Blonde, brune, pourvu qu’elle soit fraîche (2) : Mise en bière

Petits conseils houblonnés pour bien commencer l'année.

Peut-être, en rentrant chez vous après minuit, recroiserez-vous cette connaissance de classe titubant en talons sur la chaussée, les cheveux lâches, en train d’essayer d’allumer une slim taxée avec un briquet en fin de gaz. Que vous passiez votre chemin ou que vous lui offriez votre flamme, vous ne pouvez qu’être sensible à ce spectacle dégradant qui, plus que tout excès d’alcool, donne envie de vomir. 

La coupable ? L’industrie brassicole. Car derrière chaque pinte se cache un barman prêt à couper à l’eau la pression et derrière chaque pack un apprenti-brasseur prêt à dénaturer le malt et le houblon pour conquérir des secteurs de marché. Pour cette deuxième kro-nique, enquête sur les fossoyeurs de la bière. 

On peut d’abord songer à ces « bières » dont le taux d’alcool avoisine le score d’Hidalgo dans les sondages, et dont la description, sur l’étiquette, est aussi aguicheuse qu’un JAM croisé par hasard sur Tinder. Ruby, kriek, Lambic… derrière ces noms dignes de stripteaseuses de série B Netflix se cache la noble promesse de notes boisées, de framboise ou de groseille ; mais, à la dégustation, la déception : le grand cru espéré n’est que fraise Tagada, la fraîcheur recherchée laisse place à un arrière-goût sirupeux. 

On pense aussi à ces références qui tapissent les fonds de rayon de supermarché et dont on retrouve les cadavres jonchés dans la boue de toutes les raves de France et de Navarre : Heineken, soutien éveillé de toutes les causes LGBT ; Kronenbourg, un des plus beaux ratés français ; Carlsberg, qui, outrageusement, alors qu’elle coche tous les critères pour intégrer le podium de pire bière du monde, augmente considérablement ses tarifs. Tout cela, bien emballé, vous sera proposé partout en France, dans tous les commerces et dans tous les bars, à des prix parfois dignes des terrasses parisiennes. Par des opérations de marketing, elles iront se placer en tête de gondole pour tromper l’honnête ménagère qui n’y connaît rien et qui pense faire plaisir à son mari. À coup de partenariats, elles remplacent dans les festivals les bières locales. Dans les soirées BDE, l’étudiant prépubère dont le foie est encore vierge de tout excès s’accoutumera à ce que tout homme de goût conviendra d’appeler un viol du gosier. L’argent n’a pas d’odeur. La pisse, si.

Depuis 2015, nos représentants politiques nous rappellent continuellement leur attachement à l’art de vivre à la française, durement frappé par les attentats et par les différentes vagues de mesures gouvernementales anti-Covid. De Castaner qui chope en boîte à Mélenchon qui boit du petit lait en terrasse, de Marine qui zouke en soirée à Zemmour qui trinque au Salon de l’Agriculture, tous, de droite, de gauche ou d’extrême centre sont obnubilés par l’image qu’ils renvoient dans leurs habitudes alimentaires. Les polémiques s’enchaînent : le couscous de Philippot et le jambon de Roussel ne sont que les avatars d’un problème déjà dénoncé par les apéros saucisson-pinard de la droite pop’. On se réjouit de la créolisation de la gastronomie ou on s’inquiète de son grand remplacement. Mais, alors que blanquette de veau et tartiflette résistent encore à l’assaut du tout-halal, nos apéros, comme jadis nos bistrotiers face au McDonald’s, subissent de plein fouet l’américanisation des mœurs. On boit beaucoup, vite et moins bien. On ne discute plus, on gueule pour surmonter la sono trop forte. Bref, on se fait chier.

Alors, comme dirait Lénine, que faire ? 

Il y eut un temps, pas si lointain, où les hommes avaient leurs habitudes dans des établissements qui leur étaient réservés ; je ne parle pas ici des cafés de Seine-Saint-Denis ou des trottoirs de La Chapelle-Pajol, mais bien des bistros du coin où les ouvriers allaient aveuglément flamber leur paie dans de l’absinthe frelatée ; des clubs de gentlemen anglais qu’on retrouve avec nostalgie dans Blake et Mortimer ; des auberges de village, où, partout en France, dans un asphyxiant nuage de fumée, on retrouvait le petit cru du vigneron local et la prune de dessous le comptoir. Les femmes, à l’époque, engueulaient leurs maris lorsqu’ils rentraient, puant l’alcool et le tabac, après l’heure du dîner. Aujourd’hui, elles gueulent, avec leur petite voix trop aiguë, dans des établissements surchauffés pour elles, quand elles ne dégueulent pas dans d’étroites cabines de chiottes dont les graffitis ne parviennent même plus à les faire rougir. Ces demoiselles, qui cherchent à imiter leur père, leur frère ou leur target, qui veulent vivre avec leur temps et confondent féminité et débauche, veulent boire aux mêmes pintes – parfois en format demi – que celles que ceux qu’elles rechignent à reconnaître comme le sexe fort soulèvent quotidiennement au comptoir. 

Tout étudiant qui se respecte ne va pas dans n’importe quel bar. Équilibre fragile entre la carte, les tarifs, l’ambiance et le lieu, la quête de l’établissement parfait peut durer de longs mois, voire ne jamais aboutir. Une fois que tu l’as trouvé, ne le quitte plus. Fais-en ton quartier général, ramènes-y tes amis, impose ta musique, crée ton ambiance. Et s’il n’existe pas, fais-le chez toi ou chez un ami. Apportes-y des bouteilles de qualité. Bannis la flemme de la cuisine : reproduis chez toi les gueuletons de tes ancêtres. Magrets, côtes de bœuf, saucissons aux boyaux artisanaux. Et du fromage, beaucoup de fromage. Ressuscites-y la vraie bière, celle aussi dense qu’une triple monastique, qu’on mange plutôt qu’on ne boit. Et si, d’aventure, une demoiselle y rapporte un pack de Ruby ou de Heineken, refuse-la : souviens-toi que l’amour et la bière ont l’amer pour partage.

François de Montmorillon

François de Montmorillon

M2 Sciences Po Paris
Blonde, brune, pourvu qu’elle soit fraîche (2) : Mise en bière
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