Tout le monde se souvient des faits : dans l’après-midi, le franco-marocain Radouane Lakdim, islamiste radicalisé, se confine dans un supermarché à Trèbes avec plusieurs otages. Lorsque la gendarmerie arrive sur place, le soldat d’Allah a déjà exécuté deux personnes. Arnaud Beltrame fait alors un marché avec le terroriste : il consent à se constituer otage si ce dernier libère un des civils prisonniers. Surpris, Radouane Lakdim s’exécute, et libère une femme, d’ordinaire caissière du supermarché. Quelques minutes après, ayant pris soin de laisser son téléphone allumé pour que ses troupes puissent l’entendre, l’officier de gendarmerie attaque son agresseur. Un corps à corps s’ensuit, et ce dernier parvient à s’en sortir uniquement d’un coup de couteau de chasse. Un assaut du GIGN intervient immédiatement après : le terroriste est abattu, les otages sauvés, et Beltrame est transporté d’urgence à l’hôpital de Carcassonne. Touché par quatre balles et poignardé à la gorge, il succombe à ses blessures dans la nuit.
L’attitude héroïque du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame est par la suite saluée en France et dans le monde entier. Les hommages viennent de tous les bords, et chacun acclame le « héros ». Une formidable cohésion nationale s’en suit alors, le temps de quelques jours. Aujourd’hui, la mémoire de l’officier de gendarmerie perdure : plusieurs promotions militaires ont l’honneur de porter son nom, des rues et des squares ont été renommés en reconnaissance, enfin le personnel politique lui rend hommage chaque année à la date du 23 mars. Pourtant, si tout le monde se prête au jeu, bien peu nombreux sont ceux qui réfléchissent à la question la plus fondamentale que soulève cet acte : comment trouve-t-on le courage d’être Arnaud Beltrame ? Comment être un héros de la Nation et sacrifier sa vie pour elle ?
À une question infiniment difficile, la réponse est paradoxalement simple : Dieu et la solidarité.
La foi est probablement le ressort le plus important du courage de Beltrame. Sa femme disait de son sacrifice que « c’est le geste d’un gendarme et le geste d’un chrétien ». Fervent croyant, bien que converti sur le tard, l’officier de gendarmerie est un catholique à l’ancienne : il allait à la messe le dimanche, faisait des pèlerinages, aimait les conversations avec les prêtres, et était sur le point de se marier à l’église. C’est pourquoi il n’a pas peur d’engager sa vie dans le service de l’autre . Sa constitution comme otage à la place d’une autre s’apparente à la charité chrétienne. Le lieutenant-colonel a un rapport à la mort qui lui donne une supériorité sur les autres : la vie humaine n’est qu’une étape et n’est pas une fin en soi. Ce réflexe magnifique lui permet de se transcender : il n’est pas qu’un être de chair réduit à sa simple individualité, il est part d’un corps collectif dont l’existence a un sens. La perspective d’une vie après la mort le rend plus fort et transcende sa condition. Ce formidable mécanisme renvoie à une idée très ancienne : face à la mort, la religion reste la seule pourvoyeuse de sens. Malgré le caractère anti-religieux de la modernité et les efforts de ses tenants pour séculariser les communautés, la religion reste un absolu indépassable de l’humanité. Contrairement à ce que l’on a pu penser à une époque, le besoin de spiritualité n’est pas une étape dans la conscience humaine, mais en est un aspect structurant.
L’autre ressort prépondérant dans le geste d’Arnaud Beltrame, c’est l’attachement viscéral à la Nation. Le parcours de l’officier témoigne d’un attachement sans faille à la France : étudiant au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, puis à l’EMIA de Saint-Cyr Coëtquidan, il choisit la gendarmerie et part vivre dans le département de l’Aude. Le jeune gendarme ne rêve pas d’argent et de célébrité ; il rêve de la gloire des armes et du service de l’autre. Il vit avec honneur, et pour lui les mots que sont « morale » ou « fidélité » ne sont pas dénués de sens. Le sacrifice de Beltrame est rendu plus facile car il a un sens à ce qu’il fait : il est au service des siens, au services des Français, donc de la France. C’était un patriote à l’ancienne, il ne redoutait pas la mort car il avait conscience de l’existence d’une histoire nationale qui le précédait et le transcendait. Les grandes figures du roman national sont ses modèles, et il sait qu’il aura l’honneur de les rejoindre dans l’Histoire. Notre époque l’oublie trop souvent, mais le métier des armes est un service et la Nation est une solidarité. La Nation est même la forme de solidarité la plus puissante inventée par l’Homme : c’est préférer les siens aux autres, le connu à l’inconnu, ce qui est proche à ce qui est distant. Les cérémonies nationales qui ont eu lieu alors nous rappellent que nous sommes tous membres de la même communauté. Ces réflexes ne sont pas anodins et démontrent leurs ancrages profonds dans le cœur des Français. En donnant sa vie pour sauver celles des autres, Arnaud Beltrame redonne un sens à ces valeurs. Solidarité et service, voilà deux mécanismes sociaux qui font un homme aussi exceptionnel qu’Arnaud Beltrame.
par Élouan Picault