L'Étudiant Libre
Les Tuche : lauriers du succès, épines de l’imaginaire
Les salles grand public ont accueilli dans leur programmation de cette semaine le dernier film de la franchise
« Les Tuche ». Série à succès (économique) s’il en est, qui a vu il y a dix ans son premier volet se muer en
blockbuster à la française avec 1,5 million d’entrées.
À l’heure d’une quatrième fournée, Les Tuche sont devenus un événement de sortie cinéma populaire, au
point qu’un cinquième épisode est déjà prévu après la mouture de cet hiver.
Le cinéma français est donc vivant, de quoi se plaint-on ? Les producteurs investissent, les spectacteurs
remplissent les salles. Mais c’est alors que plus une production est appréciée et suivie, plus la responsabilité
des producteurs quant aux images dévoilées aux yeux d’un public se devrait d’être méditée.
Notons que ce qui plaît, ce qui amuse, ce que l’esprit s’accorde à intégrer inconsciemment avec Les Tuche…
est une image du français résolument plouc.
Dans « Les Tuche 4 », les beaux-frères Jeff Tuche (Jean-Paul Rouve) et Jean-Yves Marteau (Michel Blanc) se
tirent la bourre, la faute à un précédent qui les antagonise. Afin de bien les distinguer, le scénario du film les
oppose en s’appuyant sur le rapport au travail de chacun : l’un nourrit le culte du chômage raplapla, l’autre
l’adoration du profit sec et cynique.
Dans les deux cas toutefois, aucun n’échappe à la règle : Jeff et Jean-Yves sont ringards bien comme il faut. Jeff
Tuche commence sa journée avec une bière ; son logiciel moral et intellectuel est basé sur une dépendance
aux aides sociales. Jean-Yves Marteau, pour sa part, est petit, pâle, gros, roux-chauve et, bien sûr, miséreux
sexuel.
Charmant programme !
Ajoutez à cela que ces Français bien ancrés dans leur Bouzolles chérie en perdent leur français académique, à
en prononcer des « je voudrais que ma sœur soye là », et la messe est dite.
Dans la nécessité de la caricature pour faire intrigue, émanent des conséquences épineuses dans la confection
d’une psychologie collective : le Français est un beauf, quelle que soit sa classe, plus ou moins moyenne. Au
fur et à mesure que le film progresse, l’esprit s’habitue peu à peu à observer des franchouillards un peu
couillons, jusqu’à s’accorder naturellement que tous ces personnages ne puissent être finalement que des
catastrophes en puissance.
À l’habitude d’un tel cinéma, face à l’idée qu’on leur donne de se faire d’un Français, certains pourraient se
demander de quelle légitimité viendrait leur obligation à s’intégrer à cet univers tout à fait arriéré, à imiter
des gens au look ridicule qui ne savent pas s’exprimer correctement.
Et ils auraient raison. En cela, la communication des Tuche est l’écume encore bien épaisse d’un courant de
pensée et d’observation dégradant pour la France et ses habitants. Le constat que prête à formuler la
franchise rappelle le traitement que subissait déjà la classe moyenne française à la fin des années 80, décrit
par le géographe Christophe Guilluy dans son ouvrage No Society. La fin de la classe moyenne occidentale. Un
temps structurelle dans un modèle de société résilient par sa politique d’assimilation, cette classe moyenne
dépassée affronte une nouvelle cohérence à ce d’aucuns veuillent expressément se différencier d’elle.
Heureusement, Les Tuche n’ont pas tout à jeter : ils veulent sauver Noël. À moins que le rêve ne soit aussi un
idéal de kéké…
par Achille Ossmann
Les Tuche : lauriers du succès, épines de l’imaginaire