Héritière des Mérovingiens, la nouvelle dynastie carolingienne assure la continuité historique en prenant la suite des maires du palais.
Son père, Pépin III dit le Bref, premier roi Carolingien, doublement sacré roi de France, fût le premier monarque à s’ériger en protecteur du pape. Charlemagne vit ainsi, dans l’image politique de son père, les preuves indéfectibles de l’union entre le pouvoir temporel et spirituel dont sa famille était l’héritière. En toute logique, Charlemagne, sûr de ses conquêtes, apparaît rapidement comme ambassadeur de la Chrétienté en Occident.
Conscient de de cette union extraordinaire, Pépin III confia son œuvre temporelle à ses deux fils Carloman et Charlemagne afin que perdure la flamme missionnaire qui devait embraser l’Europe.
Rivalités et dispute
Les siècles de dynastie carolingienne avaient été marqués par la longue tradition franque du partage territorial.
Fidèle à celle-ci, Pépin III s’assure que le royaume soit partagé entre Charlemagne et Carloman, mais tout est fait pour qu’ils soient obligés de s’entendre pour essayer de gouverner ensemble. Les deux frères obtinrent non pas une partie symétrique du royaume mais bien chacun une partie de l’Aquitaine, de la Neustrie et de l’Austrasie. Malgré ce découpage hors du commun, le regnum francorum est dès lors fracturé en deux selon une diagonale de Toulouse à Soissons, donnant au royaume de Charlemagne une allure particulière.
Unis par un héritage mais distants politiquement, les choix de Charlemagne divergent vite de ceux de Carloman, engendrant de trop nombreux conflits fratricides sous l’égide de la reine mère. La géopolitique de l’époque met en lumière ces tensions quand le premier se proclame protecteur du pape alors que le second décide de soutenir les Lombards. Dans la lignée de cette divergence internationale, le divorce entre les deux frères prend de l’ampleur avec le refus de Carloman de venir en aide à son frère pour répondre à une révolte nobiliaire en Aquitaine.
À la mort de Carloman, le 4 décembre 771, Charlemagne s’empresse donc de mettre la main sur les territoires et fidèles de son frère afin d’y asseoir sa domination, facilitant ainsi l’unité territoriale du regnum francorum.
Le temps des conquêtes
Le règne de Charlemagne, marqué par l’expansion de son royaume liée à celle de la Chrétienté, se résume parfaitement à travers un capitulaire de 806 y matérialisant cette double croissance « pour le service de Dieu et le profit du roi ». Ce développement territorial, bien qu’exceptionnel, fait naître l’idée déjà importée par son père d’un empire chrétien en Occident.
En monarque et défenseur du pape, Charlemagne se lance à son secours dès 774 afin de libérer les territoires pontificaux des mains des Lombards. Loin d’être anodine, cette intervention lui permet d’y établir un royaume secondaire en Italie à sa botte dès 781, et de marquer son autorité sur les ducs francs qu’il convainc de le suivre de l’autre côté des Alpes. Au même moment, son aventure espagnole se résume par le tristement célèbre col de Roncevaux où son neveu périra sous les flèches basques le 15 août 778 (et non attaqué par les Maures comme le raconte la chanson).
L’Est et ses peuples représentent un défi de taille pour notre monarque qui doit faire face à leurs infidélités et révoltes à répétition. C’est donc par la force qu’il soumet la Bavière, la Frise, les Avars et les Slaves à son autorité. N’hésitant pas à réprimer durement les traîtres pour assurer sa puissance, le duc Tassilon de Bavière terminera sa vie dans un monastère en récompense de ses trop nombreux complots. De surcroît, il écrase les révoltes dont celle de la Frise en 784-785, avant de réserver le même sort à la Saxe en 772. Cette dernière n’acceptant guère sa présence lui mène la vie dure jusqu’en 797, poussant ainsi Charlemagne à la négociation pour retrouver la paix dans cette région en 797.
Au cœur de toutes ses conquêtes, le futur empereur établit sa capitale à Aix-la-Chapelle, afin d’administrer plus aisément l’empire. De fait, il s’agit de construire l’héritière de la Rome antique afin de se présenter en unique rival à l’empereur d’Orient.
La Renaissance carolingienne
En établissant sa capitale à Aix-la-Chapelle, Charlemagne transforme l’administration centrale et locale de l’empire.
Entouré de grands officiers (chambellan, sénéchal) il n’hésite pas à supprimer la fonction de maire du palais et à cléricaliser la chancellerie. Au delà des modifications touchant son propre entourage, le monarque se distingue également par une réforme des actes administratifs avec l’introduction de plusieurs capitulaires. Mis en place par Charlemagne, ces capitulaires, ayant force de loi, rencontrent tout de même des difficultés pour être réellement appliqués.
Afin d’administrer l’ensemble de son territoire, Charlemagne choisit ses comtes parmi les grandes familles nobiliaires. C’est par le serment de fidélité que ceux-ci reconnaissent son autorité d’empereur et lui promettent aide et conseil. Les évêques disposent des mêmes pouvoirs que les comtes, ce qui entraîne une sérieuse concurrence entre les représentants des pouvoirs spirituel et temporel.
Enfin, Charlemagne nomme des missi dominici afin de recevoir les serments de fidélité, vérifier la connaissance des prêtres et s’assurer de la participation des fidèles à la messe. Il s’agit d’hommes de confiance choisis par l’empereur afin d’assurer un parfait contrôle de l’empire et de prévenir de potentielles révoltes.
Au-delà de la réforme administrative, une véritable Renaissance a lieu sous le règne de Charlemagne. Elle est le fruit de la « correctio ». Il s’agit de répondre aux troubles carolingiens. Charlemagne veut que la Cité des hommes se rapproche de la Cité de Dieu. Il veut donc retrouver la religion chrétienne dans toute sa pureté, et tout est organisé autour d’elle. L’esthétique doit plaire à Dieu. C’est ainsi qu’il va par exemple envoyer chercher à Rome d’anciens missels pour que la liturgie soit dite dans un latin parfait.
À mesure que se fait cette Renaissance, l’empire s’étend grâce aux conquêtes. Ainsi, les nouvelles règles artistiques et religieuses se propagent à travers une grande partie de l’Europe. Cela participe largement à l’unité de l’empire, puisque par exemple le missel romain devient la référence dans l’Église d’Occident, là où auparavant il y en avait une dizaine.
Empereur d’une Europe chrétienne
À la suite d’un attentat contre sa personne, le pape Léon III s’enfuit pour aller trouver refuge à la cour du monarque protecteur Charlemagne. Le roi des Francs met un an avant de se déplacer à Rome pour mettre le pape hors de danger. Après être entré dans Rome à cheval porté par les acclamations de la foule, il fait reconnaître l’innocence du souverain pontife face aux nombreuses accusations portées contre lui.
Suite à ce coup de maître, c’est au cœur de la basilique Saint-Pierre que Charlemagne reçoit la couronne impériale des mains du pape, unissant ainsi l’Occident à la Chrétienté. Il s’agit là du renouvellement d’une union entre les pouvoirs temporel et spirituel, légitimant sa domination territoriale. Historiquement daté de Noël 800, ce sacre symbolise une continuité historique et civilisationnelle entre les empereurs romains et ceux du Moyen-Âge.
Désormais, deux empires se font face : celui d’Occident avec Aix-la-Chapelle en capitale, face à celui d’Orient porté par Byzance. La relation entre ces deux entités alterne entre tensions et détentes, compliquant ainsi les plans d’expansion de Charlemagne.
La Rome éternelle n’est donc pas morte. Après avoir conquis et abreuvé l’Europe, elle se renouvelle par un enracinement chrétien à travers une union verticale entre terre et ciel. En d’autres termes, cette union n’est autre que la protection pour la rédemption, le pouvoir pour la gloire du Christ, un trône pour la christianisation des peuples.
Charlemagne, par son sacre, symbolise la naissance d’une civilisation européenne profondément unie à la chrétienté et portée par un royaume de France encore en bourgeonnement.