Il y a 80 ans : L’exécution des membres de la Rose Blanche

Le 22 février 1943, la Rose Blanche sanguinolente se fanait. L’un des rares mouvements de jeunesse qui s’opposait au nazisme prenait fin avec la décapitation des trois jeunes étudiants qui en étaient à l’origine.

Dans une brasserie de Munich, le 8 novembre 1923, un homme vêtu d’une chemise brune gesticule, debout sur une table, en invectivant des paroles d’espoir. Le 30 janvier 1933, c’est une Allemagne enflammée qui élit sur le trône de la chancellerie l’homme de la nation retrouvée, Herr Adolf Hitler. Le 1er septembre 1939, l’Europe, fatiguée par les ambitions de ce Bavarois à la tête de l’Allemagne, lui déclare la guerre. Le peuple du pays de Goethe devient, sans l’avoir cherché, le pire ennemi des grandes puissances européennes. Dans un pays sous la tutelle du IIIe Reich, un régime totalitaire manœuvré par le « Führer », une partie de la jeunesse étudiante se soulève, sans mot dire. D’internationale, l’opposition devient nationale.

Le bourgeon d’un puissant mouvement de jeunesse

Les Jeunesses hitlériennes ont façonné de petits nazis parfaitement conditionnés, capables de clamer haut et fort « Heil Hitler ! », de dénigrer les Juifs et les tziganes, d’encourager l’agrandissement du Lebensraum de l’Allemagne. Mais parmi eux, des esprits plus libres se distinguent et émergent de la masse manipulée : des écoliers, des étudiants, inoffensifs au premier abord. Hans Scholl et Alexander Schmorell, étudiants en médecine à l’université de Munich, en font partie.

Au début de l’été 1942, les deux amis sont envoyés sur le redoutable front de l’Est avec la Wehrmacht, en tant qu’infirmiers. Ce qu’ils y vivent est indescriptible. Ils seront marqués à vie par le déplorable dénigrement que subissent les blessés allemands. Ces quelques mois en URSS résonnent comme un coup de tonnerre. Et de retour à Munich, ils n’ont plus qu’une idée en tête : agir. Ils forment alors autour d’eux le noyau dur d’un mouvement de résistance à l’idéologie nazie. A Hans et Alexander se joint Sophie Scholl, la jeune sœur de Hans, qui étudie la biologie et la philosophie au même endroit que son frère, mais aussi Christoph Probst et Willi Graf, camarades des deux garçons. Quelques semaines plus tard, les cinq amis parviennent à rallier à leur cause leur professeur de philosophie, Kurt Huber, qui devient le mentor du groupe.

Ce comité clandestin, autour duquel gravitent rapidement de nombreux sympathisants, choisit pour nom et emblème la « Rose Blanche ». Il existe de nombreuses hypothèses concernant l’origine du nom. Il peut tout d’abord faire référence à l’une des paraboles du grand inquisiteur de Dostoïevski, dans Les frères Karamazov, où une rose blanche décore le cercueil d’une petite fille, symbole de la renaissance. D’autres allusions littéraires sont plausibles, comme le roman socio-critique de B. Traven, La Rose blanche, dont l’action se déroule au Mexique, ou bien « La rose du ciel » tirée de La Divine comédie de Dante. Enfin, la rose blanche était aussi l’insigne de l’un des groupements de la jeunesse allemande « confédérée », dissous par l’Etat nazi en 1933, dont Hans Scholl était membre.

La « Rose Blanche » compte des membres très différents, dont la plupart sont extrêmement jeunes. Rien n’aurait pu laisser penser qu’ils formaient un groupe soudé et passionné par une seule cause : la prise de conscience de la gravité de l’idéologie nazie. Beaucoup sont d’origine bourgeoise, mais de couleurs politiques très diverses : les Scholl sont des libéraux, le père de Schmorell est un nationaliste, tandis que le professeur Huber est un conservateur. Ce qu’ils ont en commun, le lien plus que solide qui les unit, c’est leur profonde foi chrétienne. Mais là encore, ils admettent des confessions différentes : les Scholl sont protestants, Graf et Huber catholiques, Probst simple croyant, et le demi-russe Schmorell orthodoxe. Leur foi est l’un des fers de lance de la « Rose Blanche » : elle est en de nombreux points contradictoire avec les doctrines prônées par Adolf Hitler. Le bourgeon né, la rose doit maintenant éclore.

« Debout mon peuple, les flambeaux fument ! »

Le moyen d’action réaliste d’un groupe clandestin, c’est l’écriture, non la force. S’inspirant des grands philosophes des siècles précédents, les jeunes étudiants se lancent dans la rédaction de tracts, dont l’importance de la provocation ira croissant. Avec peu de moyens, ils sont contraints de revendiquer la diffusion de leurs écrits. Ainsi, en deux semaines seulement, leurs quatre premiers tracts sont envoyés à des intellectuels munichois, des écrivains, des professeurs, des médecins, mais aussi des restaurateurs et des épiciers, en une centaine d’exemplaires. Pour se faire entendre, ils citent Goethe, Schiller, Novalis, Lao-Tseu, Aristote, et même la Bible. Ils implorent les destinataires de diffuser les pamphlets parmi leurs réseaux.

Ces apprentis dans la fleur de l’âge sont obnubilés par la manipulation que le régime exerce sur la jeunesse allemande ; ils ont à cœur de sauvegarder coûte que coûte leur indépendance d’esprit face au « nihilisme intellectuel » que représente le nazisme. Si leur quatrième tract condamne l’athéisme du régime, les cinquième et sixième, les deux derniers, sont les plus virulents, de plus en plus politiques et de plus en plus directs : « Étudiants ! Étudiantes ! Le peuple allemand a les yeux fixés sur nous ! Il attend de nous (…) le renversement de la terreur nazie. (…) Les morts de Stalingrad nous implorent ! Nous nous dressons contre l’asservissement de l’Europe par le National-Socialisme, dans une affirmation nouvelle de liberté et d’honneur ! ».

Le cinquième tract est tiré à presque 9 000 exemplaires. Et pour réduire les frais de port, Hans et Sophie prennent le risque de transporter eux-mêmes les diatribes subversives jusqu’aux grandes villes du pays. Parfois en manque d’enveloppes, c’est à mains nues qu’ils diffusent leurs griefs ; ainsi, aux mois de janvier et février 1943, le frère et la sœur, accompagnés de Willi Graf et d’Alexander Schmorell sèment dans tout Munich entre 2 000 et 5 000 tracts, autour de la gare centrale, dans les cabines téléphoniques, sur les capots des voitures. De plus en plus de grandes villes sont touchées, en Allemagne comme en Autriche : Stuttgart, Francfort, Vienne, jusqu’à Berlin.

Le sixième et dernier tract de la « Rose Blanche » signe l’apogée de leur action. Imprimé à plus de 2 000 exemplaires, il est diffusé par la poste durant l’hiver 1942-1943. Extrêmement virulent contre un régime en perdition, les auteurs dénoncent violemment la défaite de Stalingrad, et invitent la jeunesse du pays à se mobiliser, en prenant pour exemple les guerres de libération contre Napoléon. Le texte s’achève par cette harangue prononcée par Theodor Körner en 1813, et adressée à la jeunesse prussienne : « Debout mon peuple, les flambeaux fument ! ». 

Trois nuits durant, les jeunes résistants le diffusent dans Munich, inscrivant d’âpres slogans sur les murs des bâtiments publics et à l’entrée de l’université : « A bas Hitler », « Liberté », « Hitler – massacreur des masses », le tout couronné par un anneau de croix gammées barrées. D’autres membres du groupe ont à charge de collecter du pain pour les détenus des camps de concentration, et de s’occuper de leurs familles.

La rose s’effeuille

Le 18 février 1943, il reste encore quelques tracts qui n’ont pas été envoyés. A court de temps, Hans et Sophie Scholl se décident à les emmener à l’université. Là, les deux étudiants, rejoints par Christoph Probst, éparpillent de petits paquets sur les bancs et les armoires. Puis, dans une fureur incontrôlée, Sophie répand une volée de tracts par-dessus la balustrade du hall de l’université. En bas, le concierge a tout vu. Fidèle serviteur du régime, il a tôt fait d’interpeller les trois coupables et d’appeler la Gestapo.

En un rien de temps, le frère, la sœur et le camarade sont arrêtés, puis enfermés à la prison de Stadelheim. Longuement interrogés, ils sont épuisés. Lors d’un échange particulièrement houleux, Sophie se brise une jambe.

Le 22 février, le Tribunal du peuple chargé des crimes politiques se réunit en procès. Une académique réunion présidée par Roland Freisler, un ancien communiste devenu l’un des chefs nazis les plus farouches du régime. Le procès ne dure que trois heures. Freisler lui-même prononce la condamnation à mort des trois étudiants, pour des chefs d’accusation dignes des plus redoutables prisonniers politiques : haute trahison, propagande subversive, complicité avec l’ennemi, démoralisation des forces militaires.

Ces condamnés seraient-ils considérés comme trop dangereux pour le IIIe Reich ? Bien que la législation allemande prévoie un délai de 99 jours avant toute exécution, c’est seulement quelques heures après la sentence que Hans, Sophie et Christoph sont décapités. Ils ont 24 et 21 ans. Avant d’être atteint par la balle du fusil pointé par un soldat SS, Hans a le temps de clamer son précepte chéri : « Vive la liberté ! ». 

Quelques mois plus tard, la « Rose Blanche » achève de s’effeuiller, lorsque Kurt Huber, Alexander Schmorell et Willi Graf sont à leur tour exécutés. La plupart des autres membres du réseau de résistance sont envoyés en camp de concentration pour y finir leurs jours. La famille Scholl, résidant à Ulm, est arrêtée, et sera relâchée quelques mois plus tard. Ainsi meurt la « Rose Blanche », au bout d’à peine un an de pénible existence. Malgré cette histoire éphémère, elle laisse des traces sur son passage. Pendant l’été 1943, la Royal Air Force déverse sur l’Allemagne éreintée un million d’exemplaires du dernier tract rédigé par les jeunes étudiants munichois, afin d’encourager la population à se soulever contre le régime. Un geste qui aura raison de l’essoufflement du IIIe Reich, qui conclut sa triste vie alors que les Alliés et l’Armée Rouge pénètrent sur le sol berlinois, libérant la nation allemande du joug totalitaire d’Adolf Hitler.

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Pétronille de Lestrade

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