Opération Wuambushu : quand l’État français décide de se montrer puissant

Le 24 avril, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a lancé une opération baptisée « Wuambushu » pour lutter contre l’immigration incontrôlée à Mayotte. Alors que la France souhaite reprendre ses droits, les objectifs affichés semblent difficilement applicables dans les faits et sur le long terme.

Pourquoi cette île attire-t-elle autant ? Comme la Seine Saint-Denis, Mayotte fait figure d’eldorado. Chaque jour, des Comoriens débarquent sur ce département français confronté à une délinquance galopante sur fond de crise migratoire. Ce 101e département français ne serait-il pas le témoin le plus criant d’une honte française ? Le sénateur Thani Mohamed Soilihi explique que « l’opération Wuambushu est le début de la solution. Mayotte vit depuis deux décennies sous une pression migratoire incontrôlée (…) une violence qui n’épargne personne, qui mutile, tue et brûle.» Le gouvernement comorien a demandé à la France de renoncer à ce projet d’expulsions qui viserait des migrants originaires des Comores. Mais le message est clair : renvoyer 10 000 Comoriens, raser des bidonvilles et arrêter les délinquants et bandes organisées. Le gouvernement français aurait-il décidé de reprendre (enfin) ses droits, après que la loi sur l’immigration ait été repoussée à l’automne ? L’opération est soutenue non seulement par les élus locaux, mais aussi par l’immense majorité de la population. 1 800 représentants des forces de l’ordre et des véhicules blindés sont présents sur place.

Les objectifs sont louables. L’opération Wuambushu permettrait de soulager les Mahorais qui ne se sentent plus en sécurité depuis des années. Néanmoins, elle est selon certains difficilement applicable. Pour André Rougé, député européen RN, les Comores ont déclaré ne pas accueillir leurs ressortissants expulsés. Les autorités comoriennes ont donc refusé l’accostage d’un navire. Le président de l’Union des Comores Azali Assoumani ne reconnaît pas l’autorité de la France sur Mayotte. Emmanuel Macron l’avait reçu à l’Élysée en 2019 et lui avait fait un chèque de 150 millions, en contrepartie duquel l’Union des Comores s’engageait à recueillir les ressortissants reconduits. On voit bien que cette dépense française a servi !… L’autre problème est que les Comoriens finiront par revenir, car Mayotte reste attractive aux yeux de ses voisins : soins gratuits à l’hôpital de Mamoudzou, aide médicale de l’État, scolarisation, regroupement familial… Le criminologue Xavier Raufer se montre pessimiste : « Tout se déroulera sur les réseaux sociaux, je crains que rien n’advienne réellement dans le monde réel. ». Il prend en exemple l’opération estivale contre les rodéos urbains : « regardez Grenoble et le reste de l’actualité, les rodéos urbains continuent », soupire l’expert qui pointe une énième « opération communication ».

Cependant ce projet ne fait visiblement pas l’unanimité. Plusieurs organisations nationales et internationales ont dénoncé l’opération. L’Unicef se dit notamment inquiète quant au respect des droits des enfants étrangers. Le 25 avril, la juge Catherine Vannier a suspendu la démolition d’un bidonville. Celle-ci ne s’est sûrement toujours pas renseignée sur la situation, car elle déclarait en février dernier que « la délinquance des mineurs ici est légèrement supérieure à la moyenne nationale […]. Elle n’est pas si importante que ça. ». Pire, certains confondent citoyens français et étrangers, comme le patron de Mediapart Edwy Plenel dans un tweet datant du 26 avril : « à Mayotte, les Comoriens ne sont pas des étrangers ». Or « Mayotte, c’est une île de 374 km2, c’est 400.000 habitants et c’est environ 60 % de la population qui y réside qui est d’origine étrangère », a rappelé le 21 avril le député mahorais Mansour Kamardine sur Europe 1. En 1974, un référendum sur l’indépendance des îles des Comores est organisé et le décompte des voix par île témoigne du souhait de Mayotte de rester au sein de la République française à 63,8 %, puis à 99,4 % en 1976. Or Sophie Blanchy ne tient pas compte du passé en déclarant dans Le Monde : « Ces populations, qu’elles soient nées à Mayotte, à Anjouan ou à Grande Comore, partagent la même langue, pratiquent la même religion, ont la même conception de la parenté. ». Certes. Mais elle oublie « la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes », un principe juridique pourtant inaliénable. Les décisions souveraines des Mahorais sont donc définitivement tombées aux oubliettes …

Ainsi, le coup de force de l’État français a un véritable enjeu : reprendre ses droits. Estelle Youssouffa, députée LIOT de Mayotte, parle d’une « question de vie ou de mort. […] Si on lâche Mayotte et qu’on n’arrive pas à tenir tête à un micro-État comme les Comores, totalement dépendant économiquement de la France, on n’est pas crédibles sur le reste ». Du plaisir d’imposer sa loi, Gérald Darmanin veut aujourd’hui passer à l’acte. On peut se demander si cette expérience est seulement l’acte I d’une pièce qui se reproduira en métropole, ou simplement le début d’un dénouement infructueux…

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Zélie Brunet

Zélie Brunet

Etudiante en histoire à l'Université Paris-Sorbonne
Opération Wuambushu : quand l’État français décide de se montrer puissant
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