Entretien avec Monseigneur Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers

Second volet consacré au regard croisé sur la religion catholique au XXIe siècle : l'entretien avec Monseigneur Pascal Wintzer.

Quelques jours avant ses déclarations sur les évènements de Sainte-Soline, nous avons rencontré l’archevêque Pascal Wintzer pour un entretien. Nous sommes revenus avec lui sur ses déclarations précédentes ainsi que la sortie du pape sur l’homosexualité, les chrétiens d’Orient, le rite tridentin et enfin la réforme des retraites. 

Étudiant libre : Vous défendez l’ordination des prêtres mariés pour pallier le manque de prêtre. Est-ce qu’une telle proposition remplirait davantage les séminaires ?

Monseigneur Pascal Wintzer : Non, l’effet de cette proposition serait assez minime, je pense. Mais ce que je veux dire derrière cela c’est que les catholiques doivent se responsabiliser. Depuis les années 1960, la France est sortie d’un contexte de chrétienté avec la fin du monde rural, etc. Donc il faut cesser de rêver un monde qui n’existe plus. Il faut prendre en compte que les prêtres manquent dans beaucoup de communautés qui doivent pourtant être animées. J’appelle les catholiques à la responsabilité. Si je veux que l’Église vive là où je vis, c’est par moi qu’elle vivra.

EL : À la presse locale vous avez déclaré que pour répondre aux abus sexuels dans l’Église, il fallait notamment faire des prêtres des « salariés ». Pourriez-vous nous expliquer le sens de votre proposition ?

Mgr : Il ne s’agit pas de répondre directement aux abus. Ce que je développe plus longuement dans un livre mais que la presse résume dans son article, c’est que les prêtres bénéficient d’avantages en nature  et n’ont pas à prendre en main ce qui est de l’ordre de la vie quotidienne et ordinaire. Je pense que cette situation ne permet pas de grandir en responsabilité, or un prêtre doit mener sa communauté. Comment peut-il avoir la quelconque légitimité s’il ne sait pas mener d’abord sa propre vie. Je pense donc que ce statut privilégié du prêtre ne lui permet pas de grandir en responsabilité et peut enfermer certains dans une sorte d’immaturité. Et je pense que prévenir les abus sexuels peut d’abord passer par prévenir l’immaturité, mais ça ne résoudra pas tout le problème.

EL : L’IVG et l’euthanasie ont fait l’actualité ces derniers mois, pensez-vous que l’Église pourra un jour se faire entendre à nouveau sur ces sujets ?

Mgr : Encore une fois, on est passé d’une société de chrétienté où les gens partageaient de nombreuses valeurs communes à une société de type libéral. Beaucoup ont pour idéal une société ou l’on dispose d’une totale autonomie et donc du droit de donner la vie ou de l’interrompre. On retrouve ici la question de l’avortement, mais aussi de l’euthanasie. Moi ce n’est pas mon idéal, je suis croyant et je considère que c’est la volonté de Dieu qui guide ma vie et lui obéir n’est pas un affaiblissement, mais une liberté. Maintenant on est dans une société libérale et même laïque et ce n’est pas au religieux de s’imposer au politique et au peuple. Notre seul pouvoir, c’est un pouvoir d’influence, au moins sur les croyants.

EL : Est-ce à dire que l’Église doit renoncer à vouloir peser dans le politique ?

Mgr : L’Église défend un certain sens de la vie, et son rôle est de le défendre partout et auprès de tous, mais son pouvoir est limité et qu’on le veuille ou non, c’est un simple pouvoir d’influence. 

EL : On constate partout en France de nombreux actes antichrétiens, pensez-vous que les politiques ont leur part de responsabilité ? Quelle doit être la réaction de l’Église et des catholiques face à ces actes ?

Mgr : L’État n’a pas vocation à défendre plus un groupe qu’un autre, une communauté plutôt qu’une autre. L’État a pour vocation de défendre les personnes et les biens. L’essentiel du travail de surveillance de la police est fait de manière non publique. De nombreux projets terroristes sont déjoués sans que nous le sachions. Objectivement, je peux vous assurer que les forces publiques font preuve d’une grande vigilance, même si on ne voit pas un policier au pied de chaque église évidemment. Surtout, il y a des églises dégradées, mais aussi des mosquées comme à Poitiers il y a quelques années. Ces actes ne sont pas réservés qu’à l’Église catholique. Je pense que tout cela relève d’une idéologie, dont je parlais tout à l’heure, qui voit la religion comme quelque chose qui empêcherait l’autonomie des individus. Ce sont donc les religions en général qui sont visées. Certains vont considérer que l’Islam est le danger de la violence. D’autres diront que l’Église veut imposer sa loi morale.

EL : Pensez-vous qu’il existe une division au sein de l’Église sur certaines questions ? Notamment celle de l’homosexualité ? Le pape François à rappelé récemment que l’homosexualité est un péché, pourtant le prêtre et influenceur aux millions d’abonnés Mathieu Jasseron défend que rien dans les Saintes Écritures ne condamne cette pratique.

Mgr : L’Église, à l’image de la société, est composée de personnes aux regards différents sur les situations. Une Église monolithique dans laquelle tout le monde penserait de la même manière, c’est ce qu’on appelle une secte. Alors en effet, il y a des désaccords sur la question de l’homosexualité. Mais il faut aussi prendre en compte le contexte culturel qui a changé en France. Et il ne faut pas oublier que le pape a aussi appelé à ne pas criminaliser, et donc à décriminaliser, l’homosexualité. En tant qu’évêque, je ne peux pas aborder cette question sans me pencher sur la situation de vie des gens. Je ne pense pas que l’homosexualité soit une perversion, c’est d’abord un état qu’on découvre. Des personnes se découvrent attirées par des gens de même sexe, c’est ainsi et il faut le prendre en compte. Cependant, je suis en désaccord avec la loi Taubira qui a été votée il y quelques années maintenant. Je pense qu’il ne faut pas employer le mot mariage de manière indifférenciée pour parler de l’union des personnes homosexuelles et du mariage de couples hétérosexuels dans la perspective de construire une famille. Je pense qu’il faut des mots différents pour nommer des choses différentes. Mais encore une fois, on sait bien que le contexte politique et culturel en France prône une égalité absolue et donc employer des mots différents pour ces unions est vu par certains comme une inégalité. 

EL : Vous parlez de l’évolution de la loi et du contexte politique et culturelle, est-ce à dire que ce qui était un péché à une époque ne l’est plus aujourd’hui ?

Mgr : J’évite de parler de péché, car encore une fois, des personnes se découvrent homosexuelles et c’est leur réalité et je ne peux pas les condamner. 

EL : Il y a quelques semaines la Syrie était touchée par un séisme. En Arménie les chrétiens sont persécutés et même massacrés. Les catholiques sont les croyants les plus persécutés à travers le monde. Pensez-vous que les médias informent assez la population sur cette réalité ? Pensez-vous que la France, l’Union Européenne et même l’Organisation des Nations Unies en font assez pour venir en aide à ces chrétiens persécutés ou en détresse ?

Mgr : Comment leur venir en aide ? J’aurai du mal à évaluer les choses… Il faudrait plutôt demander à Pascal Gollnisch (Directeur Général de l’Oeuvre d’Orient) et à ceux qui sont mobilisés pour ces sujets. Au-delà de la question médiatique, nous sommes face à des enjeux politiques. Et je pense que lorsqu’on aide une communauté ou un pays, il ne faut pas se demander si ce pays est chrétien ou musulman. Heureusement, je pense que c’est une chance, la loi française est laïque et non religieuse. Et j’espère que ce modèle, pas forcément de laïcité à la française, mais de liberté et de tolérance, va se développer dans de nombreux pays. Je pense qu’il s’agit d’abord de déconfessionnaliser les États. On voit ou tout cela mène depuis des siècles, le conflit en Arménie est d’une certaine manière la continuité du génocide arménien. 

EL : Est-ce à dire que la France n’est pas un pays chrétien ?

Mgr : Non, la France n’est pas un pays chrétien, elle est un pays laïc selon sa loi civile. Bien sûr, elle est marquée par la culture chrétienne, mais les lois civiles n’ont pas à être des lois religieuses, c’est la condition de la liberté. 

EL : Une question qui revient souvent dans l’actualité de l’Église est celle de la messe en latin. Quelle est votre position ?

Mgr : Je suis opposé à la messe en latin. Avant tout, il faut se mettre d’accord sur ce dont on parle. Je peux aimer la messe en latin, et je connais très bien le patrimoine grégorien. Mais il faut distinguer la messe latine autorisée par le Concile Vatican II et la messe du Vetus Ordo qui est la messe d’avant le Concile. Il y a eu un Concile général où l’immense majorité des évêques ont voté. Quand une loi est votée par l’ensemble des évêques et promulguée par le pape, elle s’applique à tous. Donc le sujet n’est pas tellement celui de la langue mais de l’emploi du Vetus Ordo. 

EL : Si on prend le cas de Poitiers, vous êtes opposé à la messe qui peut être célébrée par le Fraternité de la Transfiguration à la chapelle de l’Immaculée Conception, mais vous n’êtes pas opposé à la messe tridentine, autorisée par le diocèse, qui est célébrée à Buxerolles ?

Mgr : Concernant la Chapelle de l’Immaculée Conception rue Jean Jaurès, ce n’est pas forcément la messe en latin qui me gêne mais la question de la fidélité au pape. Les prêtres de cette fraternité ont décidé de suivre Monseigneur Lefebvre. Concernant Buxerolles, bien sûr la fidélité au pape n’est pas mise en question mais c’est aussi la messe tridentine qui est célébrée. Je le regrette un peu, pour l’instant ça existe… Parce que normalement c’est la loi commune à toute l’Église qui s’applique. Si ces gens veulent vraiment suivre la tradition, lorsqu’on n’appliquait pas un Concile, on était anathème. Le Concile Vatican II n’a pas voulu inscrire cette norme juridique et je pense que c’est une erreur. 

EL : Dans le contexte de crise sociale que connaît notre société aujourd’hui, pensez-vous que l’Église a un enseignement à nous apporter ?

Mgr : Sur la crise sociale elle-même, je ne me risquerais à aucune analyse. Maintenant, sur la question du travail et des conditions de travail, on peut réfléchir. On voit qu’il y a un refus de la réforme de manière assez générale et on comprend que le travail apparaît comme pénible. Il y a bien sûr des métiers qui sont extrêmement pénibles physiquement et il faut le prendre en compte. On sait que l’espérance de vie n’est pas la même pour un travailleur de force que pour quelqu’un comme moi qui est assis au bureau et qui effectue un travail plutôt intellectuel. Mais au-delà de ça, je pense qu’une réflexion doit-être menée. Je crois que le travail est plutôt un lieu d’épanouissement et de socialisation, un lieu de croissance aussi dans les domaines de la vie. Comment se fait-il aujourd’hui que le travail est vu comme pénible ? Comme un poids ? Je pense qu’il est là le vrai chantier à ouvrir, au-delà de la question des retraites. Certes, il y a toujours un aspect difficile et exigeant, le travail demande un effort dans toutes choses. Mais au-delà de cet effort, je crois que le travail peut apporter de la satisfaction aux êtres humains.

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Marin Baudouin

Marin Baudouin

Chef de notre antenne à Poitiers et membre de la rédaction du site Internet de l'Etudiant libre
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