Début janvier 2023, presque au terme d’une saison de chasse passée au crible par les médias, l’Assemblée nationale votait le plan gouvernemental sur la chasse dans l’espoir de mettre fin aux critiques à son égard. L’hypothèse d’un dimanche sans chasse, principale revendication de la NUPES, a été écartée.
Plus d’un mois après le vote du plan gouvernemental sur la chasse qu’en est-il vraiment ? Ces mesures vont-elles impacter la pratique de ce loisir ? Vont-elles permettre de diminuer le nombre d’accidents ? Quels peuvent être ses effets sur l’image des chasseurs.
Concrètement, l’application de ses mesures relèvera des fédérations départementales de chasse. Nous nous sommes entretenus avec Maxence Ronchi, directeur de la fédération de chasse de la Vienne, et Michel Cuau, son président.
L’Etudiant Libre : Revenons sur les différentes mesures de ce plan gouvernemental, tout d’abord l’instauration d’une formation obligatoire pour les organisateurs de battue vous paraît-elle judicieuse ?
Maxence Ronchi : Cette mesure est déjà obligatoire dans notre fédération de la Vienne. Notre schéma départemental exige déjà une formation axée sur la sécurité pour tous les organisateurs de battue. Donc, pour la Vienne, ce point-là ne changera rien. Cependant, le souhait exprimé par ce plan, de créer un cadre commun à ces formations pour toutes les fédérations pourrait amener à quelques modifications. On ne sait pas encore comment on va devoir s’ajuster.
Michel Cuau : C’est vrai que cela fait longtemps qu’on a emboîté le pas et je me demande si on ne nous copie pas un peu ! Pour nous, ça ne va rien changer.
EL :Donc on peut imaginer que le plan gouvernemental exige une formation moins rigoureuse que celle déjà instaurée dans la Vienne ?
MR : Je n’ai pas la capacité de répondre à votre question, tout dépendra des directives. Cela dit, la fédération de la Vienne fait partie des fédérations les plus exigeantes sur le thème de la sécurité, comme nos amis de Charente par exemple. Notamment, les angles de sécurité de 30° sont obligatoirement matérialisés. L’objectif de notre formation est surtout que tous ceux qui la suivent comprennent pourquoi et comment calculer, puis matérialiser et bien orienter ces piquets de signalisations. L’essentiel de notre formation repose donc sur la mise en sécurité de l’environnement.
EL : Où en est le développement de cette mesure aujourd’hui ?
MR : Actuellement, on nous demande d’abord de faire remonter nos contenus de formation. L’échelon national est en train de collecter tous nos documents de formations : plan, support visuel, vidéo, etc. Dans la Vienne, on n’est pas inquiété, je ne vois pas ce qu’on peut nous rajouter. On a déjà le carnet de battue obligatoire, la matérialisation des angles obligatoires, etc. Pour le chasseur de la Vienne, il n’y aura pas trop de changement.
EL : Une autre mesure de ce plan gouvernemental est l’interdiction de chasser sous l’emprise de l’alcool, qu’en pensez-vous ?
MR : Ça ne changera rien à la pratique de la chasse. On part du postulat que les gens peuvent aller à la chasse en ayant bu, mais il faut d’abord prendre le volant et ce n’est déjà pas légal.
MC : Oui, ça me fait doucement rigoler car on donne l’impression qu’aujourd’hui on part à la chasse avec une bouteille dans le carnier. Ça ne changera rien puisqu’effectivement, l’usage de la voiture est nécessaire à tous les chasseurs donc là encore ça ne changera rien. Je pense que cette proposition, c’est surtout une manière sournoise de nous attaquer et de nous faire passer pour des vieux soûlauds. Mais qu’ils viennent nous contrôler quand ils veulent ça ne pose pas de soucis.
EL : Le taux d’alcool autorisé sur la route est de 0,5. Ce sera également le cas pour les chasseurs ?
MR : Oui, ce sera 0,5 aussi. Au moins, cette mesure va permettre, je l’espère, de mettre fin au faux procès qu’on fait aux chasseurs sur ce point-là.
EL : Ce projet prévoit également une application numérique dans le but de mieux signaler les zones de chasses, est-ce réalisable ?
MR : Sur ce point, ça va être plus compliqué car ce n’est pas marqué comme une obligation mais une incitation. Le plan n’est pas précis sur ce point. On nous parle d’une application qui permettrait de favoriser le dialogue entre les usagers. Tous les chasseurs ne pourront pas signaler leur chasse individuelle, tout simplement car tous n’ont pas un smartphone. Une battue est déjà plus facilement signalisable, mais un chasseur au petit gibier, c’est impossible. Sur ce point, on a encore aucune information.
MC : C’est un projet grandiose mais inutile et surtout impossible. Moi, comme des milliers de chasseurs, je chasse en ACCA (Association communale de chasse agréée). C’est-à-dire qu’on chasse le mercredi, pour profiter avec nos petits-enfants l’après-midi, le samedi et le dimanche. Ce qui fait déjà 4 jours sans chasse. Mais il faut bien se mettre en tête que les trois jours où nous on va à la chasse, seul ou entre amis, en famille, je ne vois pas comment on va pouvoir obliger des gens, qui pour certains ont encore des téléphones à touches, à signaler leur géolocalisation. On nage en plein délire.
EL : Est-ce que ces nouveaux dispositifs peuvent se traduire par une hausse des dépenses des fédérations ? Dans ce cas, les subventions publiques versées aux fédérations seraient-elles revalorisées ou les chasseurs assumeraient-ils seuls ces coûts par une hausse du prix des validations ?
MR : Aujourd’hui, les fédérations ne touchent aucune subvention. Le conseil régional ou départemental peut nous verser des compensations, mais seulement en échange de missions favorables à la biodiversité comme pour la plantation de haie. Mais contrairement à l’idée véhiculée de nos jours, les fédérations ne touchent aucune subvention pour leur fonctionnement ou leur mission de service public telle que le permis de chasser, la gestion des ACCA, la gestion des plans de chasse, l’indemnisation des dégâts agricoles, etc. Maintenant, même si ce serait étonnant, imaginons que nos formations à l’organisation d’une battue soient allongées d’une demi-heure, ça sera à notre fédération d’en assumer le coût, mais c’est assez négligeable et n’aurait pas d’incidence sur les cotisations. Cependant, notre formation décennale théorique et en ligne, va devoir comprendre une partie pratique selon ce plan gouvernemental. Ce point-là en revanche, risque d’avoir une incidence énorme puisque former les 12 000 chasseurs de la Vienne tous les 10 ans, ce n’est pas la même chanson.
EL : Ce plan gouvernemental appelle aussi à favoriser les “modes de chasse le plus sûres”, comment cela peut-il se traduire concrètement ?
MR : Je pense qu’on entend par là d’intensifier le développement des miradors et des dispositifs semblables qui facilitent des tirs en sécurité.
EL : La chasse est décriée sur le plan sécuritaire mais aussi environnemental, un plan qu’on ne retrouve pas dans ces propositions du gouvernement. Pensez-vous qu’un nouveau plan gouvernemental sur la chasse, axé sur l’environnement, est à attendre ?
MR : Déjà depuis le 15 février 2023, vous ne pouvez plus tirer au plomb à moins de 100 mètres d’une zone humide. Cette question du plomb va forcément revenir sur le devant de la scène et cela peut avoir une incidence sur nos anciens qui n’ont pas forcément des fusils approuvés aux billes d’acier. Mais vous voyez, aujourd’hui être chasseur devient de plus en plus compliqué, car on a déjà eu le SIA (Système d’information dur les armes) qui renforce la déclaration des armes, on raconte n’importe quoi sur le plomb, maintenant il y a cette formation… Tout cela peut avoir une incidence sur la motivation et la mobilisation des chasseurs. Je pense à nos jeunes et je me dis que ça ne doit pas être facile en 2023 de s’assumer chasseur, ce qui n’était pas forcément le cas il y a 30 ans.
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EL : Est-ce que ce n’est pas à chaque fois cette caricature des Inconnus qui colle à la peau des chasseurs ?
MR : Il y a de ça oui, mais surtout les chasseurs se sont faits discrets durant des décennies et n’ont pas expliqué la chasse. Il y a moins de 5 ans, vous n’aviez jamais de communication du monde cynégétique. Il a fallu attendre l’arrivée de Willy Schraen et les modifications nationales pour qu’on commence à vraiment communiquer. Il faut surtout expliquer la chasse, car pour la plupart des gens le chasseur se résume à quelqu’un qui est porteur d’un fusil et qui tire sur quelque chose. On ne se pose pas la question de l’utilité, de l’aménagement du milieu, de la gestion des populations, de la régulation, toutes ces questions-là sont aujourd’hui complétement occultées. En-tout-cas, au niveau national comme départemental, on n’a jamais autant communiqué qu’en ce moment. On n’a jamais fait autant de campagnes de publicité à la radio et à la télévision.
EL : Pour revenir au thème de la sécurité, est-ce que la démocratisation de carabines puissantes, à la défaveur du traditionnel calibre 12, n’a pas pu accentuer la dangerosité de cette pratique ?
MR : Je pense qu’il faut différencier l’arme et l’utilisation de l’arme. Une arme correctement utilisée ne fera pas d’accident, comme une voiture. Puis il faut prendre en compte l’évolution de la chasse. Il y a 40 ans, la chasse la plus répandue était celle au petit gibier, dans la Vienne, on chassait le lapin de garenne. Maintenant, la chasse aux gros gibiers s’est développée, ce qui implique d’adapter notre pratique. Pour moi, l’arme en elle-même n’est pas un problème. Puis chaque accident est un drame, mais on parle de cas très peu nombreux. Ce n’est pas se dédouaner que de dire que la chasse fait partie des activités en plein air les moins accidentogènes, c’est factuel.
EL : Et la proposition, qui n’a pas été reprise par le plan gouvernemental, concernant l’interdiction de la chasse le dimanche, quels pourraient en être les effets ?
MR : Ça aurait une incidence énorme pour nous, le dimanche, c’est le jour de chasse pour la plupart des pratiquants et surtout les actifs. Puis derrière le message, c’est que la chasse est problématique et doit être limitée. Et surtout, on sort du champ de la cohabitation. Ça serait rentré dans le postulat que l’activité cynégétique est dangereuse.
MC : Nous, on y est complétement opposés parce que c’est tout à fait possible de cohabiter entre chasseurs et promeneurs. Puis surtout, la France n’est pas un kolkhoze, et 80 % des forêts sont privées, ça serait quand même problématique d’interdire aux gens de pratiquer leur passion chez eux. C’est-à-dire que le dimanche, il faudrait que je reste chez moi, que je n’aille pas chasser dans mes bois, tout en permettant aux autres d’y aller ? Il y a quand même quelque chose qui ne va pas bien dans ce pays ! On ne chasse pas le dimanche dans les forêts domaniales, donc tout ça ne concernerait que des forêts privées.
EL : Selon vous, est-ce qu’on assiste aussi à une fracture générationnelle au sein des chasseurs avec des anciens qui n’ont pas reçu de formation pratique et aux comportements plus accidentogènes, et des jeunes davantage sensibilisés aux questions de sécurité ?
MR : Les statistiques ne sont pas si tranchées que ça. Mais je pense sincèrement que ces deux générations sont complémentaires : les jeunes ont beaucoup à apprendre des anciens, mais ils peuvent aussi mieux communiquer qu’eux notamment sur les réseaux sociaux.
EL : Est-ce que la chasse n’est pas aussi attaquée, car elle est le symbole d’un monde à détruire pour les néo-féministes et les défenseurs de la condition animale, etc ?
MR : Totalement, je pense que nos détracteurs veulent à tort faire de la chasse un symbole de cruauté et de guerre sociale. Je ne pense pas que la chasse soit le symbole du patriarcat, de la violence et du sang, mais c’est effectivement ce que cherche à faire nos détracteurs et c’est là encore une fois, que notre rôle de communication est très important. On le voit aussi avec le cas de la corrida.
EL : Pourquoi la chasse est-elle concrètement nécessaire ?
MC : Elle est nécessaire, car à l’heure actuelle, on nous impose un certain nombre de mission de service public comme l’indemnisation des dégâts. Est-ce que vous croyez qu’on va continuer à indemniser les dégâts si on ne peut pas maîtriser les populations. Déjà qu’on prélève beaucoup, on nous traite d’assassin sanguinaire, mais on ne prélève pas assez puisque les dégâts sont en perpétuelle augmentation. Et si on ne chasse pas, qui va payer les dégâts ? Il n’y a pas beaucoup de volontaires. Aussi, concernant le petit gibier, dans la Vienne vous prenez une espèce emblématique de nos campagnes comme le lièvre, sans les chasseurs, ce serait une espèce bien plus menacée.
Quand on voit le nombre d’hectares de haie et de bandes enherbées que les chasseurs financent, personnes n’est prêt à le financer non plus. La chasse est indispensable à l’équilibre de nos campagnes. Et surtout, les chasseurs sont plus que jamais nécessaires à l’heure de la raréfaction du petit gibier, due à la mécanisation et au développement de techniques agricoles qui peuvent être nocives pour certaines populations, et au développement du grand gibier qui n’a plus de peine à se nourrir dans des champs de plus en plus grands. Même si les agriculteurs ont pris conscience de ces choses-là, on ne peut pas refaire en quelques années ce qui a été détruit sur trois décennies.
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