Premier article de la série “Blonde, brune, pourvu qu’elle soit fraîche” parue dans les numéros de L’Étudiant Libre.
L’Apéritif avant l’impératif
TD, exposés, partiels : l’emploi du temps d’un étudiant souffre encore trop d’un mal que tous les syndicats, de la FAGE à l’UNEF, n’ont pas réussi à éradiquer : le travail. C’est dur d’avoir 20 ans en 2023. Premier conseil de votre rédaction préférée, donc, pour ne pas vous laisser voler votre jeunesse : ne pas vous laisser voler votre soirée. Alors, bien sûr, nous n’allons pas vous inciter à acheter un pack de Kro, ni même de Leffe ou de Goudale, au rayon bières du supermarché du coin ; au prix d’une pression au comptoir, nous vous proposons de redécouvrir des produits uniques brassés avec des ingrédients exceptionnels, fruits du travail de moines qui ont traversé les siècles.
Orval, la légendaire
Première bière recommandée par votre rédaction préférée, une trappiste belge régulièrement citée parmi les meilleures du monde. On doit la fondation de cette abbaye à Mathilde de Toscane, une des femmes les plus viriles de son époque, qui a défendu la papauté contre le Saint-Empire : elle y aurait perdu son anneau, rapporté par une truite, d’où le blason de l’abbaye et le logo de votre prochaine bière de dégustation. Brûlée par les révolutionnaires, l’abbaye est entièrement reconstruite à partir des années 1920. Pour en financer la reconstruction, les moines se sont mis à brasser, avec une recette unique composée en 1932. La dégustation d’une Orval commence bien avant de la décapsuler ; on tombe d’abord sous le charme de sa forme de quille et de son étiquette art-déco. A l’ouverture, on est séduit par sa robe ambrée et par sa mousse persistante. C’est une bière aux notes d’agrumes, puissante et acidulée, avec une pétillance d’une intensité prodigieuse. Le degré d’alcool est modérément élevé : 6,2°.
C’est une bière qui se trouve rarement en grande surface, mais que vous n’aurez pas de problème pour acheter dans un magasin spécialisé, à partir de 2,30 €. Comme toute vraie trappiste, les revenus tirés de la vente vont à la l’abbaye et servent notamment à financer les œuvres sociales des moines.
Westmalle, l’historique
Encore une bière qui naît des vicissitudes de l’Histoire de France. Des moines trappistes fuyant la Révolution s’installent près d’Anvers en 1794. Persécutés jusqu’au Concordat de 1801, puis à nouveau de 1810 à 1830, avec l’interdiction des ordres contemplatifs, les moines alternent les périodes d’exil. C’est en 1836 que la brasserie de Westmalle ouvre, et elle n’a cessé de produire depuis. En 1934, les moines y produisent la première triple au monde, dont la recette n’aura changé qu’une fois, en 1956. C’est cette bière particulière à laquelle nous allons nous intéresser.
Lorsqu’on parle de “triple”, on pense souvent qu’il s’agit d’une bière à triple fermentation ; en réalité, la Westmalle a été ainsi nommée car elle contenait trois doses de chaque ingrédient (houblon, malt, levure) utilisé pour produire la bière blonde, légère, de consommation quotidienne ; en 1856, les moines avaient déjà doublé les quantités pour produire la “dubbel”, et l’abbaye produit même une bière quadruple. Cela a pour effet principal d’augmenter le degré d’alcool : la Westmalle triple tire ainsi sur les 9,5° ; en consommant une bouteille (33 cl) vous buvez ainsi l’équivalent de trois demis. Attention cependant : la Westmalle triple ne fait pas l’unanimité par son goût complexe, elle très appréciée des connaisseurs, qui aiment sa douceur, sa densité, ses notes amères et levurées. Disponible dans la plupart des grandes surfaces. Environ 2,70€ les 33cl. Les revenus tirés de la vente sont destinés à l’abbaye et aux œuvres des moines.
Saint-Wandrille, la normande
Il n’y a, jusqu’en 2016, pas de véritable bière d’abbaye française. En Normandie, cependant, les moines bénédictins de l’abbaye de Saint-Wandrille ont lancé leur brasserie il y a bientôt six ans, pour financer les travaux de restauration du cloître. Ils produisent une gamme variée allant de la blanche à la noire, en passant par la blonde et l’ambrée. Il y en a pour toutes les saisons et pour tous les goûts. La blanche, rafraîchissante, est plus légère (5°), plus fruitée, se consomme surtout l’été ; elle tire son nom, “Sicera Humolone”, d’un manuscrit du IXème siècle où Saint Anségise, alors Père Abbé, recommandait aux moines la consommation d’une bière légère. La blonde, elle, titre sur du 6,2° et est brassée avec du houblon récolté dans le jardin de l’abbaye, la veille du brassage ; la bière ambrée est plus dense et sucrée, et la bière noire, plus forte (7°), plus dense, avec un goût de café et de cacao. Les Bières de Saint-Wandrille ne sont quasiment disponibles que dans les magasins monastiques ou les librairies religieuses, ainsi que sur le site Divine Box. Compter à partir de 7 € les 50 cl.