L'Étudiant Libre

Les débuts de la Tour Eiffel : les débuts d’un nouveau Paris

Il y a 135 ans débutait le chantier de l’attraction incontournable de l’Exposition Universelle de 1889 : la Tour Eiffel. Un monument d’un genre totalement nouveau qui engendra des éloges mais fit aussi grincer des dents.
Crédits : Pixabay

« Élever sur le Champ-de-Mars une tour de fer, à base carrée, de 125 mètres de côté et 300 mètres de hauteur » : tel est l’intitulé d’un ambitieux concours lancé en 1884 par la Mairie de Paris. Un projet original et orgueilleux destiné à montrer à la face du monde la bonne santé et la modernité de la République française. Quel meilleur évènement que celui du centenaire de la Révolution Française pour émerveiller l’Europe ? Cet appel aux ingénieurs reçoit un engouement certain : 107 projets sont déposés. C’est celui de la Société Eiffel et Compagnie qui est retenu. En effet, le promoteur Gustave Eiffel s’est déjà fait un nom depuis quelques années et son idée semble toute trouvée. Une idée qui n’est officieusement pas la sienne, puisqu’elle vient de ses deux ingénieurs Maurice Koechlin et Emile Nouguier. Gustave Eiffel en rachète le brevet avant de le présenter à ses supérieurs. C’est le fameux architecte Stephen Sauvestre qui est engagé pour la construction, afin de rendre l’affaire plus acceptable auprès de l’opinion publique.

Le chantier vers la victoire

Le premier coup de pelle fend le sol du Champ-de-Mars le 26 janvier. C’est seulement deux ans, deux mois et cinq jours plus tard que la dame de fer est inaugurée par celui qui lui donnera son nom, le 31 mars 1889. Un temps record. Et pour un résultat qui ne se fait pas attendre : deux millions de visiteurs font l’ascension de la tour lors de l’Exposition Universelle, alors que l’ascenseur n’est pas installé dès le début.

Gustave Eiffel, fringant ingénieur de 52 ans, retrouve le dynamisme de sa jeunesse pour
l’œuvre qui, il le pressent bien, sera celle de sa vie. Il fait le choix du fer, un matériau résistant, moderne, symbole de l’industrie et du progrès technique. On atteint facilement 312 mètres, ce qui fait de la « Tour de 300 mètres » l’édifice le plus haut du monde. Devançant l’obélisque de Washington et la grande pyramide de Gizeh, elle conserve ce record pendant quarante ans, avant d’être battue par le Chrysler Building de Manhattan en 1930. Le maître des travaux soigne son chantier. 150 à 300 ouvriers sont engagés pour assembler les 18 000 pièces qui composent la tour, des pièces montées à l’aide d’échafaudages en bois et de petites grues à vapeur. Les journées sont longues : 9h en hiver et 12 en été. Gustave Eiffel fait fi des quelques grévistes qui réclament un salaire plus important et installe une cantine au premier étage. Un seul accident mortel est à déplorer pendant la construction : un imprudent ouvrier italien, Angelo Scaglioti, qui pénètre un dimanche sur le chantier et joue l’équilibriste sur des piles pour impressionner sa fiancée…

Pour cette œuvre remarquable, Gustave Eiffel couronne son travail par un drapeau français hissé sur le mât, et est décoré de la Légion d’Honneur sur l’étroite plate-forme du sommet. Pendant l’Exposition, des restaurants, des bureaux de tabac, des marchands de souvenirs et même une imprimerie du Figaro sont installés dans la tour. Tandis que le dernier étage rassemble des laboratoires et des bureaux permettant d’effectuer des expériences scientifiques et météorologiques intéressantes, ainsi qu’une antenne radio. Cet évènement est aussi l’occasion de faire admirer la prouesse française à de prestigieux visiteurs, comme Georges Ier de Grèce, le prince de Galles ou le Shah de Perse. L’américain Thomas Edison se déplace aussi pour honorer un « si gigantesque et si original spécimen de construction moderne ». Un des plus beaux compliments qu’Eiffel pouvait espérer.

Guy de Maupassant se rend souvent au sommet de la tour Eiffel pour y déjeuner. À un journaliste qui lui demande pourquoi il y monte alors qu’il critique sévèrement la tour, il répond : « C’est le seul endroit de la ville où je ne la vois pas ».

Une joute artistique en pleine Révolution industrielle

Il faut beaucoup de cran et de courage à Gustave Eiffel pour monter ce projet. En effet, avant même que la construction ne commence, les critiques pleuvent de la part des plus grandes personnalités artistiques et littéraires de la capitale. Le dessein est loin de faire l’unanimité et la tour de fer fait l’objet de nombreux surnoms péjoratifs et moqueurs. Dès 1886 paraissent dans la presse des articles assassins contre cette maquette métallique en plein cœur historique de Paris. L’opposition atteint son apogée le 14 février 1887 : ce jour-là un collectif d’artistes et d’intellectuels publie dans le journal à forte audience Le Temps, un article à l’attention d’Adolphe Alphand, directeur des travaux de l’Exposition. Un collectif qui peut effrayer puisqu’il est formé des noms les plus fameux et les plus respectés de l’époque : Charles Garnier, Émile Zola, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils, François Coppée… Une lettre ouverte virulente, dans laquelle les signataires se posent en défenseurs invétérés de la beauté de Paris et du goût français pour contester « cette tour inutile et monstrueuse, cette tour de Babel ». Les auteurs fulminent : « Il suffit d’ailleurs pour se rendre compte de ce que nous avançons de se figurer un instant une tour vertigineusement ridicule, dominant Paris ainsi qu’une gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare Notre-Dame, la Sainte Chapelle, le dôme des Invalides, l’Arc de Triomphe, tous nos monuments humiliés, toutes nos architectures rapetissées, qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. Et pendant vingt ans, nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissant encore du génie de tant de siècles, nous verrons s’allonger comme une tâche d’encre l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée ».

Alphand ne s’avoue pas vaincu et adresse à ses détracteurs une réponse très technique,
défendant l’utilisation du métal comme le matériau de l’avenir et la fierté de la France.
« Lorsque vos maisons et vos immeubles seront détruits par le course irréductible du temps, se dressera alors ce fier symbole qui démontrera sa solidité », ironise-t-il. Eiffel donne aussi voix au chapitre : « Le peuple pourra bientôt s’apercevoir que cette tour située en plein cœur de la ville n’est pas un projet orgueilleux tel que vous voulez le faire croire, et que notre connaissance ici ne sert pas à égaler Dieu ou à le défier. Bien que la nouveauté amène parfois la crainte, les Français comprendront bientôt les bienfaits de ce projet (…). Cela montre bien à quel point le talent se trouve en France ». En plus des caricatures qui parsèment les pages des journaux, la tour est affublée des surnoms les plus originaux et les plus piquants : Léon Blois parle d’un « lampadaire véritablement tragique », Paul Verlaine d’un « squelette de beffroi », Joris-Karl Huysmans d’un « tuyau d’usine en construction ». Guy de Maupassant se rend souvent au sommet de la tour Eiffel pour y déjeuner. À un journaliste qui lui demande pourquoi il y monte alors qu’il critique sévèrement la tour, il répond : « c’est le seul endroit de la ville où je ne la vois pas ».

Symbole universel de la ville de Paris et même de la France, on a peine à imaginer ce que la construction de la Tour Eiffel a entraîné sous les plumes des contemporains. Désormais et ce depuis les années 1960 seulement, elle est plus que ratifiée par tous, et ce sont 6 millions de visiteurs qui se rendent chaque année sous ses arcades.

Pétronille de Lestrade

Pétronille de Lestrade

Les débuts de la Tour Eiffel : les débuts d’un nouveau Paris
Retour en haut