« La supériorité des Occidentaux tient, en dernière analyse, au capitalisme, c’est-à-dire à la longue accumulation de l’épargne. C’est l’absence de capitaux qui rend les peuples sujets », écrivait Jacques Bainville (1879-1936) dans La fortune de la France.
Élu à l’Académie française au fauteuil de Raymond Poincaré en 1935, le journaliste et historien se démarque de ses contemporains par son analyse géopolitique du capitalisme. Pour lui, le système capitaliste devance tous les autres par sa capacité à générer des richesses, de l’épargne, de l’investissement et à consolider la puissance des États-nations. Il a pu développer cette lecture libérale et réaliste de l’Espace mondial dans ses ouvrages, notamment dans les colonnes de l’Action française, de la Revue des Deux Mondes, du Figaro, le Capital et la Revue Universelle.
La filiation contre-révolutionnaire et spirituelle a nourri la réflexion bainvillienne sur l’État, sa limitation et son historicité. Sous l’influence de Charles Maurras, il adhère à la nécessité d’un État régalien fort, mais toutefois tempéré par un degré élevé d’autonomie des provinces et à l’échelon local : « Autorité en haut, liberté en bas ». Il adhère à sa méthodologie macrohistorique marquée par Auguste Comte et Louis de Bonald. Concomitamment, il est un témoin de l’encyclique Rerum Novarum (1891) du pape Léon XIII.
Dans la doctrine sociale de l’Église, la méfiance envers les excès et les pouvoirs de l’État sur la société est précisée ; la préférence pour les corps intermédiaires, le principe de subsidiarité et le principe de solidarité est spécifiée. À cet effet, il va même plus loin en rejoignant le juriste catholique et libéral Frédéric Bastiat. Comme ce dernier, il se montre critique vis-à-vis de l’ « État Dieu » : l’État ne devrait pas intervenir dans les aspects économiques et sociaux dont la responsabilité revient aux corps intermédiaires, au droit d’entreprise et au droit de propriété.
Lors de son voyage d’étude dans l’Empire allemand de Bismarck, il prend conscience du retard économique d’une France jugée malthusienne et moins compétitive. Ce constat, d’une puissance géopolitique impulsée par le dynamisme économique, l’oriente vers la pensée économique. Pour lui, le capitalisme, au travers de l’investissement, de l’épargne et du droit de propriété, est le garant de l’indépendance des nations, de leur puissance et de leur niveau de vie.
Il s’accorde sur deux points avec les libéraux classiques (Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises) influencés par La Richesse des Nations d’Adam Smith. Premièrement, il reconnaît les avantages offerts par le libre-échange et le libre marché, aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale.
Deuxièmement, il défend un État aux finances publiques équilibrées, limité à la sphère régalienne et garant du droit de libre entreprise et de propriété. En effet, il était sensible à la critique de l’« État-infirmier » en voyant les dégâts de l’interventionnisme dans l’économie (e.g. l’étatisation des assurances sociales) et la taxation élevée des revenus et des capitaux nécessaires à l’investissement. Toutefois, il s’accordait avec Friedrich List sur un protectionnisme économique strictement éducateur.
La Fortune de la France (1937) compile les chroniques économiques et financières de Jacques Bainville. Il y développe son attachement à l’économie de marché, seul système qui puisse optimiser le développement économique et l’indépendance nationale de la France.
Dans son livre Napoléon (1931), il expose les vertus et les limites du protectionnisme économique. En effet, il s’attarde sur les dommages collatéraux du blocus continental contre le Royaume-Uni affectant l’économie française.
Au travers de son Histoire de France (1924), il se montre critique vis-à-vis de l’interventionnisme keynésien. En effet, il juge sévèrement l’endettement de la monarchie. Selon lui, il a aggravé l’instabilité économique (charge de la dette, fiscalité élevée) et il a mené à la Révolution de 1789. Il juge également sévèrement l’inflation monétaire et la mauvaise gestion budgétaire de l’État, en particulier avec le cas des assignats révolutionnaires.
Charles de Gaulle et Jacques Rueff adhèrent au constat bainvillien selon lequel la puissance est tributaire de la compétitivité de son économie, de sa capacité de projection commerciale, de la bonne gestion monétaire, de la tenue des comptes publics et extérieurs.Georges Pompidou dans son appel à la « discipline nationale » du 9 décembre 1972 rejoint ce même constat. Raymond Aron, quant à lui, reconnaissait à l’analyse bainvillienne de conjuguer les facteurs économiques et les facteurs géopolitiques. Plus récemment, durant l’élection présidentielle de 2017, François Fillon s’est réclamé de la filiation bainvillienne.
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