L'Étudiant Libre

Arménie : la mort d’un peuple, l’UE voit flou

Depuis l’invasion des terres arméniennes d’Artsakh, en septembre 2020, l’Azerbaïdjan n’a pas délaissé ses  ambitions meurtrières. C’est le territoire souverain de l’Arménie qui est aujourd’hui sous son joug. 

L’Artsakh (ou Haut-Karabagh) est un petit territoire montagneux de 11 000 km² situé au sud du Caucase, pourtant le théâtre de 30 années de conflits meurtriers. 

Depuis toujours territoire arménien, du Royaume de Tigran à la Ière République d’Arménie, l’Artsakh est cependant rattaché à l’Azerbaïdjan lors de l’annexion des deux pays par l’Union Soviétique. 

Guerres d’Artsakh

En 1988, les Arméniens du Haut-Karabakh, alors oblast autonome d’Azerbaïdjan, lèvent la voix pour un retour officiel à l’Arménie. Des référendums sont organisés, Bakou les refuse. S’ensuivent la guerre et le massacre des populations arméniennes d’Azerbaïdjan (pogroms de Soumgaït et de Bakou). Il faut attendre le 2 septembre 1991 pour que la République d’Artsakh déclare unilatéralement son indépendance. 

En 1994, le territoire revient presque intégralement sous contrôle arménien. Un cessez-le-feu est signé la même année. Malgré cela, une multitude d’escarmouches éclate par la suite, notamment les affrontements d’avril 2016, faisant plusieurs centaines de morts.

Le 27 septembre 2020, au matin, l’Azerbaïdjan lance une offensive de grande ampleur sur toute la ligne de contact, brisant le cessez-le-feu. 45 jours plus tard, les forces arméniennes capitulent et les trois quarts du territoire sont restitués à l’Azerbaïdjan. Le 9 novembre 2022, les deux parties signent une déclaration tripartite sous l’égide de la Russie. Cette dernière arrête les affrontements et restitue sans combat sept districts à l’Azerbaïdjan. Elle déploie également des casques bleus russes le long de la frontière. Les forces azéries auront commis exécutions sommaires, mutilations et décapitations de militaires et de civils. 

Depuis la guerre, l’accalmie n’est que temporaire. Les forces de Bakou mitraillent quotidiennement les positions arméniennes et contribuent à maintenir une atmosphère de peur permanente. 

Une guerre qui s’étend

Le 12 septembre dernier, l’Azerbaïdjan bombarde non plus l’Artsakh, mais bel et bien le territoire souverain et reconnu de l’Arménie, notamment sa région du Syunik. Les affrontements font 202 morts côté arménien. La Russie, pourtant garante de l’intégrité territoriale arménienne, aura refusé de mobiliser ses troupes, disposant pourtant d’une base militaire à Gyumri. 

Ilham Aliyev, président azéri, ne cache pas ses intentions et revendique la région du Syunik comme région « historique » de l’Azerbaïdjan qu’il nomme « Zangezur ». Après avoir déclaré qu’il chasserait les Arméniens d’Artsakh comme des « cafards », il compte aujourd’hui mettre sa main de force sur une terre n’ayant jamais fait partie de l’Azerbaïdjan et pourtant reconnue internationalement comme territoire de la République d’Arménie. Les forces armées azerbaïdjanaises occupent aujourd’hui près de 70 km² du territoire arménien. 

Les intentions d’Aliyev ne sont pas anodines. En effet, l’Azerbaïdjan possède une exclave, le Nakhitchevan (autre territoire arménien cédé par l’URSS), avec laquelle elle n’a pas de lien direct – la route étant coupée par le sud de l’Arménie. Aliyev exige que l’Arménie « remplisse ses obligations » et qu’un corridor soit créé à travers le Syunik, mesure pourtant absente de la déclaration tripartite.

Le silence d’une UE complice 

Alors que ce n’est plus le Haut-Karabagh qui est attaqué mais bien l’Arménie, on est en droit de se demander pourquoi l’Union Européenne ne s’émeut pas comme elle le fait pour l’Ukraine, l’Arménie étant pourtant dans la même situation : attaquée sur son sol reconnu, et ce en parfaite violation du droit international. Ursula von der Leyen, présidente de la commission de l’UE, pourtant très bavarde sur la question ukrainienne, n’a toujours pas su formellement condamner les violations répétées de l’intégrité territoriale de l’Arménie par l’Azerbaïdjan.

Dénuée de honte, elle avait conclu en juillet dernier un accord gazier avec l’Etat du sud-Caucase. Elle se félicitait d’avoir trouvé une alternative de « confiance » à la Russie.

Refuser d’acheter le gaz d’un État parce qu’il est autoritaire pour acheter celui d’un État qui l’est encore plus, cela fait sens auprès de madame Von der Leyen. 

Le panturquisme : un idéal qui n’est pas nouveau 

On connaît le génocide arménien de 1915, la déportation et l’exécution méthodiques des populations arméniennes par l’Empire Ottoman. On sait aussi que c’est dans le contexte d’une idée née 20 ans plus tôt que ces massacres sont orchestrés : le panturquisme. Le rêve d’un immense empire des peuples turcs, d’Anatolie jusqu’en Asie centrale. Cette idée avait un ennemi : le christianisme. 

Ce rêve n’a pas disparu. Mais en cent ans, la géographie a eu le temps de changer et un État est venu se mettre en travers des idéaux turcs : l’Arménie, encore et toujours l’Arménie. Seul bout de terre qui sépare la Turquie de ses rêves. Annexer le « Zangezur » comme ils l’appellent, serait la consécration de 120 ans d’effort pour supprimer un peuple. Un lien direct, enfin, entre tous les peuples turcs. On comprend par la même occasion les motivations du régime d’Aliyev, éternel allié d’Erdogan. 

Naturellement, la Turquie fut d’une aide cruciale dans la victoire azerbaïdjanaise de 2020, fournissant drones (les mêmes drones qu’elle fournit aujourd’hui à l’Ukraine) et armes et supervisant les soldats azéris eux-mêmes par des généraux turcs. 

Vers une normalisation des relations arméno-turques ? 

Aussi surprenant soit-il, la Turquie et même l’Azerbaïdjan cherchent aujourd’hui à normaliser leurs relations avec l’Arménie. Le premier ministre arménien Nikol Pashinyan et le président turc Recep Tayyip Erdogan se sont rencontrés au sommet de Prague en octobre dernier pour discuter des conditions de la normalisation. Erdogan se dit ouvert aux négociations et au processus de paix.

La Turquie mène un double-jeu, panturquiste et pacifiste à la fois, deux antonymes. Une entrevue rassemblant Nikol Pashinyan et Ilham Aliyev sous la médiation d’Emmanuel Macron a également eu lieu lors du même sommet. 

La paix à géométrie variable

Alors que l’Azerbaïdjan parle de traité de paix, cela ne l’empêche pas de bloquer la seule route reliant l’Arménie à l’Artsakh : le corridor de Berdzor. C’est un véritable désastre humanitaire qui attend la petite République privée de tout ravitaillement en soins, nourriture et énergie. En effet, le corridor de Berdzor est la seule connexion terrestre entre les deux États du même peuple. C’est ce dernier qui permettait à l’Artsakh de subsister après l’assiègement azéri de 2020. 

Bloqué par l’Azerbaïdjan depuis le 11 décembre, ce sont près de 120 000 personnes dont 30 000 enfants et 10 000 handicapés qui restent dans la peur, complètement livrés à eux-mêmes et ce dans le silence de la communauté internationale le plus total. 

L’erreur stratégique de Pashinyan

Arrivé au pouvoir en 2018 à l’issue d’une révolution de velours, Nikol Pashinyan a été perçu par beaucoup comme le changement politique que l’Arménie attendait depuis longtemps. Il comptait lutter fermement contre la corruption qui gangrenait la société arménienne et enfin mettre derrière les barreaux les responsables politiques tel que Robert Kocharian ou Serge Sarkissian (tous deux anciens présidents) respectivement accusés de fraude électorale et de détournement de fonds publics. Pashinyan s’est aussi tourné vers l’Occident (l’UE et les Etats-Unis) bien davantage que ses prédécesseurs, ce qui déplut naturellement à Vladimir Poutine. Voilà sûrement la principale erreur de son mandat. 

Pas assez russophile ce Pashinyan et ça, Poutine l’avait bien senti. Alors pourquoi soutenir un allié qui se détourne de soi ? Pire, qui rejoint son adversaire de toujours ! Avec cela, la Russie n’avait pas franchement l’envie d’apporter son aide “fraternelle” à l’Arménie une fois cette dernière sous les bombes azéries, elle-même embourbée dans sa guerre contre l’Ukraine qui plus est. 

Quelles issues ?

Alors que Bakou parle d’un traité de paix tout en bombardant son voisin, que la Turquie tente de normaliser ses relations avec un pays qu’elle veut voir disparaître et que l’UE devient malvoyante, quelles issues pour l’un des derniers peuples chrétiens d’Orient ?

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Ruben Matevosyan

Ruben Matevosyan

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