférence à son égard. 

Il semble que Macron n’ait pas tiré de leçon de ce fiasco diplomatique et choisit le 12 octobre de nier les principes de la rhétorique de la dissuasion nucléaire en levant tous les doutes possibles quant au potentiel recours de la France à l’arme atomique en réponse à une frappe nucléaire russe en Ukraine : « Notre doctrine repose sur ce qu’on appelle les intérêts fondamentaux de la nation, et ils sont définis de manière très claire. Ce n’est pas du tout ça qui serait remis en cause s’il y avait par exemple une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région. […] C’est une évidence. ». Si l’utilisation par la France de l’arme nucléaire pour défendre le territoire ukrainien est effectivement beaucoup plus incertaine que si Poutine décidait d’envoyer la Tsar Bomba sur Paris, il n’en demeure pas moins que ce doute et cette incertitude doivent demeurer afin que la dissuasion demeure efficace. La rhétorique de la dissuasion est un jeu de subtilités qui ne doit admettre aucune « évidence » pour finalement instiller le doute dans l’esprit de l’ennemi et rendre l’utilisation de l’arme nucléaire possible à chaque instant. Ces attitudes sont des exemples du discrédit de la France dans la position de grande puissance qu’elle prétend briguer. 

Le discrédit qu’elle connaît est en fait la conséquence d’un double-assujettissement, c’est-à-dire une perte de sa souveraineté au profit de celle de l’Union européenne et des Etats-Unis. D’abord, la présidence de la France du Conseil de l’Europe en 2022 aurait pu permettre de réaffirmer sa capacité décisionnelle au sein de la communauté internationale mais encore une fois, l’occasion donnée à Emmanuel Macron est manquée. On évoque largement la « souveraineté européenne » sans jamais mentionner celle française, pouvant déplaire aux plus européistes. Cette subordination de l’indépendance au bon vouloir de l’UE se double de celle aux Etats-Unis et cela notamment dans le cadre de l’Alliance atlantique – dans laquelle se trouvent par ailleurs vingt pays-membres de l’UE sur trente. Cela amène les décisionnaires militaires français à accepter l’envoi de matériels militaires à l’Ukraine (notamment des canons Caesar et des missiles antichars Milan) ou a pu les contraindre à intervenir sur des théâtres d’opérations où les intérêts américains étaient premiers, comme en Afghanistan ou encore en Irak. Si les indicateurs des moyens de puissance coercitive (ou hard power) de la France démontrent un certain déclin de leurs forces, c’est aussi sa capacité d’influence à l’international qui connaît une perte de vitesse. 

Une capacité d’influence en déclin, entre concurrences et déclassement

Le diagnostic de la faiblesse grandissante de la France sur la scène internationale doit également concerner ses moyens de puissance moins traditionnels que sont la puissance militaire et la force de sa diplomatie (analysés ci-dessus). La perte d’influence française peut se mesurer objectivement par sa position dans des classements internationaux de différentes natures. Par exemple, le classement de Shanghai (ou Academic ranking of world universities), place l’ENS à la 40e place et Sorbonne Université à la 43e place derrière les grandes universités asiatiques et américaines en 2022 quand le classement Pisa (Programme for international student assessment) publié par l’OCDE en 2019 classe la France 23e sur 79 pays évalués après avoir effectué des tests sur des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, culture mathématique et culture scientifique. Dans le domaine technologique et des innovations, la France  stagne au 12e rang du Global Innovation Index en 2022 derrière la Suisse, les Etats-Unis, les pays scandinaves, La Royaume-Uni, l’Allemagne, Singapour, la Chine et la Corée du Sud. Sa désindustrialisation initiée depuis les années 1960 provoquant la perte des savoir-faire français en est sans doute la cause majeure, alors que l’on tente d’attirer des investissements étrangers dans un pays où près de 64% des biens manufacturés achetés par les ménages sont importés. Le cumul de ces déclassements thématiques aboutit à un déclassement généralisé de la puissance française, pouvant être perçu dans le classement des pays par leur PIB, la France étant désormais 7e après l’Inde, pays pourvu d’un IDH de 0,645 points…

Un indicateur un peu plus délicat à saisir quant au déclin de l’influence française consiste en l’appréciation des capacités de projection de son rayonnement notamment culturel à l’international. Si la promotion de la culture et de l’identité françaises connaît une situation exceptionnelle grâce au réseau d’ambassades constituant un  tissu d’une incroyable densité (le réseau diplomatique français occupe la 3e place à échelle mondiale), la France doit désormais faire face à une concurrence qu’elle n’a pas connue dans la première moitié du XXe siècle. En effet, la culture américaine a su envahir les sociétés occidentales dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale pour en faire de véritables bastions de promotion de son modèle et ainsi étendre sa puissance. Ce processus efficace s’inscrit véritablement dans le temps long et l’on connaît aujourd’hui ses manifestations dans toutes les sphères possibles : dans l’enseignement, la politique, le cinéma, ou encore les modes de consommation. Les exemples ne manquant pas, on pourrait toutefois avancer que la subversion de la langue française par des tournures et des mots issus de l’anglais témoignent de l’immixtion la plus vicieuse, opérant un façonnage d’une pensée davantage propice à l’Empire américain. Comment alors promouvoir la culture française à l’étranger alors que la défense de cette dernière au sein même de son territoire est mise en question ? 

La conséquence de cette perte de puissance indirecte (ou soft power) se traduit jusque dans les plus hautes considérations, au sein des organisations internationales où la voix française perd en importance et en considération. La France se trouve alors dans une situation encore plus infernale que celle condamnée par Machiavel (« Il est plus sûr d’être craint que d’être aimé. ») et en n’étant ni crainte, ni aimée, ne provoque que l’indifférence de ses pairs. La manière dont les troupes françaises de l’opération Barkhane furent reconduites du territoire malien démontre non la crainte de la France mais bien l’absence de considération voire de respect envers des autorités françaises. La mise en cause de l’autorité française se traduit dans d’autres événements ayant démontré la perte de la France de sa position stratégique sur l’échiquier international, ne parvenant pas à surmonter de nouvelles concurrences et subissant alors un déclassement sur de nombreux plans. 

Sortir du déclin, un rebond possible ?

Ce portrait de la position internationale de la France peut paraître assez – voire trop – acide. Si les indicateurs de cette perte de puissance sont univoques, il faut pourtant poser la question d’un possible rebond de la France dans l’échiquier international. Les périodes de profonde torpeur n’ont-elles pas toujours été une occasion de résurgence entraînant une ère de rayonnement ? Certains indices peuvent permettre d’adopter cette analyse, notamment celui de la prise de conscience de la société civile d’un tel déclassement, lui en faisant subir les conséquences  dans son quotidien. C’est aussi une certaine partie de la classe intellectuelle qui évoque davantage ce déclin et pose ce diagnostic que nous avons esquissé ci-dessus. La sortie du déni serait un premier pas mais le véritable rebond repose sur la volonté de la classe politique qui se doit de redéfinir la politique étrangère française afin d’en faire rayonner l’identité et la puissance de nouveau. L’horizon d’événements internationaux tels que les Jeux Olympiques à Paris en 2024, acquiert alors une portée qui ne se limite pas à sa seule bonne organisation. Si le rebond paraît possible, il est surtout nécessaire pour permettre à la France de maintenir sa place ; pour cela elle doit avoir une voix qui porte, qui se fait entendre et qui n’est pas noyée dans le brouhaha de la foule d’Etats qui cherche à la faire taire.

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Louise Swann

Responsable du pôle "rédaction" de l'antenne Paris de l'Etudiant libre
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