Sylvain Tesson : “Je suis resté fidèle à mes serments d’enfance”

Sylvain Tesson est un miroir inversé dans lequel notre époque médite sa platitude. En un temps où l’écriture ne se distingue guère plus du sermon, lui revendique de ne vivre, en tout et pour tout, que pour lui-même et ses proches. Randonneur novice mais non sans hardiesse, L’Étudiant Libre a tenté de le suivre sur sa ligne de crête.
©Thomas Goisque

Entretien paru dans le numéro “Exil” à retrouver ici.

Parlons d’abord un peu de votre jeunesse. Vous n’êtes pas forcément issu d’un milieu propice à l’aventure et le voyage. Comment y avez-vous pris goût ?

L’univers familial d’où je viens n’était pas versé dans l’aventure physique, mais il l’était dans l’aventure intellectuelle. J’ai été élevé sous le commandement de la liberté. La liberté est la vertu cardinale, le dénominateur commun que partagent le voyageur, l’homme de lettres, l’artiste. Certes, il ne se manifestait pas chez mes parents par la vie dans les bois, mais ces derniers comprenaient très bien, sans me l’avoir inculqué, le principe de l’échappée. Mon père a eu une carrière d’homme de presse, de lettres et de théâtre, et il a toujours mené sa vie selon le double principe de la liberté intérieure et de l’anticonformisme. Une fois héritées ces belles vertus cardinales, à chacun de les manifester dans des directions différentes, qui peuvent paraître antinomiques, mais qui communient à la même source.

J’ai été très jeune baigné dans l’amour des arts et des lettres. Alors comme toujours, l’enfant, qui est stupide, essaie de s’imaginer un destin en voie de traverse. Cela dit, je corrige ce que je viens de dire, en affirmant que je ne suis pas du tout partisan du meurtre du père. Je ne crois pas du tout la thèse de ce sexologue viennois qui inventa la psychanalyse en appliquant les mythes grecs aux parties génitales, et en prétendant qu’il fallait forcément tuer son père pour bâtir son destin (Sigmund Freud ; ndlr). Je pense plutôt que je cherchais autre chose, quelque chose qu’il n’y avait pas dans mon foyer. Alors je suis parti dans les bois, et je ne suis jamais vraiment revenu. Paul Morand : « À 15 ans on m’a offert une bicyclette, on ne m’a jamais revu. ». J’ai découvert le bonheur de la vie au grand air. Le vent, la pluie, les éléments. Et je suis resté fidèle à mes serments d’enfance. Or, vieillir, c’est souvent trahir ses serments d’enfance. Et moi, je n’aime pas la trahison.

L’un des thèmes principaux de votre vie est la fuite, la mise à l’écart. Cependant, vous semblez moins rejeter une terre précise qu’un type d’homme et de société. Quel est donc votre rapport à la France. Considérez-vous, malgré tous vos voyages, qu’elle est votre « patrie charnelle » ?

D’abord, il faut distinguer le goût du voyage de l’errance permanente. On peut être un nomade existentiel, aimer les grands départs, vouloir en permanence larguer les amarres, et avoir néanmoins un ancrage, un port d’attache, un enracinement. Vous n’avez qu’à interviouver les voiliers. S’ils étaient doués de parole, ils vous expliqueraient qu’ils ont beau faire le tour du monde, ils reviennent toujours au même port. Le voyage est un retour. Bien sûr, j’ai passé ma vie à circuler, mais avec un port d’attache qui est la France, la langue française. Mon plaisir est de traduire en mots ce que j’ai vécu dans l’ordre de mes sens et de mes pensées. C’est la langue qui me permet de le faire, et ainsi, j’habite ma langue.

Ensuite, j’habite mon pays. Le géographe que je suis aime le chatoyant. Le paysage français offre un morcellement incomparable sur une surface très restreinte. Pensez qu’en 1 000 kilomètres, on passe de la baie du Mont Saint-Michel à la Camargue. Du phoque (moine) au flamant (rose) ! C’est tout de même incroyable ! Nous avons une chance inouïe ! Alors oui, j’ai une Ithaque, à la fois paysagère, linguistique et historique. J’aime profondément cette grande douleur de la France, cette tentative désespérée d’unifier ce qui est disparate. Cet équilibre fragile a pu tenir par la charge des Rois, ou plus furtivement, par le génie fou de l’Empereur. Sous la République, cela fonctionne beaucoup plus difficilement, car chacun prétend être le souverain de sa propre légitimité, ce qui crée un chaos. Voilà, pour toutes ces raisons, je suis profondément de quelque part.

©Thomas Goisque

Avez-vous un attachement à un terroir, une région de France en particulier ?

Ma région d’origine n’est pas la région que je préfère esthétiquement. Originellement, les Tesson descendent, « depuis la plus haute Antiquité », comme dirait Alexandre Vialatte, de la Picardie, et plus précisément, de la Thiérache. Là où l’Ardenne tombe dans une espèce de grande plaine à betteraves. Le Cateau-Cambrésis, Wassigny, Tupigny. Ce sont des territoires durs, pluvieux, paysans. Tesson, dans les langues de l’ancien français, veut dire « blaireau ». L’animal, pas l’expression désobligeante.

En revanche, ma région de goût est plutôt la Provence. La nudité de la pierre dans la cruauté du Soleil. Le cannibalisme des éléments. Tout s’y dévore. Les plantes ont des épines, les insectes des mandibules, les pierres des arêtes, et le ciel a ses fournaises. Tous les peintres et les alpinistes le savent, c’est une région de dureté. La douceur provençale, ce sont des machinations d’agences de voyage ou d’immobilier qui veulent vendre des mas aux Anglais. J’aime dans cette région la crudité minérale et cosmique. Et puis j’ai une passion, qui confine à l’obsession : l’escalade rocheuse. Je suis amateur, mais j’en fais le plus souvent possible. Dans les Calanques, dans le Mont-Ventoux, dans les Dentelles de Montmirail, dans les Alpilles. Tout ce qui est calcaire me plaît. C’est une pierre qui, intellectuellement, m’intéresse davantage que le granit. C’est une pierre de la décomposition, du temps long. Ce sont les morts qui se sont déposés sous forme de sédiments, qui se sont stratifiés en couches géologiques. Ils sont la pétrification de quelque chose qui a vécu il y a des centaines de millions d’années. Se dire que l’on grimpe sur des couches d’animaux qui ont gouverné la Terre du temps immémorial du Précambrien, je trouve cela saisissant. En outre, le calcaire est une roche beaucoup plus soumise, de manière ornementale, à l’érosion, qui lui donne ses formes si caractéristiques. Elle s’approprie magnifiquement la lumière. C’est pour cela que tous les peintres ont fini par s’échouer sur la Côte d’Azur, de Bonnard à Renoir, et de Van Gogh à Nicolas de Staël.

Rejetez-vous la société pour ce qu’elle est devenue aujourd’hui, la décadence et la cacophonie, ou bien pour ce qu’elle est dans son essence ?

Vous n’avez pas tort de distinguer les différents objets de ce que l’on fuit. Principiellement, je fuis les grands ensembles, quels qu’ils soient. J’aime la solitude. Si j’avais vécu au XIXe siècle, j’aurais fui. Ce XXIe siècle commençant me donne toutes les raisons de m’échapper. Comme j’ai élaboré un système de vie qui me le permet, je le fais à grandes enjambées, en permanence, et j’ai même bâti une vie qui repose sur ce principe. Attention, c’est une fuite qui est agréable. Mon exil est voulu, organisé, provisoire. C’est un exil de port d’attache, plus proche d’un embarquement avec retour. Je ne brûle pas mes vaisseaux. Je sais que je reviendrai toujours, toujours avec le but d’écrire, c’est-à-dire de prolonger le voyage.

La modernité me donne toutes les raisons de partir. Pour mon malheur, la modernité fait le choix de ce que je n’aime pas au détriment de ce que j’aime. Ce que je n’aime pas, c’est la machine. Ce que j’aime, c’est la capacité de l’Homme. Ce que je n’aime pas, c’est la technique. Ce que j’aime, ce sont les natures humaines. Ce que je n’aime pas, c’est la masse. Ce que j’aime c’est l’individu. À partir du moment où j’ai défini de manière très simple, dans une dialectique presque enfantine, les termes de mes goûts et de mes préventions, il ne m’est pas très difficile de les appliquer aux systèmes d’organisation et de choisir celui qui me plaît le plus. Cela me porte donc plutôt vers le refuge de montagne, la yourte mongole, le hamac dans les bois, et le pont des voiliers, plutôt qu’à Disneyland. J’ai eu la chance de jouir d’une possibilité d’incarner d’une manière heureuse, ce besoin de fuir. Je ne veux pas nuire, mais je ne veux pas subir. Alors je me casse.

Loin de moi l’envie de changer le monde. Le comprendre, pourquoi pas. Mais je me fiche complètement de le transformer.

Vous n’avez donc aucune aspiration à une solution collective ?

Pas du tout. Je ne veux pas contribuer, ne serait-ce qu’une seconde, à l’élaboration d’un manifeste. C’est peut-être un égoïsme. C’est certainement une irresponsabilité. Mais loin de moi la moindre envie d’édifier des théories.

C’est peut-être également un refus de la démagogie…

Peut-être. C’est aussi un refus de l’échec. Aimant ce qui marche, je crois beaucoup à l’accès au bonheur par la réduction de l’ambition. C’est pour cela que j’apprécie autant l’escalade. On ne veut pas aller sur Mars, simplement faire 200 mètres. Atteindre un sommet, cela reste possible. Atteindre Mars, non. Changer le monde non plus. Créer le bonheur de l’Humanité et sa perfectibilité sans limites, pas davantage. Il y a plein de gens qui y croient et s’y essaient. Ils ratent et deviennent malheureux. Et une fois que vous avez échoué, vous avez deux solutions. Soit de vous en prendre à vous-même, soit de vous en prendre aux autres. En général, dans l’ordre du solfège humain, ce qui suit immédiatement l’échec, c’est le procès, rarement adressé à soi-même. En ce qui me concerne, j’ai des ambitions extrêmement modestes. L’étape du soir quand je me mets en marche. Le puits lorsque je me trouve avec mes chevaux. Le port, la crique, ou l’anse, lorsque je suis en voilier. Et le relais quand je grimpe une paroi. Ambitions modestes, principe d’efficacité, principe de connaissance de ce que je désire. Grâce à cela, j’ai tracé les contours de mes rêves et de mes vœux. Même si cela peut vous paraître idiot et naïf, je crois que je vis une certaine forme de bonheur.

En somme, vous fuyez ce que la modernité nous vole. La tranquillité, la paix intérieure. Est-ce que vous avez recherché dans votre exil près du lac Baïkal ?

Exil, le mot est très bon. C’est un grand malheur que d’être obligé de l’employer, vous vous rendez compte ?

C’est un paradoxe que nous souhaitions souligner : pendant des siècles, l’exil a toujours été vécu comme une douleur, un arrachement à soi. Aujourd’hui, il semble une condition pour se retrouver…

C’est un paradoxe incroyable. On s’achemine en ce moment vers une organisation humaine où la qualité de vie consiste à échapper au progrès. Ce qu’aujourd’hui propose l’ordre marchand, qui essaie de vendre du bonheur, ce sont des choses absolument banales et sans intérêt qui correspondent exactement au mode de vie d’il y a 50, 60, 70 ans. Les week-ends à la campagne, etc. … Avec en plus un vocabulaire débile : la déconnexion, etc. … Le tout en mangeant du quinoa. Ce marketing inculte a l’impression de réinventer l’eau chaude alors qu’il propose simplement la vie de nos grands-parents. C’est tout à fait inédit dans l’histoire de l’Humanité. Si bien que, ce que vous appelez l’exil est pour moi un simple refus de participer à l’espèce de machine à laver techno-commerciale. Et de surcroît, cet appareillage cyber-coercitif que nous vivons, un mélange d’hypertrophie démographique, de sur-urbanisation, de sur-connexion Internet, de technicisation, le tout dans un contexte de souillure écologique, est enrobé d’un discours de salut. « Ô troupeau, c’est pour votre bien que nous vous encageons. ».

Il faut reconnaître à l’ennemi, à savoir cette technostructure cyber-mercantile, un génie absolu du discours, bien supérieur au nôtre, (nous les réfractaires de la marche avant). Les marketeurs des GAFAM sont proprement géniaux. Ils nous ont vendu leurs gadgets effroyables en nous faisons croire à notre salut. Nous sommes en extase devant les barreaux de notre cage, ravis de nous laisser hypnotiser, persuadés des vertus de l’encerclement.  L’une des plus mauvaises nouvelles de l’histoire de l’Humanité est la mise en connexion de milliards d’êtres humains. Or, cela a été vendu comme la panacée. C’est assez rare que l’origine du malheur ait été aussi bien emballée. Le marketing de la sotériologie cybernétique est fort bien huilé.

Lire dans le numéro “Exil” à retrouver ici.

Cela ne vient-il pas aussi d’une société qui refuse de vivre au nom du primat du confort ?

Vous savez, cette histoire de confort, j’y réfléchis depuis longtemps. Très franchement, on répète souvent cette chose un peu facilement, mais il est étonnant que l’on dise cela. Je vis aujourd’hui très confortablement, comme un urbain du XXIe siècle tout à fait bourgeois, mais je ne suis pas certain d’avoir une vie plus confortable que celle de mes grands-parents, ou même celle d’un grec ancien ou d’un romain. Il faut quand même réfléchir. Le bruit dans lequel nous vivons, l’absence de vision de la nature, l’absence de la douceur de vivre, le nombre, le vacarme, la vitesse, la laideur, l’effondrement des formes, etc… On affirme souvent que l’on a tout bradé au nom du confort, mais ce confort, l’a-t-on vraiment ?

Évidemment, il y a une chose qui est indéniable, c’est que l’on ne souffre plus. C’est aussi un sujet qui m’a beaucoup intéressé, avec mon accident. J’ai eu mal aux pieds et à la tête, je me suis cassé des vertèbres, j’ai eu en tout 26 fractures. Mais je n’ai pas beaucoup souffert, grâce à la morphine et aux antalgiques. Dieu, c’est l’antalgique.

Mais lorsque l’on prend ces médicaments, n’est-ce pas au détriment de l’esprit qui en est affecté ?

Je ne dirais pas cela. Je pense que s’il y a une chose que l’on peut reconnaître au veau d’or du progrès, c’est tout de même l’absence de souffrance. C’est terrible la souffrance physique. Cela peut réveiller ce qu’il y a de pire en vous. Et l’on ne peut pas faire une question de cela. Souvenez-vous du jour où vous avez eu une poussière dans l’œil, cela vous a fait très mal. Or ce n’était qu’une poussière. Imaginez-vous donc vivre, tout ce que vous avez vécu médicalement, sans antalgiques… Cela je veux bien l’accorder, nous avons progressé dans cet ordre-là.

Mais dans l’ordre du confort physique, je ne sais pas. Tout le monde a l’air de prendre son appartement pour un paradis. Pourtant, lorsque je vois des photographies d’habitations du XXe, du XIX siècle, lorsque je lis les journaux intimes des écrivains qui tisonnaient leur feu dans leur chambre, peut-être que je me trompe, mais je ne peux m’empêcher de me poser la question : est-ce que vraiment, physiquement, c’était moins confortable ? En tout cas une chose est sûre, si un homme du XIXe siècle revenait à Paris, il serait effaré par la laideur des formes, des vêtures, des gestes, des graphismes, des automobiles. L’immonde régression plastique de tout.

©Thomas Goisque

Vous écriviez dans « Sur les chemins noirs » : « Beaucoup d’hommes espéraient entrer dans l’Histoire. Nous étions quelques-uns à préférer disparaître dans la géographie. ». Pourtant, le fait de mettre vos aventures par écrit témoigne bien d’une volonté de laisser une trace parmi son époque ? Pour quelle raison écrivez-vous ?

Tout ce que vous faites, dans l’ordre du plaisir, est-ce pour laisser une trace ? Non, bien sûr.

Vous écrivez donc uniquement par plaisir ?

En tout cas, je n’ai aucune espèce de difficulté à avouer que c’est le plaisir qui me conduit. Je sais bien que c’est décevant, mais au moins, j’ai la sincérité de le dire. Je n’ai pas l’arrogance du militant. Je n’ai pas assez de certitudes sur mes vérités. Le militant possède la certitude de lui-même. Le militantisme est un narcissisme assez ignoble. Ce que j’aime, moi, c’est transcrire ce que j’ai vécu en mots. C’est un petit plaisir vicieux. Comme les mecs qui collectionnent des photographies de danseuses du XIXe siècle, ou des bateaux dans des bouteilles. Moi, j’écris, et je trouve cela merveilleux de revivre sur le plan scriptural ce qui a été vécu sur le plan organique. Par un heureux hasard que je ne m’explique pas, cela semble intéresser un certain nombre de gens. Mais attention, je ne suis ni un faux modeste ni un vaniteux. Je distingue la faveur de librairie, du vrai succès. Ce n’est pas parce que d’un coup, vous avez un petit engouement dans les maisons de la presse, et que l’on vous organise des tournées littéraires, que vous connaissez le succès. Tout cela est très fragile et peut disparaître. Si je meurs un lundi, je serai oublié le jeudi (au mieux), je le sais parfaitement. Je tiendrai trois jours. Déjà pas mal. Mais cela ne m’empêche pas de me féliciter que mes livres, parfois, rencontrent un œil indulgent.

Mais si vous n’écriviez vraiment que par plaisir, vous n’auriez pas besoin de vous faire éditer ?

Oui, certes. Vous touchez un bon point. Je pourrais me contenter, c’est vrai, de produire un plaisir onaniste, qui consisterait à écrire dans mon coin. Alors peut-être suis-je un peu vaniteux. J’aime bien exposer ma saillie et mes tripes sur la table des libraires.

Et puis surtout, il faut bien vivre de quelque chose !

Voilà. Si je suis encore un peu plus cynique, c’est quand même tout à fait agréable de n’avoir plus aucune difficulté à financer mes voyages. Il n’y a pas que les épinards dans la vie. Il y a le beurre dedans.

Pour finir une question à la fois grave et commune : quel message adresseriez-vous à un jeune de 20 ans ?

Je lui dirai trois choses.

Premièrement, de ne jamais écouter les vieux de 50 ans à qui on demande « que diriez-vous à un jeune de 20 ans ? ».

Ensuite, je lui dirais quand même ce qu’un jour, Jean Raspail m’a dit lorsque j’avais 20 ans. Je lui avais annoncé que je partais faire le tour du monde à vélo. Il m’a dit : « Écrivez tous les soirs. Même mangé par les moustiques, même malade, écrivez. ». Et vraiment, je lui saurai toujours gré de ce qu’il m’a dit parce que d’abord, l’écriture fut une discipline, un plaisir, et qu’après, c’est devenu un besoin. Cela m’a permis de comprendre que la vie est incroyablement enrichie quand elle est prolongée sur le papier. Tenir son journal, c’est merveilleux. On s’octroie une deuxième vie. C’est un petit exercice très simple et à la portée de tout le monde, on en revient à la modestie des ambitions. Il suffit d’avoir un carnet et un stylo. On écrit sa journée, et on s’aperçoit, qu’on la réinvente, que le fait d’écrire dévoile des choses que l’on n’avait pas vues. Mais surtout, on s’oblige à la vivre mieux, puisque le soir, vous avez rendez-vous avec la restitution de votre journée. Ce conseil de Raspail, je le repasserais comme un flambeau. On me l’a donné, cela a changé ma vie. Je serais heureux que cela change la vie de ce que vous appelez un jeune de 20 ans.

Enfin, je dirais une dernière chose. Car à l’époque où l’on m’a transmis ce conseil, il n’y avait pas encore ce grand encerclement des machines. Lorsque j’avais 20 ans, en 1990, on se levait de sa chaise pour changer la chaîne de la télévision. Je n’ai pas l’impression que j’étais plus malheureux. J’ai même très franchement l’impression qu’il y avait une considération du réel plus importante qu’aujourd’hui. Alors je dirais juste cela. Considérez, quand même, le réel. Considérez parfois, qu’une fenêtre vaut mieux qu’un écran. Il ne faut pas noyer les chats, mais il faut tuer les ChatGPT.

Lire dans le numéro “Exil” à retrouver ici.

Sylvain Tesson : “Je suis resté fidèle à mes serments d’enfance”
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