2022 a été l’année de la gloire pour Jean-Luc Mélenchon, après une troisième place surprise au premier tour 2023 grâce à un excellent résultat de 7,5 millions de voix, il a réussi à créer un mouvement qui avait vocation à le porter Premier ministre grâce à la création de la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale. La NUPES naît d’une alliance historique entre le bloc de La France Insoumise et ses alliés d’extrême gauche : le bloc écologiste représenté en majorité par Europe Écologie Les Verts, le bloc du Parti communiste français et les indépendantistes d’outre-mer et le bloc du groupe socialiste. Tous ces partis s’étaient mis d’accord pour s’allier pour les législatives sous la même étiquette et constituer ainsi un bloc de candidature uni qui a eu un succès (relatif) avec 151 élus sur 577, devenant tous ensemble le premier parti d’opposition à la majorité relative constituée par le parti de gouvernement d’Emmanuel Macron. Cependant, les premières limites de l’alliance se manifestent dès le début de la législature, les députés siégeant dans des groupes politiques distincts selon leur bloc d’origine. Depuis, les dissonances sont de plus en plus marquées entre les différents bords de l’union et cela ne semble pas s’arranger avec la réforme des retraites. Mais alors quid de la NUPES ? Ou plutôt quid de la gauche ? Selon Alexis Brézet, journaliste au Figaro, la situation peut se résumer comme telle : « La NUPES est morte, Mélenchon l’a tuée ». Mais peut-on vraiment imputer la faute au ténor insoumis ? S’il est certain que la promesse de l’écriture de « l’Histoire avec un grand H » comme le disait Manon Aubry (LFI) sonne creux aujourd’hui, le problème ne se trouve pas dans l’efficacité effective ou non de l’idéologie de gauche, mais sur son contenu. En effet, malgré les conseils à répétition depuis des années, la gauche s’est enfermée dans une idéologie que Mark Lilla appelle « identitaire ».
Le piège de la « gauche identitaire »
Le concept de gauche identitaire défini par Mark Lilla dans son livre La gauche identitaire, publié en 2018, repose sur l’analyse de l’évolution du parti Démocrate aux États-Unis après l’ère Reagan. Ce qu’il appelle la Nouvelle Gauche a abandonné les politiques économiques au profit de politiques identitaires dans un premier temps orientées vers les noirs et les femmes, oubliant ce qui fait l’unité d’un corps social, au profit d’une politique centrée uniquement sur des individus et leurs particularismes, rendant de facto impossible la création d’une politique pouvant unifier toute la population. En poussant les individus à se centrer sur eux-mêmes et à s’autodéfinir, ils ont coupé l’individu des cercles sociaux traditionnels et l’ont isolé. L’individu autodéfini cherche à se rapprocher de ceux qui lui ressemblent, ce qui a fini par diviser la gauche en une multitude de mouvements rendant même impossible une union sous la bannière Démocrate. Le livre de Lilla se veut un message pour les gauches occidentales européennes afin qu’elles ne tombent pas dans les mêmes travers que le parti Démocrate. Cependant, cinq ans après la publication du livre, les idéologies identitaires ont terminé de s’implanter dans la gauche française et la NUPES en est le plus flagrant témoin. Le Parti Socialiste, traditionnellement un parti de gouvernement, en acceptant de faire alliance avec les partis de gauche plus radicale, signe définitivement cette défaite idéologique d’une gauche qui ne peut plus fédérer car elle est en incapacité de construire un projet pour une nation.
La gauche version NUPES, malheureusement, ne parle qu’à des individus définis par ce par quoi ils ont choisi de s’étiqueter. Par conséquent, les notions d’héritage et de culture commune sont reléguées au second plan, quand elles n’ont pas directement été supprimées des discours. Or pour l’électorat populaire, les notions de famille et d’héritage culturel (plus qu’économique) sont primordiales. « Tu n’es pas riche matériellement, mais tu possèdes des valeurs et une histoire que personne ne peut te retirer » – ce type de discours qu’on pourrait qualifier de progressiste aujourd’hui, durant longtemps des générations de militants de gauche l’ont adopté. Il était lié à des valeurs et à une éducation traditionnelle. C’est également en France l’héritage de la IIIe République et de ce qui forme aujourd’hui l’ensemble des « valeurs républicaines », comme l’accès à l’éducation, qui permettaient les évolutions sociales. La preuve la plus flagrante de la déconnexion de la gauche actuellement est le fait que ses élites ne viennent plus des milieux populaires. Les cadres de gauche, et les militants en général, viennent des milieux universitaires, milieux massivement plus à gauche que le reste de la population. D’ailleurs, selon un sondage Ipsos, son électorat est composé à 25% de cadres (le plus gros score après celui d’Emmanuel Macron) donc de diplômés. Les étudiants votent également majoritairement à gauche, 31% d’entre eux ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle de 2022. Dans les députés élus sous l’étiquette de la NUPES, on peut cependant voir une ancienne femme de ménage, Rachel Kéké, connue pour son rôle de porte-parole durant les grèves des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamées en 2019. Malheureusement, elle ne se retrouve pas dans la NUPES pour défendre un idéal commun grâce à des propositions politiques qui seraient applicables à l’ensemble de nos concitoyens. En effet, en venant en habit traditionnel dans l’hémicycle et lors de ses grandes interventions, notamment celle de la convention d’investiture des membres de la NUPES à Aubervilliers le 7 mai 2022, elle montre que ce qu’elle souhaite mettre en avant en tant que femme politique ce n’est pas tant l’action que ses racines africaines de femme française née en Côte-d’Ivoire.
À lire également : Bardella vs Clément : Un Grand Débat des Valeurs qui fait horreur à gauche
Construction biaisée des programmes
La différence entre ce discours qui se veut populaire et la réalité sur le terrain est criante et illustrée par le débat sur la Réforme des retraites. Preuve en est la position des syndicats vis-à-vis des appels aux mobilisations de Jean-Luc Mélenchon. Notamment, l’ancien président de la CGT, Philippe Martinez, qui accuse Jean-Luc Mélenchon de vouloir « s’approprier le mouvement social » et Laurent Berger, président de la CFDT, qui dit ne pas vouloir que la manifestation se transforme en « la prolongation du bordel de l’Assemblée nationale », faisant un parallèle avec le comportement des députés de La France Insoumise. D’ailleurs, les propositions politiques de la NUPES ne sont pas reprises dans les discours des manifestations, et même pis, pour cette gauche qui se dit sociale, c’est Marine Le Pen qui bénéficie le plus des débats actuels.
La popularité de Marine Le Pen est la conséquence directe d’une politique identitaire de gauche qui doit cesser au plus vite. La NUPES et La France Insoumise ont construit leur politique sur l’opposition à Marine Le Pen ; également à Emmanuel Macron mais ayant appelé à voter pour lui au second tour des élections présidentielles cela n’en fait pas leur adversaire politique principal. Or construire une politique nationale contre une personne et son électorat revient à s’opposer, voire exclure toute sa base électorale, ce qui dans le cas de Marine Le Pen représente une bonne partie du monde populaire français. Le pire étant que, en mettant l’accent sur les identités individuelles des minorités, elle crée de l’insécurité culturelle dans la « majorité ». Si tous les citoyens commencent à s’interroger sur leur identité et à la revendiquer, cela détruit toute forme de débat ou de construction d’espace citoyen. Les débats autour de « moi je pense que…, je ressens que… » ne permettent pas la construction d’un « nous, ensemble, nous pensons que…».
La France a une construction politique, qui comme le soulève Marcel Gauchet, est tripartite, pour que la droite et la gauche existent il faut un centre. La gauche ne peut donc pas laisser la construction de l’avenir politique français uniquement dans les mains de la droite et du centre. Elle a besoin d’un programme. Elle a besoin de construire un vrai programme qui permettent à tous les citoyens, et non à des individus quémandeurs de droits individuels, de voir un avenir politique et national avec elle. Mais pour redevenir crédible, elle doit urgemment abandonner la politique identitaire.
À lire également : Bardella vs Clément : Un Grand Débat des Valeurs qui fait horreur à gauche: