Renouez avec la culture de l’effort et de la terre, partez sur les Chemins Noirs

D’un part et d’autre de la caméra, Denis Imbert et Jean Dujardin illustrent la prose de Sylvain Tesson. Un hymne à l’audace et à la France oubliée d’une grande beauté.
Crédit : Thomas Goisque
Crédit : Thomas Goisque

Traverser la France du Mercantour au Cotentin. Voilà la promesse que prononce Sylvain Tesson suite à un grave accident lors d’une soirée mondaine arrosée. Sa chute de huit mètres de haut alors qu’il escaladait le balcon de son éditeur aurait pu lui coûter la vie. Qu’il ait retrouvé l’usage de ses jambes tient d’un miracle dont il se sent peu digne. Mû par une volonté tenace de purger son imprudence, il conçoit sa marche comme une véritable rédemption : « Si je réussissais, j’obtiendrais réparation » répète-t-il. Pour mériter son salut, il s’engage à parcourir plus de 1300 kilomètres alors qu’il sort à peine de convalescence. Écrit au fil du périple, un récit retrace son aventure, Sur les chemins noirs. Librement inspiré du livre, le film de Denis Imbert sorti en salle ce mercredi 22 mars, est une ode à la persévérance, au dépouillement et à la liberté. C’est aussi un hommage rendu à la vie rurale, oubliée sinon méprisée des citadins. En filigrane, une critique de nos sociétés progressistes et insensées se dessine. Si nos vies tombent aisément dans la routine et nos sociétés dans l’hybris, la tragique démesure, c’est que nous avons oublié la culture de l’effort et celle de la terre.

Retrouver le nord ou le salut par la marche

Le film s’ouvre sur le pas peu assuré de Dujardin, alias Pierre, en pleine ascension. Son pied vacille sur le sentier rocailleux. La caméra prend de la hauteur et nous voilà avec le personnage suant en premier plan, devant un panorama somptueux. La couleur est annoncée d’emblée, ce film est celui de la persévérance, parfois insensée, souvent pénible, toujours récompensée par des vues imprenables. « Renaître », selon le mot de Tesson, c’est combattre une vie qui s’enfuit à vau-l’eau en gravissant des montagnes. C’est troquer la légèreté des soirées mondaines contre la rudesse de la route. Le train-train citadin contre le dénuement. Le marcheur emprunte durant tout le long-métrage les sentiers discrets qui confèrent à l’œuvre de Tesson son nom. Perceptibles en traits pleins noirs sur nos bonnes vieilles carte IGN, moins praticables et attrayants que le jaune de nos routes nationales où on circule à vive allure en engin carboné, les chemins noirs dévoilent pourtant des paysages à couper le souffle. Parti seul, sans autre distraction possible que celle que lui offre la vue, sa marche est propice à l’introspection. Denis Imbert nous convie à la poursuite de ce périple méditatif aussi personnel qu’universel. Une voix off s’élève régulièrement et brise le quatrième mur en délivrant des extraits du roman de Tesson. Ses réflexions nous ramènent sans cesse à nos propres existences asservies par un quotidien répétitif. Le spectateur se fraie un chemin dans les méandres des pensées de l’écrivain. « Il y a ceux qui espèrent entrer dans l’histoire et ceux qui veulent disparaître dans la géographie » note-t-il. Mais l’attitude de Pierre n’est pas celle d’un fuyard. Remarquons au contraire que quiconque veut conquérir l’histoire doit sortir de son pré-carré urbain et oser affronter les sentiers inexplorés. L’aventure, rectifie-t-il aussi, n’est pas une fuite de la société. C’est un désir de commander à son destin plutôt que d’y souscrire docilement. Dujardin lui-même confie s’être prêté à l’exercice. Aussi, ceux qui reprochent le manque de crédibilité de Dujardin dans son rôle sont mal informés. Le long du tournage, il emboite même les pas du baroudeur sur plus de cent kilomètres. Celui qui avoue être un marcheur amateur puisqu’il chausse ses gros souliers régulièrement depuis son engagement d’adolescent chez les scouts, assure avoir accepté le rôle parce qu’il éprouve parfois le besoin de se retrouver seul. A Rebecca Manzoni pour Totemic il confie le besoin “d’être un peu sur des chemins noirs”. Loin d’être une entreprise égoïste, la marche solitaire semble donc salvatrice pour prendre du recul et survivre à nos existences sur-urbanisées aux allures démentes.

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Focale sur “ceux qui ne sont rien” ou lumière sur la France oubliée

Contempler la beauté des paysages français c’est aussi se rendre attentif à nos terres, ceux qui l’habitent, la cultivent, la subliment. L’œuvre de Tesson apporte une critique mi-amusée mi-acerbe de ceux qui détruisent et oublient nos terroirs et les ruraux. Selon ses termes, “la marche est une critique en mouvement” . Le réalisateur ne tombe pas dans le beau documentaire gratuit, un beau film n’est pas nécessairement bon souligne d’ailleurs Dujardin. Parcourant des chemins peu fréquentés, il savoure les retrouvailles avec une terre toujours vierge de l’empreinte humaine mais déplore aussi la désertion de la campagne par les français et les services publics. En traversant la « diagonale du vide » Pierre veut partir à la rencontre de cette France périphérique oubliée. L’histoire est aussi un hommage rendu à nos terroirs et aux paysans qui les font vivre. Sans romantiser la ruralité ni tomber dans le misérabilisme, le réalisateur attire l’attention sur l’abandon des ruraux à leur sort dans l’indifférence générale. Est abordée la question des déserts médicaux. Le toubib décédé au village n’a pas été remplacé, “ils préfèrent mettre l’argent autre part”. Les vallées montagnardes se dépeuplent sous les yeux dépités de leurs habitants que tous oublient. Un éleveur fait part de sa situation dramatique. Tandis que sa production a été multipliée par cent, il peine à rembourser son emprunt. Dure réalité à laquelle les néo-ruraux sont bien loin d’apporter une solution quelconque. Avec amusement, un villageois se moque de ses citadins qui arrivent chez lui plus soucieux de savoir si la 5G y est installée que de s’informer sur la présence d’une école pour leur enfant. On raille l’agriculture de masse et l’absurdité d’une nature dénaturée et génétiquement trafiquée par l’homme moderne « le Progrès ! Quelle blague ! ». C’est la France de caractère, celle qui n’est pas polluée par la globalisation et bétonisation qui se déploie sous nos yeux. Jean Dujardin, en phase avec son personnage, affirme avoir savouré cette parenthèse de beauté. “J’aime bien aimer ce pays et j’aime bien le dire, parce que je pense que c’est le plus gros problème de ce pays: il ne s’aime pas ou pas assez” assume-t-il dans Sept à Huit. La gauche n’a pas manqué de crier à l’insulte à la repentance. Il ne s’agit évidemment pas d’estimer, bourgeoisement, que “changer le monde ? quelle drôle d’idée ! Il va très bien comme ça le monde”.  Tout ne va pas bien, bien au contraire, mais force est de constater dans ce voyage virtuel, la richesse de nos paysages ainsi que la détresse d’une partie des âmes qui les peuplent. L’acteur a d’ailleurs magistralement répondu à ses détracteurs en leur demandant pourquoi la fierté nationale et l’agitation du drapeau tricolore devaient se limiter à l’enceinte des stades de foot. Mais laissons ceux qui prônent le droit à la paresse déverser leur haine, ils n’entendent naturellement rien à une telle démonstration de persévérance. Comprenons aussi leur malaise devant cette peinture de la France profonde, ils limitent leur excursion au marché bio de leur arrondissement.

Mort et résurrection ou l’appel de la route

La scène fatidique ne survient qu’à la toute fin du film alors que l’odyssée de Pierre touche au but. En haleine, le spectateur la pressent alors que le personnage commence à escalader le mur de son éditeur, malhabile à cause de l’alcool ingurgité. La chute est brutale, aucun ralenti ne la ménage ou au contraire amplifie le drame. En un instant, le corps de Pierre est au sol, inanimé. Plus évident encore paraît ainsi son absurdité. Mais cette scène est aussitôt supplantée par l’arrivée du randonneur sur la plage du Cotentin. Soulagé, il peut alors déposer le fardeau de son imprudence dans un sanglot. Sa faute est expiée, emportée par la brise. Devant le couronnement de ce périple haletant, le spectateur ressort ému avec une folle envie de s’évader par les chemins noirs lui-aussi, d’opter pour une vie plus saine plutôt que de s’engouffrer dans un métro bondé pour renouer avec son quotidien dans une société désenchantée. Quant à espérer que cette parenthèse cinématographique réveille nos bonnes volontés endormies dans un monde malade, c’est à nous d’en décider. N’attendons pas de tomber d’un toit ou d’avoir parcouru le monde  pour “saisir que je disposais [nous disposons] là, sous mes [nos] yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais [nous ignorions] les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides” pour partir sur les chemins noirs de notre beau pays !

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