L'Étudiant Libre

30 janvier 1853 : Le dernier mariage impérial de l’histoire de France

Il y a 170 ans, le puissant bourdon de Notre-Dame de Paris ne tarissait pas, chaque pavé des boulevards de la capitale était couvert des crinolines des Parisiennes, et une forêt de hauts-de-forme empêchait d’entrevoir la rue depuis les fenêtres des immeubles. Le mariage de Napoléon III a vidé les maisons parisiennes de leurs habitants.

Ils ont plus de 20 ans d’écart. Lui est un libertin notoire, elle une fervente dévote. Mais elle l’a conquis.

Née à Grenade le 5 mai 1826, Eugénie, fille du comte de Teba et de Montijo, appartient à l’une des plus anciennes et des plus illustres familles aristocratiques de l’Espagne. Cadette des enfants, elle fut éduquée par l’éminent historien et archéologue Prosper Mérimée, qui l’inscrivit dans l’école parisienne du Sacré-Cœur, avec sa grande sœur. L’auteur de La Vénus d’Ille se fit ensuite un devoir d’introduire les deux jeunes filles dans la haute société parisienne.

Eugénie est d’une beauté insolite, originale, qui s’écarte des canons habituels de l’époque. Raffinée, cultivée, intelligente, elle a hérité de sa mère, d’origine écossaise, la chevelure rousse et la peau blanche parsemée de quelques taches de rousseur. Dotée d’un étrange pouvoir de séduction, elle sait l’utiliser de manière ingénieuse. Ces harmonieuses vertus lui permettent de briller dans les salons de la capitale qu’elle fréquente avec sa mère. Comme lors de ce bal du 12 avril 1849, où elle attire l’attention de l’homme le plus important de France, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu du général corse, alors président de la IIe République.

« Par la chapelle, Sire ! »

Le 2 décembre 1851, il dissout le Parlement et se proclame « prince-président ». Un an plus tard, avec l’approbation du Sénat, il se consacre empereur des Français. Désormais, la préoccupation de Napoléon III est pragmatique : il faut à l’Empire un héritier. Comment conquérir le cœur de la belle Espagnole ? Eugénie a été plus d’une fois malheureuse en amour : dédaignée par le duc d’Albe qui lui préféra sa sœur Paca, elle fut aussi rejetée par le marquis d’Alcacines, José de Osorio. Malgré la réputation grivoise de ce nouvel empereur qui lui fait une cour empressée, la jeune femme est éblouie par la possibilité de devenir impératrice des Français. Et c’est malgré elle qu’elle encourage ses avances. Alors que Napoléon III lui demande le chemin qui conduit à sa chambre, la légende raconte qu’elle lui rétorque : « Par la chapelle, Sire ! ». Tout un programme.

L’annonce des fiançailles officialisée, l’Empereur des Français doit convaincre la sphère politique et la Cour du bien-fondé de cette union. Son entourage a en effet bien du mal à accepter cette « aventurière espagnole » de 24 ans, cette duchesse étrangère encore trop méconnue. Mais c’est Eugénie elle-même qui parviendra à dorer son blason. Encore fiancée, sa popularité s’accroît auprès du peuple. On la voit fréquemment traverser les rues de Paris en voiture, et s’arrêter pour donner l’aumône à un mendiant. On l’appelle alors « la bonne demoiselle ». Le plus dur est fait, semble-t-il. Même la presse paraît éprise de la future souveraine : « Le choix de l’Empereur, en même temps qu’il lui a offert l’occasion de rappeler en nobles termes son origine, permet à la France de reporter son affection sur celle qui sera l’image de sa Majesté bien-aimée l’Impératrice Joséphine ».

Le Te Deum du dernier Empire

En ce matin du 30 janvier 1853, Paris est en ébullition. Dès 8h, le Louvre est interdit d’accès. Le bassin au milieu de la cour du palais a été transformé en une magnifique corbeille de fleurs. La foule est déjà impressionnante, et peuple tout le parcours qui mène des Tuileries à Notre-Dame. La nouvelle rue de Rivoli est pavoisée de drapeaux nationaux, de mâts vénitiens, de guirlandes et de lanternes, comme un lointain rappel des fastes de Versailles… Les curieux s’amassent aussi autour du palais de l’Elysée, où l’illustre fiancée a passé la nuit. Selon le cérémonial très strict prévu par l’Etiquette, 11h sonnent, et le cortège d’Eugénie de Montijo franchit le seuil de l’Elysée, pour se rendre aux Tuileries. Sur son passage, l’enthousiasme est à son comble. On se bouscule pour tenter d’apercevoir ne serait-ce qu’une mèche de cheveux de la sublime mariée. « Vive l’Impératrice ! » crie-t-on à n’en plus finir. Dans la Cour des Tuileries, c’est un Empereur ému qui accueille la future épouse.

Durant la présentation de l’Impératrice aux Tuileries, la cathédrale se comble des invités. Dès 9h, les bancs et les amphithéâtres installés pour l’occasion sont occupés par les plus illustres noms d’Europe. Notre-Dame est alors en restauration, sous la houlette de Viollet-le-Duc. Mais l’architecte en chef des monuments historiques promet que le somptueux décor cachera les échafaudages. Sur des pilastres monumentaux, il a placé les statues de Napoléon Ier et de Charlemagne, ainsi que d’impressionnantes aigles impériales au sommet des tours. Un porche en trompe-l’œil camoufle la façade de l’édifice.

A 12h, 3 salves de 101 coups de canon, tirées simultanément des Invalides, de la barrière du Trône et de la place de l’Observatoire, annoncent que l’Empereur et l’Impératrice quittent les Tuileries, dans ce même carrosse qui conduisit Napoléon et Joséphine à la cérémonie de leur couronnement en 1804, attelé à huit chevaux à la robe d’ébène et au col empanaché de blanc. Tout un symbole. Le soleil brille tout comme les cœurs des Français, et la température est particulièrement douce pour un mois de janvier. Le bourdon de Notre-Dame annonçant les 13h s’ébranle lorsque la voiture s’immobilise sur le parvis. L’archevêque de Paris et son chapitre accueillent le couple impérial, tandis que la foule ne tarit plus d’acclamations. Jusqu’à la fin de la messe, celle-ci restera sur le parvis, de peur de manquer le moindre détail de cette journée historique.

A l’occasion de son mariage, l’empereur gracie plus de 3 000 individus, qui avaient été arrêtés à la suite des troubles de décembre 1851. La ville de Paris, quant à elle, offre à la jeune souveraine une parure de 600 000 francs. Eugénie n’accepte l’argent que pour fonder la première des nombreuses institutions caritatives qui naîtront sous son règne, un établissement pour l’éducation de jeunes filles pauvres.

Le Second Empire débute par une fête, il s’achèvera dans le sang, mais pour l’heure, la préoccupation du nouveau couple impérial est au relèvement de la France. Patriotiques, impétueux, ambitieux, Napoléon III et Eugénie sont plus que jamais déterminés à replacer leur pays sur le toit de l’Europe. Et ils y parviendront.

 

Pétronille de Lestrade

Pétronille de Lestrade

30 janvier 1853 : Le dernier mariage impérial de l’histoire de France
Retour en haut