L’Action Française est un mouvement royaliste qui voit le jour dans une France animée par une série de scandales – notamment celui des décorations ou encore du Panama, dans un contexte politique sulfureux en pleine affaire Dreyfus, à la suite de l’épopée Boulanger. Nait en 1899 sous l’impulsion de Maurice Pujo et Henri Vaugeois, le Comité de l’Action Française se constitue autour de sa revue. Il milite pour rendre à l’armée la grandeur qu’elle mérite tout en pointant le danger qu’est l’Allemagne dans un esprit revanchard. C’est la revue qui donna donc le nom au mouvement : l’Action Française. Charles Maurras rejoindra cette aventure à partir du deuxième numéro. La revue commence à évoluer avec la création d’un institut de pensée alternatif en plaidant pour une rupture avec le régime républicain. Rupture non souhaitée à l’origine par Pujo et Vaugeois, mais que le jeune Maurras, prônant un « nationalisme intégral », arriva à faire prendre à la revue et plus largement à cette école de pensée. Le centre de formation, ouvert en 1906 fait suite à la création, un an auparavant de la Ligue de l’Action Française ainsi que la Fédération des Étudiants la même année. En 1908, les Camelots du Roy furent institués. Ainsi, après cette brève introduction, il s’agit de s’interroger sur la chronologie des organes militants ainsi que les caractéristiques idéologiques des militants de l’Action Française à travers quelques points de la pensée maurrassienne.
De la naissance à la Seconde guerre mondiale : l’apogée de l’AF et des Camelots du Roy
Les camelots du Roy sont créés à l’initiative de Maurice Pujo qui les charge de vendre le journal de la ligue à la sortie des églises parisiennes (d’où leur nom). Ils s’illustrent dès leur création en 1908, avec l’affaire Thalamas. Amédée Thalamas fut dénoncé pour s’en être pris à sainte Jeanne d’Arc lors d’un cours en 1904. C’est le député nationaliste Georges Berry, dont le fils était dans cette classe, qui propulse ce fait divers sur la scène publique en tant que « problème de Condorcet ». La controverse s’installe puisque la Petite République après un travail d’enquête approfondi énonce les faits suivants : « C’est alors que M. Thalamas mit en garde son jeune auditoire contre la conception sentimentale des faits ; il leur démontra que la légende de Jeanne d’Arc, soumise à la critique historique, se modifie considérablement. Jeanne d’Arc joua un rôle plutôt effaré, à Orléans, et son procès, qui nous indigne à juste titre, fut pourtant pour les gens de l’époque, de mentalité catholique, une chose légale, contre laquelle nul ne songea à protester. Et c’est tout. » Mais l’affaire prend de l’ampleur dans un contexte d’instauration de la laïcité. C’est à travers des journaux interposés que les Républicains, les Nationaliste et autres Royalistes se livrent une bataille. Des manifestations nationalistes furent organisées en défense de l’honneur de la pucelle. La situation est telle que le ministre Chaumié, en charge de l’Instruction, est contraint de blâmer Thalamas et de le muter au lycée Charlemagne. Action qui eût pour conséquence d’attirer les foudres d’un Clemenceau qui s’insurgea dans l’Aurore : « Où s’arrêtera-t-on ? On déplace M. Thalamas pour n’avoir pas de conflit avec trois collégiens. Et l’on livre ainsi du coup toute l’Université à la merci de ses pires ennemis, qui sont les ennemis de la République d’abord […]. Il n’y a plus de sécurité pour les professeurs, puisqu’il est établi désormais qu’ils ne seront pas défendus. Ou plutôt il n’y a de sécurité pour eux que dans la protection de l’Église, l’État républicain se refusant à remplir son devoir. » Le niveau monte encore d’un niveau avec un échange virulent entre Paul Déroulède et Jaurès qui s’est conclu par un duel au pistolet au cours duquel aucun des deux politiques ne fut touché. Cette affaire se calme jusqu’en 1908 ; moment où Thalamas est nommé à la Sorbonne. La naissance récente des Camelots les incite à s’affirmer dans les facultés en s’en prenant dès son premier cours au professeur comme le raconte La Gazette Nationale : « L’assistance était houleuse. On frappait avec les cannes sur le parquet, et on se préparait à faire au franc-maçon une réception de Grenoble. Seuls, aux premiers bancs, quelques étudiants étrangers, accompagnés d’une demi-douzaine de Juifs, restaient tranquilles. A cinq heures, l’appariteur apporte le traditionnel plateau avec le verre d’eau sucrée. Et M. Thalamas fait son entrée […]. Des projectiles divers, des œufs qui ne sont pas de la première fraîcheur, des boulettes de terre glaise à modeler, s’abattent sur le tableau […]. A ce moment, un jeune homme — c’est notre ami M. Maxime Real del Sarte — qui avait eu le courage de se placer au beau milieu de l’escouade des dreyfusards, escalade la chaire, prend la tête de Thalamas sous son bras, et lui administre une paire de gifles bien appliquées. Les dreyfusards s’élancent sur la chaire pour dégager M. Thalamas. Mais les étudiants interviennent, et infligent aux Juifs et aux étrangers une correction dont ils se souviendront longtemps. On ne les y reprendra plus, à se frotter aux Français. ». Coup d’éclat défendu par Léon Daudet dans L’Action Française. Quant à Barrès, sans approuver l’action des Camelots, se contente de rappeller la réputation du professeur calomnieux. La Sorbonne se retrouvait assiégée par des Royalistes menés par Pujo. Les Nationalistes et leurs camarades tentèrent à leur tour d’envahir le ministère de la Justice – ce qui se solda par l’arrestation de plusieurs insurgés. Face à cette explosion de violence, les royalistes seront jugés devant la 11e cours juridictionnelle. Pujo se justifie ainsi :« Je nie toute violence et voie de fait personnelles sur M. Thalamas. Je dirai simplement que si je n’ai exercé aucune violence, je reconnais et proclame le premier que, dans cette affaire, je suis le plus coupable. C’est moi qui ai organisé l’expédition qui s’est terminée par la fessée de M. Thalamas (hilarité). Je vous dirai même que mes camarades ici présents ignoraient où je les menais. Je revendique donc toute la responsabilité de ce nouvel acte de notre défense de Jeanne d’Arc ». Dans un souci d’apaiser la situation, les prévenus seront libérés. Ce premier coup d’éclat affirme la ligne militante de cette organisation : jeune et prête à défendre « la plus sublime héroïne de toute notre héroïque histoire » (pour citer Paul Déroulède) . C’est le premier acte de violence d’une longue série avec par exemple le lynchage de Léon Blum par des militants royalistes au moment des obsèques de Jacques Bainville en 1936.
Puis survint le 6 février 1934 : l’apothéose de l’Action Française. C’est une manifestation qui fut lancée suite à un mécontentement populaire à propos des scandales de corruption à l’issue de l’affaire Stavisky et aux premières conséquences de la crise américaine de 1929 sur l’économie française. Le renvoie de Jean Chiappe (préfet de police écarté pour sa proximité avec les milieux royalistes et nationalistes) met le feu au poudre : les ligues organisent une grande manifestation le 6 février 1934. Au son « d’A bas les Voleurs » les jeunes camelots et militants nationalistes, descendent dans la rue. Mais derrière le récit raconté par les partisans royalistes, le 6 février 1934 n’est pas une victoire en grande partie à cause de l’incapacité de ses chefs à gérer un tel mouvement de foule. « Derrière l’immense vague de l’indignation populaire, il n’y avait que de louches et vaseux personnage, comme La Rocque, ou des écrivains, des théoriciens lucide mais trop vieux, qu’on eût désarmés parfaitement en leur ôtant leur encrier, prônant la supériorité de l’action en soi mais incapable de lui assigner dans le concret le plus modeste objectifs, de lui donner une ébauche de vouloir « agir » leur idée » écrivit Rebatet dans Les Décombres. On ne peut nier l’importance d’un tel mouvement qui a renversé le gouvernement de Daladier au profit d’un gouvernement d’Union Nationale, mais qui fut aussi la démonstration de la faiblesse de chefs vieillissant incapables de coordonner une action de masse. Cette journée aurait pu durablement changer l’histoire de France, mais « les vainqueurs malgré eux étaient restés interdits et inertes comme des chartrés devant une Vénus offerte » (Lucien Rebatet, Les Décombres).
La Seconde Guerre mondiale fut un moment de déchirement entre les militants de l’Action Française. Résister ou collaborer ? Telle est la question ! Maurras se rangera du côté de la collaboration en aidant Pétain à mener « sa Révolution Nationale » : simple utopie de deux vieillards. Ainsi, le militantisme royaliste s’est transformé soit en action de résistance avec notamment la figure de Daniel Cordier, adjoint de Jean Moulin et Compagnon de la libération, ou alors en un engagement sur le front de l’Est. Comme les autres ligues, l’Action Française peine à se reconstituer après la guerre. C’est ainsi qu’après-guerre la Restauration Nationale voit le jour en 1955 patronné par d’ancien Camelot du Roy avec Pierre Juhel et Louis Olivier Roux dans le contexte de la guerre d’Algérie.
Une tentative de renouveau :
En 1968, les mouvements royalistes entendent eux aussi avoir un rôle à jouer dans la révolution étudiante. Mais l’interprétation des événements fut un sujet de controverse : « Mai 68 constitua un autre événement important aussi bien dans la mémoire des acteurs d’AF que dans les discours organisationnels ultérieurs, insistant sur le fait que l’attitude initiale fut au départ une condamnation de la rébellion, suivie ensuite d’une tentative de récupération. La première réaction fut de considérer la contestation comme une “menace marxiste“, ce qui impliqua de commencer à organiser dans la rue la “contre-révolution“. Le déplacement de la contestation de Nanterre aux universités du Quartier Latin et l’entrée en lice de contre-manifestations gaullistes obligent l’AF à réétudier la stratégie à suivre » (Humberto Cucchetti, (2015). « De la nouvelle action française à la nouvelle action royaliste: Analyse du processus de mutation militante à partir d’une trajectoire organisationnelle nationaliste. »). Les récupérations politiques de ces événements provoquèrent d’importantes tensions internes qui donnèrent jour en 1971 à la nouvelle Action Française. D’après Humberto Cucchetti cette nouvelle organisation est le résultat la scission de deux groupes différent cohabitant avec d’un côté un mouvement « en quête d’une reforme des organisations » et un autre qui « incarnait déjà une opposition idéologique à la gestion de Pierre Juhel et Pierre Pujo dans la direction de l’AF ». Ainsi, l’AF était confrontée en interne à une critique organisationnelle et idéologique « entre réalisme politique et utopisme de droite ». Face à une nuance traditionaliste et une autre fascisante certains se sont tournée vers Ordre Nouveau.
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La NAF fut assimilée à un échec ce qui incita certains éléments à quitter le navire ; à cela, s’ajoute un conflit entre les gaullistes et les pro-OAS. C’est ce qui poussa une figure du mouvement, Bertrand Renouvin, à se présenter à l’élection présidentielle sous l’étiquette royaliste. L’Héritage maurrassien dans le contexte des années 70 est soumis à un grand nombre de débats, particulièrement autour du conservatisme et du social. Une branche royaliste s’ouvre alors à gauche, ce qui amena beaucoup à cette réflexion : « l’Action française n’est plus synonyme de royalisme ». Pour faire face, des journées de formation sont organisées par les membres fondateurs. Ces conférences étaient l’occasion de débattre autour de livres, de projections de film, etc. Afin de casser avec son image négative, la NAF devient la Nouvelle action Royaliste. À cela s’ajoute une volonté de faire de ces après-midi de formation, « ces mercredis », une vitrine pouvant attirer des intellectuels français et renouant avec la tradition de l’école de pensée.
Dans les années 80, des figures de courants se retrouvent à occuper des postes importants. « Depuis 1984, avec Renouvin à sa tête, plusieurs membres de la NAR ont assumé diverses fonctions au Conseil Economique Social. Le poste de Conseiller fut attribué à Renouvin par Mitterrand lui-même. À dater de cette décennie, la NAR a participé activement aux réseaux anti-racistes et constamment dénoncé le parti de Jean-Marie Le Pen (Renouvin, 1997) » (H. Cucchetti, ops. cit.). Un glissement s’est quand même opéré avec des royalistes de plus en plus souverainistes, tout en demeurant dans le pôle républicain avec l’exemple de Chevènement. Ces dissensions internes et externes furent la période de transition où les royalistes commencèrent à penser le royalisme sans Maurras. Aujourd’hui, la volonté est de retourner à une esthétique et redevenir une école de pensée unie autour d’un royalisme s’étant dépassé de Maurras. Jacques Prévotat, dans son Que sais-je sur L’Action Française, reprend l’analyse de Raoul Girardet qui « distingue cinq rameaux issus de l’Action française : le groupe des fidèles réunis autour d’Aspects de la France, les novateurs qui fondent La Nation française, les nostalgiques de Vichy et du fascisme, les intégristes religieux et, enfin, les écrivains de la jeune droite littéraire et frivole, ennemis de l’engagement politique. On assiste donc à un éclatement du maurrassisme qui implique une liberté plus ou moins grande par rapport au système, tel qu’il a encadré les ligueurs pendant près d’un demi-siècle ». Il met en avant par ailleurs une force du royalisme : la présence de nombreux intellectuels qui ont permis un bibliographie enrichissante dont se nourrit la jeunesse royaliste d’aujourd’hui.
Les caractéristiques idéologiques de l’Action Française :
Pour cette partie, nous pouvons nous appuyer sur son manifeste présent sur leur site. 2 points s’en dégagent : la restauration de la monarchie et la défense de l’intérêt national.
Pour ce qui de la restauration de la monarchie, il s’explique ainsi : « C’est en jugeant les institutions selon leur capacité de faire vivre la nation française ou de la conduire à la décadence que les fondateurs de l’Action française ont conclu à la nécessité de restaurer la monarchie. » Il énumère alors les avantages de la monarchie et ses apports à la société civile. Nous retrouvons d’abord l’unité qui leur apparaît essentielle pour une « indépendance nation », puis la continuité permettant l’instauration de mesures durables. Ensuite, ils évoquent l’indépendance en opposition à l’administration centralisée d’un pays, la responsabilité du suzerain forte face à un pouvoir démocratique diluant les responsabilités de chacun. Point essentiel : la légitimité. « L’État royal puise sa légitimité dans l’histoire et les services qu’il a rendus au pays au cours des siècles […] la monarchie traditionnelle, chrétienne, héréditaire, décentralisée et représentative a fait la France et l’a conduite à son apogée » ; évoquée, une monarchie catholique par des partisans d’un idéologue athée, qu’était Maurras, peut paraître ironique.
Puis, il est fait mention de la défense de l’intérêt national : « L’Action française convie tous les Français à se rassembler sur le seul terrain politique afin de sauvegarder la nation française et de lui rendre les institutions qui garantiront sa pérennité. Seule la monarchie répond aux besoins d’autorité, de libertés et de représentation du pays réel et peut permettre à la France de faire face aux enjeux du monde moderne ».
Néanmoins, ils oublient un point, c’est l’Europe. Thème détesté par les partisans de l’Action Française, qu’ils laissèrent historiquement aux fascistes et nationalistes (malgré les écrits de Maurras à ce sujet).
Conclusion :
L’article peut paraître superficiel, puisque par exemple la condamnation de l’Action Française par le Vatican en 1926 n’est pas évoquée ; assurément cet article n’est pas une histoire de l’AF mais une analyse thématique autour du militantisme dans une organisation – ce qui peut justifier cette impression. Néanmoins, l’aspect historique est important pour poser le contexte, mais non-essentiel, l’aspect principal est tout d’abord les structures qui nous précèdent et celle s que l’on connaît aujourd’hui – c’est-à-dire Action Français jouant encore son rôle d’institut de pensée que ce soit par des week-ends de formation ou encore des conférence à travers la France grâce à leurs sections locales héritées du passé.
Toutefois, l’intérêt des jeunes pour ce mouvement centenaire peut en étonner certains. Comment le royalisme peut attirer la jeunesse ? Le contexte des origines ayant changé, un retour à une monarchie paraît utopique et les problèmes de la génération de Maurras ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Voilà tout un ensemble d’interrogations qui traversent la génération actuelle de militants de l’AF, et auxquelles elle tente d’apporter ses réponses, à sa manière.
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