« Pour la première fois depuis le siècle de la Renaissance […] la Péninsule influencera le destin de l’Europe ». Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, l’idéologie fasciste plana sur le vieux continent. C’est l’Italie qui initiera l’expérience fasciste en donnant un nom, un socle théorique et des méthodes. Pourquoi l’Italie ? C’est en traçant tout d’abord la chronologie de l’Italie au moment de son unité jusqu’à la Première Guerre mondiale, en évoquant ensuite la figure de Benito Mussolini, que l’on pourra comprendre la célèbre marche sur Rome dont nous connaissons les cent ans aujourd’hui.
La construction de l’Etat Italien
« Maintenant, l’Italie est faite, mais il faut faire les Italiens ». La construction de l’Etat italien fut lente et compliquée, elle s’est heurtée à un grand nombre de difficultés, que ce soit sur les plans financiers ou organisationnelles. Le contexte économique, caractérisé par des récessions, n’est guère favorable à des mesures d’ampleurs. En 1876, « la droite historique » laisse sa place à un gouvernement de gauche pour réformer, avec une monarchie calquée sur le modèle français de la monarchie de juillet. Des fragmentations internes fragilisèrent le pays avec une Italie du Nord fortement européanisée et celle du Sud davantage orientée vers la culture du Midi ainsi qu’une société féodale encore en vigueur. L’action principale du gouvernement de gauche fut alors d’ouvrir le pays vers l’extérieur et, pour la politique intérieure une stratégie de fragilisation d’un Parlement peinant à s’installer. Guichonnet nous dit alors que « dès ce moment se mettent en place des thèmes et des habitudes qui contribueront à la genèse du nationalisme ». Les conditions d’accès au vote s’élargissent avec un corps électoral passant de 500 000 à 3 millions de personnes, bien que les affaires d’Etat restent un sujet sur lequel ne se penche qu’une minorité puisque le peuple n’a guère de conscience politique et civique. Sur le plan diplomatique, l’Italie signe le 20 mai 1881 le traité de la Triple Alliance avec l’Allemagne et l’Autriche, tout en songeant à son expansion avec une politique coloniale orientée vers l’Ethiopie et la Somalie. Alors, dans les années 1890, l’Italie est traversée par deux courants d’où sortira le fascisme : d’un côté l’Italie bourgeoise de l’ordre légal et du nationalisme, et de l’autre côté les masses populaires du socialisme.
Ainsi, c’est un socialisme idéaliste et utopiste qui se démarque, accompagné de corps d’ouvrier, avec le Mezzogiorno, correspondant au mouvement des « faisceaux ». C’est un courant socialiste influencé par l’Allemagne avec notamment le « socialisme positiviste ». Ils s’organisent autour de journaux touchant les ouvriers ; propagande qui leur permettra d’obtenir 138 000 voix dans un contexte pontifical où le Pape Léon XIII, dans son encyclique Renum Novarum en 1891, évoque des questions sociales en préconisant de s’y attarder. En dépit de la politique d’unité, des disparités demeurent entre les différentes parties de l’Italie ; à cela s’ajoute des agitations ouvrières qui échappent au contrôle des socialistes suite à des discordes internes. Une autre vague vient heurter le bloc politique avec le retour des catholiques sur le devant démocratique ; leur participation était interdite depuis la prise de Rome, mais le décret la prohibant fut supprimé en 1904. Le progrès industriel et l’élargissement du corps démocratique (passant de 3 à 8,5 millions) avec un suffrage « presque universel ».
Pour ce qui est du nationalisme italien, on peut le comprendre comme une réponse au positivisme philosophique et historique et le fruit de la désillusion coloniale. Mouvement se définissant comme une esthétique et une politique ; une sorte de nietzschéisme de la volonté de puissance complété par un certain cynisme anticonformiste et la glorification de l’instinct et du subjectivisme. Ajoutez à cela les souvenirs de la grandeur passée de Rome, humilié par l’inachèvement de la patrie et stimulée par les succès économique et politiques de la jeune Italie, sont autant de facteurs qui bercent le nationalisme. La constitution de l’esprit nationaliste s’appuie sur l’Associazone nazionale italiana, un journal quotidien, l’Idea Nazionale, et sur des bourgeois, dont la médiocrité est pourtant fustigée.
La Guerre
1914, la guerre éclate ; malgré les tendances pacifistes majoritaires, l’Italie s’engage dans le conflit. Après avoir les recours au droit de réserve, autorisés par l’accord de 1902, la paix souhaitée par les catholiques et l’antimilitarisme socialiste, est dépassée par la fouge et l’ardeur d’interventionnistes illustres comme Gabriel D’Annuzio ou Mussolini. Angelo Ventrone dans son ouvrage, La Séduction totalitaire (2003), décrit alors « la continuité entre le fascisme et le fascisme des origines ». Grâce à des meetings et d’importantes campagnes publicitaires, le peuple changea d’opinion. Cependant, derrière l’exaltation nationale, se cache une impréparation matérielle face à l’ampleur du conflit : les montagnes et les terrains rocheux dans lesquels s’engouffrent les Italiens ralentissent leur progression. C’est avec l’aide des alliés que la situation leur sourit. En dépit de leur statut de vainqueur, les traités de paix leur apportent beaucoup de désillusions. La grande guerre est un tournant dans l’histoire de l’Italie du XXIe siècle, elle accélère les processus de modernisations politiques et sociales. Soit, mais la guerre a coûté cher et les miettes laissées sur la table des négociations ne conviennent guère au peuple, donnant l’impression d’une défaite. L’Etat en sort ébranlé : la dette a explosé, passant de 15 218 millions de lires à 50 554 millions en 1918.
Les combattants déçus de l’issue finale de ce massacre européen sont encore prêts à se battre comme l’atteste la prise de Fiume par l’écrivain D’Annuzio et des milliers de légionnaires. Cette épopée, qui se termina un an après avec l’envoi de troupes italiennes vers l’Etat libre de Fiume et le départ du « poète dictateur », prouve à la société de l’époque que les anciens militaires, mais aussi une partie de la population civile peut s’insurger contre la faiblesse de son Etat.
La montée du fascisme et la marche sur Rome
Cette idéologie voit le jour dans une situation d’indignation des démobilisés vis-à-vis des profiteurs de la guerre et d’une classe politique résignée. Dans ce contexte de grogne, le nationalisme n’attend plus que son héraut. C’est Benito Mussolini qui incarnera cette figure. Le futur Duce se fait connaître par les autorités italiennes en 1902 après-avoir refusé d’effectuer son service militaire. Il trouva un refuge en Suisse ; pays dans lequel il se rapprocha d’exilés russes socialistes lui ouvrant alors de nouveaux horizons. Deux ans plus tard, il rentre en Italie en faisant mûrir ces réflexions au profit de la cause socialiste. Ses talents de journaliste lui ont permis de mener dans des journaux des campagnes antimilitaristes bien avant le conflit. Ces expériences font de lui un journaliste accompli avec une tribune pour s’exprimer à la hauteur de ses ambitions. La Grande Guerre joua un rôle décisif dans sa vie car après avoir été un intransigeant socialiste, il se fit expulser du parti qu’il avait rejoint en 1900 à cause de trop nombreuses polémiques. Quittant les organes socialistes, ils fondent son journal dans lequel nous distinguons les prémisses de sa pensée fasciste. Quittant les organes socialistes, ils fondent son journal dans lequel nous distinguons les prémisses de sa pensée fasciste. Il appelle dedans à la révolution – révolution qui n’aura jamais lieu puisque comme le décrit Frédéric D’Almeida, l’Italie de l’après-guerre est « un monde de rentiers en péril et de possédants » se cramponnant « au pouvoir, exploitant encore des paysans illettrés qui ont servi de chair à canon ». La montée du fascisme fut permise notamment pour contrer un fléau de l’époque : le bolchevisme. La Révolution russe de 1917 inquiète le gouvernement italien, craignant que l’extrême gauche bolchévique, très influente dans le pays, tente une révolution communiste. Le manque de programme des responsables des grèves paralysant le pays fait s’essouffler le mouvement. Le fascisme est alors la condition du non-retour du spectre rouge. Le mouvement s’entoure bientôt d’escouades reconnaissables à leur chemise noire et qui sème la violence dans les campagnes en tentant de rétablir l’ordre. Le fascisme a désormais une milice, un chef, une tribune : il ne reste lui plus qu’à prendre le pouvoir.
L’exemple de Fiume a prouvé que le peuple peut s’emparer du pouvoir, l’idée de la marche sur Rome est alors lancée. Sa préparation consista en grande partie à se rapprocher des milieux politiques et industriels pour convaincre les élites de la nécessité de l’arrivée au pouvoir des fascistes. Des membres de la famille royale, dont la Reine Margherita ou encore le duc Emmanuel-Philibert d’Aoste, manifestent alors de la sympathie pour ce mouvement. Craignant une sévère répression, ils organisèrent un rassemblement regroupement 40 000 chemises noires le 24 octobre. Le 27 au soir, ces chemises noires marchèrent vers Rome. Le roi Victor-Emmanuel III soucieux d’éviter un bain de sang cède. Le 28 octobre, la marche est un succès. « La révolution fasciste a commencé sans un mort ».