La corrida est interdite en France depuis plusieurs décennies. Cependant, certains départements profitent d’un alinéa inséré dans notre Code pénal en 1951. Cette modification a créé une exception pour les courses de taureaux et les combats de coqs « lorsqu’une tradition locale ininterrompue » peut être évoquée. Le combat entre l’homme et le taureau, impliquant la mise à mort de ce dernier, est autorisé dans une soixantaine de villes du sud de la France. La corrida ne fait plus partie du patrimoine immatériel français depuis 2016 et, pour la première fois, une proposition de loi sera débattue dans l’hémicycle jeudi 24 novembre 2022 pour abolir la pratique jugée cruelle. La tradition taurine vieille de plusieurs siècles ne semble plus être dans l’air du temps…
Premières banderillas dans le dos de la tauromachie
Depuis le début des années 2000, les attaques contre cette tradition locale s’intensifient. Dans un premier temps au niveau parlementaire, plusieurs députés ont déposé des propositions de loi, mais aucune n’est jamais arrivée à l’ordre du jour. Ces propositions de loi sont issues d’élus de droite (Muriel Marland-Militello, Damien Meslot, Eric Pauget, etc), du centre (Michel Zumkeller, Philippe Michel-Kleisbauer, Samantha Cazebonne) et de gauche (Geneviève Gaillard, Laurence Abeille, Joël Giraud, etc). Ces propositions montrent l’intérêt politique grandissant autour l’interdiction partielle (pour les mineurs) ou totale de la corrida.
Le monde associatif est également en ébullition depuis plusieurs années. Toutes les associations animalistes et antispécistes mènent une lutte acharnée contre ce qu’il juge être une pratique barbare et d’un autre temps. On les retrouve très souvent dans la rue pour défendre leur point de vue, mais également en nombre sur les réseaux sociaux. Il n’est pas rare de les retrouver dans un coin du marché arlésien ou en bas d’une arène avant une corrida. Enfin, tous les médias « jeunes » comme Konbini font la guerre depuis des années à la corrida. Sous prétexte du bien-être animal ou de défense des animaux, ces médias partisans sont fièrement anti-corrida, au même titre qu’ils sont contre la chasse.
Débats et litiges parlementaires
Mais aujourd’hui, c’est un défi d’une envergure bien plus imposante qui entre dans l’arène face à l’aficion (passion pour la tauromachie). En effet, le nouveau député LFI Aymeric Caron, ancien chroniqueur à la télévision et à la radio, mais surtout un antispéciste convaincu, a mis la corrida dans sa ligne de mire. Il veut y mettre fin le plus vite possible. Pour cela, il va profiter de la niche parlementaire de LFI pour faire discuter, et peut-être voter, une proposition de loi visant à abolir la corrida. C’est une première pour les parlementaires en France. Et le combat se présente mal pour les aficionados. Le vote pour la corrida dépasse le clivage droite-gauche. C’est souvent l’origine géographique et culturelle qui définit l’attachement ou non d’un député pour la corrida. Tout d’abord, il ne faudra sans doute pas compter sur le RN, car on sait que Marine Le Pen ne porte pas cette pratique dans son cœur. L’argument de la tradition et de l’identité locale ne semble pas l’émouvoir. Victor Chabert, qui s’occupe des relations presse de Marine Le Pen et de Jordan Bardella à quand même publié un tweet en soutient à la corrida. Mais c’est vers le groupe de la majorité qu’il faudra se tourner. En effet, le clivage est grand parmi les élus tout comme au sein du gouvernement. Aucune consigne de vote ne devrait donc être donnée. Plusieurs députés Renaissance sont même déjà prêts à voter le projet Insoumis. La cacophonie est totale du camp Macron/Philippe/Bayrou ce qui laisse le champ libre aux Insoumis et à Aymeric Caron pour faire passer leur projet de loi. Les débats risquent d’être houleux et quelques sorties publiques peuvent embarrasser la majorité déjà fragilisée.
Mais finalement, qu’en pense le peuple ?
Un récent sondage vient appuyer la proposition de loi de Monsieur Caron. Il y aurait près de 8 Français sur 10 qui seraient contre la corrida. Cependant, est-ce vraiment pertinent de demander à un Français s’il est contre une pratique qu’il ne connaît pas dans la plupart des cas, étant donné que l’on retrouve ces démonstrations taurines dans une dizaine de départements en France uniquement ? En quoi Paris est-il capable de comprendre et de traiter un sujet aussi complexe et unique que la corrida.
Beaucoup oublient également que les fameuses feria, qui attirent autant de monde tous les étés, existent et sont articulées uniquement autour des jeux taurins. On ne les retrouve pas à Lille ni à Paris, mais bien à Arles, Bayonne ou Dax. Ces fêtes sont la source d’attractivité principale de nombreuses petites villes du sud. Sans taureaux, la fête deviendrait une simple beuverie sans raison d’être, et deviendra certainement de moins en moins attrayante. En plus de mettre au chômage tout un secteur d’activité, ce sont des commerces entiers qui vont être frappés par cette décision parisienne. Les prochaines semaines, nous montrerons si les prétendus défenseurs de nos traditions permettront de garder ce particularisme local ou si le projet d’uniformisation des régions françaises sera enfin mené à son terme.