L'Étudiant Libre

ENTRE DEUX TOURS : Du bilan à mi-chemin à la certitude de la nécessité du vote Marine

28-23-22 : loin d’un heureux tirage au sort à l’Euro-millions, c’est un résultat inédit dans l’Histoire de la Ve République. C’est en effet la première fois qu’on assiste à l’émergence de trois pôles fondamentalement antithétiques dans une triangulaire à plus de 20% à l’issue du 1er tour. Autre fait marquant, jamais l’extrême gauche n’a été aussi proche du second tour ; il faut remonter aux 21% du communiste Jacques Duclos à l’élection présidentielle de 1969 pour retrouver cette famille politique en 3e position d’une élection présidentielle.

 

 

Le constat d’une France toujours plus fracturée

Que tirer comme analyse de ces résultats, après une bonne semaine de recul ? Plusieurs choses. Déjà, en comparaison avec 2017, on constate une polarisation aux extrêmes du corps électoral : soit extrême-libéral, soit extrême-souverainiste, soit extrême-gauchiste (les qualificatifs traditionnels manquent en effet devant la ligne floue de LFI, ni totalement marxiste ni totalement islamiste). En outre, ce n’est pas la première fois que l’on obtient un podium serré : pour rappel, en 2017, on avait même un 24-21-20-19,5. Seulement, suite à l’effondrement remarquable de feu l’UMP, l’écart s’est creusé entre les trois nouveaux grands pôles de la société française, accentuant le constat de Jérôme Fourquet sur la fragmentation du territoire. Ce qui n’augure pas des lendemains qui chantent vers un temps des cerises, mais à la limite, de cela on était déjà au courant.

Cette fragmentation du territoire se caractérise également dans la géographie électorale.

  • Les candidats « urbains » sont nettement E.Macron (Ouest parisien, Lyon, Bordeaux, Nice) et J.L. Mélenchon (Est parisien, Marseille, Toulouse, Nantes, Strasbourg). M. Le Pen, sur les 10 plus grandes villes de France, ne se place au second tour qu’à Marseille.
  • Dans la ruralité, on constate une division assez nette entre marinistes (Nord, Est, pourtour méditerranéen) et macronistes. Mélenchon peine à séduire en zone rurale, à l’exception de l’outre-mer, de l’Ariège et de quelques fiefs dans la partie méridionale de la France. Il est à noter que l’on retrouve une certaine cohérence globale avec le référendum de 1992 sur le traité de Maastricht : les zones favorables au « oui » (Alsace, Bretagne, Alpes et Pyrénées occidentales) ont soutenu le président-candidat

Les trois partis en tête ont augmenté leurs scores de 2017, ce qui ne constitue pas une surprise pour LFI qui a profité de la l’apathie du PS et d’EELV, ainsi que pour LREM qui s’est nourrie de la chute de LR. Marine Le Pen, alors qu’on aurait pu croire son électorat divisé, enregistre de manière remarquable une hausse de 2 points. Et c’est là le principal fait divers de cette campagne présidentielle : le mauvais score d’Eric Zemmour à 7% alors que certains sondages le prévoyaient au coude-à-coude avec le RN en février.

Sur ce dernier point, il convient de s’arrêter quelques instants. Brisons l’omerta : malgré le ralliement de figures historiques du RN à REC, l’électorat frontiste s’est maintenu. Il a même augmenté. Eric Zemmour, pour des raisons diverses, tant de vote utile que de convictions, n’a pas réussi à séduire l’électorat -pourtant patriote- du RN. Mais alors, qui donc a voté Eric Zemmour ? Si l’on décortique les 20% de F. Fillon en 2017, que l’on soustrait les 5% de Pécresse et les 4% d’augmentation de Macron, on se retrouve avec 11%, dont on peut raisonnablement estimer qu’un grand nombre (les fameux 7%) a choisi de voter pour Eric Zemmour en 2022.

L’échec électoral de la stratégie d’union des Droites

Cet électorat, si l’on devait le caractériser, est en grande partie un électorat bourgeois, sensible aux questions identitaires et civilisationnelles, surreprésenté chez les catholiques pratiquants, et porté aux nues par une jeunesse impliquée et militante. Cette caractérisation s’appuie sur des signes qui ne laissent que peu de place au doute : les seules villes importantes où le journaliste-candidat est arrivé au second tour sont Neuilly-sur-Seine, Versailles et Saint-Tropez. Et même si l’auteur concède volontiers que la cathosphère est assez difficile à cerner dans cette myriade de pourcentages (il anticipe d’ailleurs les remarques du genre il n’y a pas que des catholiques à Versailles), il livrera volontiers avec un rictus amusé les résultats suivants : E. Zemmour est en tête dans les municipalités du Barroux et de Flavigny-sur-Ozerain. Libre à chacun de croire au hasard…

L’après-2022 verra la nécessité impérieuse de rectifier la situation au sein de la Droite Nationale. Il faut que chacun comprenne que nous avons frôlé de la catastrophe. Si ne serait-ce que 2% d’électeurs frontistes avaient rallié Reconquête au 1er tour, nous aurions eu à choisir entre Mélenchon et Macron au second. E. Zemmour a eu le mérite de polariser le débat sur l’immigration et l’identité nationale, de faire part de réflexions intéressantes sur des sujets sur lesquels on ne l’attendait pas forcément, tel le dilemme éolien/nucléaire ou le permis à points, néanmoins, il est difficile de constater autre chose que son échec dans sa volonté de rassembler… alors que c’était bien le but original et légitime. On juge l’arbre à ses fruits. Sa campagne, haute en couleurs, portée par une équipe com qui s’est visiblement inspirée de celle menée par D. Trump, a inondé de manière remarquable les réseaux sociaux. On peut véritablement parler de la première campagne 3.0 en France. Seulement voilà : la stratégie de martèlement du « vote caché » n’a pas suffi.

Quelles raisons à cet échec ? Comme souvent, elles sont multiples. Déjà, que cette erreur ait été volontaire ou involontaire, il y a clairement eu un déni d’iceberg. On n’a pas voulu accepter, du côté de Reconquête, que la ferveur d’une certaine jeunesse exaltée, BCBG et revendicatrice, pouvait cacher une importante faiblesse du candidat dans l’électorat populaire. En résumé : Zemmour a plu à la génération Manif pour Tous, mais pas à la génération Johnny Halliday. Le social a péché, et il est extrêmement dommage de répéter une fois encore l’expérience du Front National des années 2000. Factuellement, les avancées conséquentes du parti en termes électoraux sont conséquentes de la stratégie de dédiabolisation et du fameux « virage social » opéré sous l’égide de Philippot. Qu’on soit d’accord ou pas, c’est une stratégie qui fonctionne, et qui permettra un ralliement inédit d’électeurs LFI dans les bras du camp national au second tour. On peut douter que ce ralliement aurait été de même nature si E. Zemmour s’était positionné en dauphin. L’électeur-type du RN, prolétaire picard ou employé languedocien, n’a tout simplement pas « acheté » l’alliance des Droites : il se sent d’ailleurs plus proche de Mélenchon que de Pécresse ou Fillon. L’auteur étant originaire du Midi, il peut vous assurer d’un phénomène assez incompréhensible pour un Parisien : à l’issue d’un Perpignan-Narbonne (villes d’ailleurs historiquement rouges), à la buvette, il n’est pas rare d’entendre des propos du style « moi j’ai toujours voté socialiste/communiste, je vote toujours Mélenchon, mais quand même, on n’est plus chez nous. ». La jonction des extrêmes, décriée par E. Zemmour bien avant son engagement en politique, possède une réalité malgré tout, bien aidée en cela par la figure cristallisatrice d’E. Macron.

Ce qui doit ressortir de cet échec en termes de leçons bassement électoralistes, c’est un rappel du principe même de la démocratie : le « despotisme de la majorité » théorisé par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. La ligne libérale-identitaire, ce qu’on jadis on appelait la ligne de Villiers, ne rassemble pas. Et sans masses, on n’est pas élu. Comme on dit dans l’armée, règle des 5C : C’est Con mais C’est Comme Ca… D’autant que certains points particuliers, tels que l’interdiction du voile dans l’espace public (repris d’ailleurs assez maladroitement par le RN) ou la polémique des prénoms, sont rédibitoires pour un certain nombre d’électeurs, pas que gauchisants…

Autre point à retenir : une jeunesse visible et militante ne laisse jamais présager d’un raz-de-marée électoral. La voix d’un jeune compte autant que celle d’un vieux. Ces derniers sont nombreux, et votent tous LREM. Faites le calcul… Du reste, le fait que le public de retraités et de cadres supérieurs d’Emmanuel Macron soit moins prompt à s’ambiancer au Touquet que la jeunesse militante du Trocadéro dans une joyeuse ambiance mi- Puy du fou mi- Manif pour Tous ne constitue pas non plus une surprise délirante pour quiconque connaît un minimum l’Histoire… Les jeunes fascistes de Rex, de la Phalange Espagnole ou des Blueshirts irlandais constituaient eux aussi une avant-garde convaincue… leur conquête du pouvoir, pour ceux qui y ont accédé, n’est jamais passée par les urnes…

On pourra également râler sans fin sur le débat de l’utilité des sondages qui feraient choisir un vote utile plutôt qu’un vote de conviction. Mais de deux choses l’une : personne ne peut affirmer que seul l’électorat Reconquête a des convictions (à moins d’avoir une très haute estime de soi-même… ou de sa caste), et surtout, l’électorat de gauche, lui, a voté utile. Il n’est pas passé loin de l’exploit du tout (la faute aux communistes !). Et il y a fort à parier qu’à la prochaine élection, il ne fasse pas deux fois la même erreur. Ajoutez à cela le fait que l’abstention est extrêmement haute dans les quartiers à forte population musulmane et africaine et que le jour où ces Français (parce qu’ils sont Français, et que leur voix vaut la vôtre) seront mobilisés en masse pour un candidat, a fortiori d’extrême gauche, on risque d’avoir des surprises dans les urnes… Les sondages existent, ils ne sont pas infaillibles, mais un vote caché qui transformerait des 11% en 22% par magie, ça n’existe pas. Pas plus que les miracles en démocratie. Les marges d’erreur, elles, en revanche…

Et maintenant ?

Quoiqu’on en dise, Marine Le Pen fait une campagne plus que correcte, son progrès dans les urnes par rapport en 2017 l’atteste. Ses interventions et ses disputations, de mêmes que celles du jeune Jordan Bardella, témoignent d’une réelle remise à niveau sur tous les dossiers. Son programme est chiffré, détaillé et clair. On peut légitimement questionner certains points, mais on ne saurait remettre en cause sa primauté par rapport au « projet » libéral-libertaire au service des Etats-Unis d’Europe d’Emmanuel Macron.

Il faut garder à l’esprit que, à ce jour, la droite patriote fait à peine 32%. La gauche sociétale au sens large, c’est-à-dire le camp immigrationniste et progressiste (et peu importe sa vision de l’économie, à l’arrivée son projet se solde nécessairement par la fonte de la nation ou dans l’Afrique, ou dans l’Empire libéral, voire un mélange des deux), de LREM à Poutou, représente 55% du corps électoral. Plus de la moitié des Français, malgré 330 morts du terrorisme au nom d’Allah depuis 1979, souscrit toujours à la thèse de l’immigration chance pour la France et au multiculturalisme heureux et apaisé. Les boomers ne votent qu’avec leur porte-monnaie et leur masque, se préoccupant uniquement de leurs retraites (qui, dans leurs cas, ont commencées à 60 ans) et de leurs vaccins après avoir aspiré telle la dernière particule de moëlle la prospérité tranquille des Trente Glorieuses. Donc oui, si l’on prétend conquérir le pouvoir par les urnes, il faut une stratégie électorale. Et Oui, il faut des éléments de langage.

Alors maintenant, plutôt que de régler les comptes avant l’heure, un seul mot d’ordre doit prévaloir. Il a été donné par Eric Zemmour lui-même, entre autres : pas une voix des électeurs de Reconquête ne doit manquer à Marine Le Pen au second tour. Question de cohérence. Déjà parce que, comme nous l’avons suffisamment martelé au risque de nous répéter, les deux programmes sont similaires à 90%. Ensuite, parce que si, comme l’a dit Eric Zemmour, l’enjeu de cette élection est véritablement civilisationnel, s’abstenir voire donner sa voix au candidat de la GPA, de l’euthanasie et la poursuite de l’immigration de remplacement, constituera un véritable acte de schizophrénie mêlée de mauvaise foi bassement partisane. Enfin, parce que les possibilités de victoire pour la Droite Nationale n’ont jamais été aussi fortes.

Donc, trêve de linge sale. Il y aura tout le temps de le laver en famille, après l’élection. De la même manière qu’aucune voix du RN n’aurait dû manquer à Eric Zemmour s’il était passé au 2nd tour, pas une voix de Reconquête de doit manquer à Le Pen. Le débat de l’entre-deux-tours doit avoir un seul but : convaincre les électeurs LFI qu’il vaut mieux une droite patriote et protectionniste qu’un centre libre-échangiste aux ordres de la Finance Mondiale. Pour ce qui est des électeurs de droite, chrétiens ou pas, mais patriotes simplement, Marine Le Pen pourrait danser la polka sur la table, leurs mains ne devront pas trembler samedi prochain. Quant à ceux qui trahiront, qu’ils aient au moins la décence d’arrêter de se draper dans les plis du drapeau ou dans la dentelle des soutanes quand ils parlent de politique…

 

« Ce que je brocarde, en fait, c’est surtout la frilosité, la lâcheté, la démission des nantis, des privilégiés, des héritiers qui liquident l’héritage… Je n’aime pas les gens qui ont beaucoup reçu et qui ne redonnent rien…  Je n’aime pas les gens qui pensent devoir leur statut avantageux du moment à leurs seules qualités personnelles ou familiales alors qu’ils sont le fruit d’une histoire, d’une terre, d’un pays et des sacrifices immenses consentis par l’ensemble d’un peuple… Je n’aime pas les gens qui veulent simplement sauver le décorum et les conventions du « monde d’avant » … Ce que je reproche à la droite « conservatrice et catholique », c’est d’être, en réalité, libérale et pharisienne. »

Xavier Eman

« Nous n’appartenons pas à cette droite qui est non seulement la plus bête, mais la plus lâche du monde, et qui a fait faillite. Nous sommes profondément conscients de l’injustice sociale qui existe en France par suite du conservatisme étroit de certains possédants et à cause de certaines formes immorales du capitalisme. Nous sommes conscients des réformes profondes à réaliser pour aboutir à plus de justice sociale. »

Jean Bastien-Thiry

ENTRE DEUX TOURS : Du bilan à mi-chemin à la certitude de la nécessité du vote Marine
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