Tribune – Peut-on aimer l’ordre et critiquer la police ?

En ces heures aux allures de fins dernières du régime, la crasse du débat public n’a pas tardé à répondre à celle de la rue. Indéfectiblement binaires, la droite et la gauche sont plus que jamais pareilles à deux trottoirs jonchés d’habitudes ordurières, destinés à se faire face sans jamais se rejoindre. À la seconde le romantisme révolutionnaire bourgeois singeant le peuple, à la première la défense psittacique d’un ordre pourtant instauré par son ennemie de toujours.

Avant d’entreprendre toute réflexion, il convient de rassurer la frange douillette de notre lectorat. Il n’est nullement question ici de justifier la fièvre dévastatrice de certains manifestants particulièrement critiques du mobilier urbain parisien. Au reste sont-ils drôlement profitables au discours du pouvoir, ces Houdini après l’heure, capables de dissimuler aux barrages de police des barres de fer et des boules de pétanque. Ils assurent à M. Darmanin un triple service bien charitable que la seule période de Carême ne suffit pas à expliquer. Non contents de donner une image détestable du mouvement social, il faut encore qu’ils finissent par apeurer les manifestants les plus faibles et qu’ils jouent à la police politique dans les cortèges ! Résultat : en moins de trente jours, ce qui constituait une contestation politique quasi-unanime est devenu un climat insurrectionnel aussi stérile qu’effrayant pour le grand nombre. Mais ce serait céder à la grossière invective que d’insinuer que l’extrême-gauche est depuis toujours l’idiote utile du gouvernement central, qui parodie la grogne populaire et donne des gages à la répression violente du peuple. Il serait d’ailleurs mal venu de lui rappeler qu’elle n’hésita pas, il y a moins d’un an, à voter pour ce même pouvoir central au nom de ce que Lionel Jospin appelait un « antifascisme de théâtre ».

Ces précautions prises, examinons maintenant l’interrogation qui titre ces lignes. La droite la plus classique du monde s’est bornée à répondre par la négative, ânonnant à l’envi l’assertion de Péguy qui semble clouer le débat : « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. ». Elle semble avoir oublié un peu trop vite une autre sentence du même Péguy : « Il y a des ordres injustes qui cachent les pires désordres. ». Il y a nécessité de comprendre une chose toute simple. Pas plus qu’il n’existe de Liberté pure et absolue, il n’existe d’Ordre abstrait, et universel. Plus précisément, dès lors que ces deux notions sont déliées de toute concrétude, elles revêtent aussitôt un caractère totalitaire qui abreuve l’hubris du pouvoir en place. Un ordre donc, s’estime d’abord par les résultats qu’il obtient de sa politique. 

Qu’observe-t-on alors, au moment où l’on se penche sur les résultats dudit ordre actuel ? Un demi-million d’immigrés importés chaque année, l’incapacité pour les femmes de ce pays à sortir seule dans la rue, une paupérisation graduelle du plus grand nombre, une délégation massive des leviers de souveraineté de l’Etat à l’Union européenne, le défrichement des mœurs et Francky Vincent nommé chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Nous arrêterons là le chapelet de notre déchéance, mais un terrible constat s’impose. Tout ce qui a été énoncé s’est déroulé sans déroger d’un seul scrupule à la pente de l’Ordre.

Quid de la police dans tout cela ? Il est une chose d’affirmer que les violences sont le fait d’une minorité. Il en est une autre bien moins qualifiable, que de trouver de la justice dans les mutilations qui ont émaillé le mouvement des Gilets Jaunes, dans les agressions parfaitement gratuites relayées en ce moment par les réseaux sociaux. Il faut ajouter que les innocents sont les principales cibles de ces déchaînements. Nous en voulons pour preuve le mot pudique adressé ce 28 mars par M. Darmanin à ses préfets : « Merci de faire très attention en fin de manif : ne touchez en aucun cas au carré syndical. Ils s’en plaignent fortement (gaz lacrymo, intervention de la police…). ». Il faut croire que les yeux encartés ont davantage de valeurs…

Là se désigne la sempiternelle fraction entre légalité et légitimité. Là, se dévoile au grand jour le trait indubitablement absurde du caquètement républicain : « L’Etat dispose du monopole de la violence légitime. ». Il induit d’abord cette masse d’individus délestés de toute responsabilité, réclamant le sein de Marianne à chaque écart de la zone de confort. Il induit surtout un sentiment d’impunité chez les forces de l’ordre, seulement circoncises à la disposition mentale du ministre de l’Intérieur. Et lorsque l’hôtel de Beauveau loge quelqu’un d’aussi sensé que M. Darmanin, il y a lieu de s’inquiéter pour le sort des réfractaires. C’est alors pure logique de poser cette question qui vient refermer la titraille : est-il seulement un ordre, cet ordre qui arbore le sourire carnassier et le regard funeste de M. Darmanin ?

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Valentin Schirmer

Animateur radio à Ligne droite, Valentin Schirmer est aussi le rédacteur en chef de la revue papier de l'Étudiant libre
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