L'Étudiant Libre

La France peut-elle encore être le gendarme de l’Afrique occidentale ?

Le rappel de l’ambassadeur français du Burkina Faso le 26 janvier apparaît à première vue comme une nouvelle déconvenue diplomatique pour la France, dont la présence militaire est par ailleurs contestée dans cette partie de l’Afrique. Or, cette décision pourrait être l’occasion de repenser les positions françaises, confrontées à la complexité politique, sécuritaire et internationale de la région.

Le rappel de l’ambassadeur français du Burkina Faso le 26 janvier apparaît à première vue comme une nouvelle déconvenue diplomatique pour la France, dont la présence militaire est par ailleurs contestée dans cette partie de l’Afrique. Or, cette décision pourrait être l’occasion de repenser les positions françaises, confrontées à la complexité politique, sécuritaire et internationale de la région.

L’armée française au Sahel : de vains efforts ?

Rappelons d’abord que l’engagement de la France dans la bande sahélienne, ce vaste ensemble qui réunit la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, commence à la fin des années 2000 avec l’opération « Sabre », puis s’amplifie sous François Hollande avec l’opération « Barkhane » lancée en 2013 et réunissant 4300 effectifs.

Dans les deux cas, le déploiement de militaires français est censé répondre à l’influence grandissante des groupes djihadistes dans ces États. Une différence réside néanmoins dans la tactique privilégiée par les forces françaises : les Forces spéciales de Sabre, plus discrètes, visent en priorité l’élimination des chefs djihadistes, tandis que les soldats de Barkhane prêtent leur concours aux unités locales.

Si les Forces spéciales peuvent se féliciter d’avoir éliminé Abdelmalik Droukdel, le chef d’AQMI (Al-Qaeda au Maghreb islamique) en 2020 et Aboul Walid el-Sahraouis, chef de l’État islamique au Sahara un an plus tard, les militaires de Barkhane ont dû composer avec l’instabilité politique des pays sahéliens. Le Mali a ainsi connu une série de coups d’État entre 2012 et 2021, dont deux en moins d’un an, portant au pouvoir des juntes tantôt favorables, tantôt hostiles aux troupes françaises, désorganisées par ces brusques changements de régime.

La crainte d’un effet domino est par ailleurs réelle. Sous pression de la junte malienne, le président Macron avait déjà annoncé le 17 février 2022 le retrait des troupes françaises stationnées au Mali dans le cadre de Barkhane. Quelques mois plus tard, en septembre 2022, le Burkina Faso connaissait un second coup d’État, renversant le général Damiba, lui-même arrivé au pouvoir en janvier à la faveur d’un premier coup d’État. Cette fois-ci, ce sont les 400 Français des Forces spéciales de Sabre qui ont été sommés de quitter le territoire burkinabé sur demande de la junte au début de l’année.

La pression croissante des sociétés africaines

Outre la fragilité des institutions politiques, l’armée française doit affronter la colère des opinions publiques.

À ce titre, le Burkina Faso fait figure d’exemple emblématique. Dès 2018, la signature d’un accord de coopération en matière de Défense entre les autorités françaises et burkinabés avait fait craindre aux deux parties une mauvaise réaction de la population, persuadée que la France allait augmenter ses effectifs dans le pays. Timidement défendu, cet accord prévoyait par exemple la livraison de 34 véhicules pour le premier semestre 2019. En parallèle, la dégradation des relations entre la France et le Mali a nourri un fort sentiment anti-français parmi les Burkinabés. Face à un pouvoir impuissant à reprendre la main sur environ 40% de son territoire malgré le soutien français, la société burkinabé exprime ses frustrations à l’égard de l’ancienne puissance coloniale, jugée en grande partie responsable de la situation. Le silence dans lequel opèrent les Forces spéciales françaises, basées à Kamboinsin, alimente également les doutes sur les intentions de la France. Pendant ce temps, les djihadistes gagnent du terrain, s’en prennent aux civils et aux militaires qui décident, lorsqu’ils le peuvent, de fuir vers les États frontaliers. Le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU estime que près de 50 000 personnes se sont réfugiées au Mali, au Niger ou en Côte-d’Ivoire entre 2021 et 2022. Selon cette organisation, c’est presque 1⁄4 de la population qui a besoin d’une aide d’urgence.

Ce contexte d’insécurité profite aux putschistes soutenus par une majorité de Burkinabés. Incarnation de l’ordre, la junte a su convertir la détresse sécuritaire de la population en hostilité dirigée contre la puissance étrangère. Demander le départ des troupes françaises du Burkina Faso permet ainsi à la junte de consolider sa légitimité en tant que garante de la souveraineté du pays. Encore récemment, à la fin du mois de janvier, lors d’un rassemblement en soutien au président Ibrahim Traoré à Ouagadougou, des manifestants affichaient des slogans anti-français sur leurs pancartes, comme « Armée française dégage de chez nous » ou « Dehors les diplomates pyromanes ».

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Source : « Les armées étrangères en Afrique : vers une compétition stratégique », rfi (04 / 12 2019)

Un retrait définitif ?

L’impuissance française reste toutefois à nuancer. Le retrait des troupes ne signifie pas un abandon total de la politique d’influence, loin de se réduire à l’intervention militaire. Paris et ses partenaires européens ont d’ailleurs eu l’occasion de préciser qu’ils restaient engagés dans la région. Reste à connaître la forme que prendra cette nouvelle présence française, probablement axée sur l’accompagnement et la formation de cadres militaires locaux.

Un espace convoité par les grandes puissances

À l’avenir, il semblerait que la France soit contrainte de défendre son pré carré africain si elle ne veut pas se laisser distancer par les puissances américaines, russes et chinoises.

Les ministres des Affaires étrangères de ces dernières ont en effet effectué des séries de rencontres diplomatiques aux quatre coins du continent, de manière quasi simultanée, dans le but de renforcer la coopération militaire et économique entre leurs États et les États africains. A la pointe de l’offensive, le nouveau ministre chinois Qin Gang s’est rendu en Éthiopie le 10 janvier, suivi de près par la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen, présente au Sénégal et en Zambie, du 24 au 27 janvier. Son homologue russe Sergueï Lavrov ferme la marche du ballet diplomatique en ayant visité l’Angola, l’Afrique du Sud et l’Érythrée. À l’issue de ces discussions, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères s’est notamment félicitée d’organiser des manœuvres navales conjointes au large de ses côtes avec la Russie et la Chine, qu’elle n’a pas manqué de qualifier « d’amies ».

Les autorités françaises sont prévenues…

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Guillaume d'Aiglemont

Guillaume d'Aiglemont

Etudiant en M2 à l'IEP de Strasbourg, Guillaume s'occupe des sujets internationaux au sein de l'équipe de rédaction du site
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