La peau de chagrin : Balzac au sommet de son art

« L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes qui prennent ces deux causes de mort : VOULOIR et POUVOIR ».

Vouloir et pouvoir. La dyade fera de Raphaël un météore à l’ascension fulgurante, mais à la lente agonie. Comme souvent chez Balzac, l’intrigue de La peau de chagrin se déroule dans le Paris de la Monarchie de Juillet, entre ses faubourgs miséreux et sa gloire bourgeoise. A cette époque, les hautes sphères voient s’affronter carlistes (Bourbons ultracatholiques), orléanistes libéraux et bonapartistes rêveurs et le faste s’empare des rues de la capitale alors que règne le « roi des Français ». 

Dans ce contexte propice au romantisme, on retrouve un jeune homme sans le sou, sur le point de se suicider alors qu’une déception amoureuse et les vicissitudes d’une jeunesse ruinée ont réduit à néant ce qui lui restait d’espoir. Pourtant, poussé par la Providence et par quelque magie noire, Raphaël s’empare alors d’une mystérieuse « peau de chagrin » qui accomplit tous ses souhaits, mais, il s’en rend bien compte, réduit son espérance de vie à mesure qu’il désire. 

Alors, s’enchaînent les bacchanales désœuvrées, orgies insensées où se mêlent plaisirs de la chair, politique et théologie : la jeunesse bourgeoise se mélange à l’aristocratie décadente pour laisser s’échapper un sublime dionysiaque ; l’on est à Rome, Versailles et Paris tout à la fois. Mais bien vite, une longue et merveilleuse histoire d’amour viendra prendre le pas. À nouveau, comme souvent chez Balzac, les espoirs fous des jeunes génies viendront se heurter à la froideur noble d’une femme distinguée. « Elle déployait des grâces infinies dans mille choses qui semblent des riens et qui, cependant, sont la moitié de la vie. » 

L’élément fantastique, la peau de chagrin qui accomplit les souhaits tout en rapprochant de la mort celui qui la détient, est un élément étonnant chez Balzac. Pourtant, il vient servir-là un enseignement si humain que l’on en oublie son absurdité : au fond, on comprend que pour Balzac, l’énergie vitale des jeunes hommes est aussi admirable que destructrice. Par leur folle audace, par leurs ambitions admirables, ils viendront se consumer comme si, en voulant être de grandes flammes, ils brûlaient plus vite la mèche de leur vie. 

Impressionnant de tristesse, de beauté et de fougue, La peau de chagrin est un excellent classique de la littérature romantique du XIXe siècle, alliant à la profondeur sentimentale du Lys dans la vallée la trépidante vie parisienne des Illusions perdues. A lire absolument, avec du Beethoven en fond.

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Alexandre de Galzain

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