Il y a 10 ans, Benoît XVI rendait les armes

Il a tenu huit ans. Malgré lui ? Le 28 février 2013, la Garde suisse ferme les portes du palais du Vatican, que le Pape émérite a franchi pour la dernière fois.

Sa renonciation était-elle une surprise ? Pour les intimes de Benoît XVI, non, elle était le dénouement naturel d’un long discernement. Mais pour les fidèles de l’Eglise catholique et universelle, elle était, plus qu’une surprise, une consternation. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre, la presse ne tarde pas à spéculer sur l’annonce historique que le successeur de Jean-Paul II vient de faire devant le collège des cardinaux, le 11 février 2013 : la renonciation à sa charge pontificale, invoquée officiellement pour des raisons de santé.

Le dévoilement de l’homme derrière le Souverain Pontife

Le 11 février 2013, en fin de matinée, c’est un vieillard voûté sur sa canne, suivi de très près par trois hommes vêtus de costumes impeccables, qui chemine à pas comptés dans les longs couloirs du Vatican. A son arrivée, le froissement des soutanes rouges des cardinaux cesse, et s’ensuit un silence respectueux. Quelques mois auparavant, le Magistère a convoqué le collège des cardinaux pour un consistoire public ordinaire, réuni pour valider des propositions de canonisations. C’est cette occasion que le successeur de Saint Pierre choisit pour l’annonce fatidique.

Avec sa soudaine renonciation, Benoît XVI entre définitivement dans l’Histoire. Son départ prématuré est une situation quasi inédite dans l’histoire de l’Eglise : le dernier Pape à avoir volontairement quitté ses fonctions fut Grégoire XII, en 1415. Benoît XVI est ainsi le premier Pape de l’Histoire moderne et contemporaine à avoir rompu avec la tradition qui voulait que les détenteurs des clefs de Saint Pierre mourussent à la tâche. 

Et pourtant, la renonciation du Pape est bien prévue dans le Code du droit canonique. Au canon 332, il est écrit : « S’il arrive que le Pontife Romain renonce à sa charge, il est requis pour la validité que la renonciation soit faite librement et qu’elle soit dûment manifestée, mais non pas qu’elle soit acceptée par qui que ce soit ».

La presse et les fidèles se perdent en conjectures sur les raisons de ce départ si inhabituel et si inattendu. Aujourd’hui, il est tout à fait certain que le Pape n’a pas quitté ses fonctions sous la pression de la sombre affaire Vatileaks, comme on le suggérait alors à l’époque. Au contraire, cette crise, publication au cours de l’année 2012 de documents secrets issus de son bureau, aurait retardé sa renonciation, à cause de sa lente résolution, du procès des mis en cause, et du pardon accordé par Benoît XVI à son majordome Paolo Gabriele, principal fautif, le 22 décembre 2012. Il a tenu à laisser un dossier propre et en règle.

Non, l’argument central invoqué est celui de l’usure physique et psychologique, un motif qui rend la renonciation recevable aux yeux des critères du droit canonique, qui insistent sur la totale liberté et l’absence de contraintes. Devant les cardinaux, cet homme de 86 ans est limpide : « Je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien ». Il ne faut pas oublier que le cardinal Joseph Ratzinger avait été l’un des plus proches conseillers de Jean-Paul II ; par conséquent, il vit de très près à quel point l’emprise de la maladie sur un Pape est fortement handicapante pour une telle charge.

Si sur le coup les raisons en sont encore très obscures, il faudra une bonne décennie pour que, peu à peu, soient dévoilés les véritables facteurs qui l’ont conduit à quitter le trône de Saint Pierre. Le 24 août 2016, dans un entretien au quotidien italien La Repubblica, Benoît XVI semble répondre aux interrogations : « En 2013, il y avait de nombreux engagements que je ne pensais plus être en mesure d’accomplir », comme les Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio ; « je ne me sentais plus capable d’accomplir un voyage aussi fatigant ». L’année précédente, il avait déjà effectué deux voyages sur le continent américain, lesquels s’étaient soldés par d’importants malaises. Ainsi, au Mexique, au Brésil et à Cuba, le vieil homme avait pu « expérimenter les limites de sa résistance physique ». « Je me suis rendu compte que je n’étais plus capable d’affronter ce nouveau vol transocéanique principalement en raison du décalage horaire ». « Il était devenu clair que je ne pouvais pas prendre part aux JMJ. Alors dans un temps relativement bref, j’ai dû décider de la date de ma retraite ».

De même, dans un courrier adressé quelques semaines avant sa mort à son biographe Peter Seewald, et dévoilé ce 27 janvier par l’hebdomadaire allemand Focus, Benoît XVI révèle « le motif central » de sa renonciation : les insomnies qui l’accompagnaient « sans interruption depuis les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne », en août 2005. Les somnifères n’avaient plus d’effet sur lui.

De Souverain pontife à Pape émérite

Benoît XVI opte pour un titre au premier abord peu conventionnel, celui de « Pape émérite », un titre qui n’est prévu par aucune législation de l’Eglise catholique. Selon le pape François, « Benoît XVI a ainsi ouvert une porte institutionnelle, pas exceptionnelle ». Cependant, il demeure « Sa Sainteté », conserve son nom pontifical, sa soutane blanche, ses armoiries, mais n’endosse plus ni le camail ni la ceinture blanche, et ne porte plus les chaussures rouges traditionnelles.

Selon le professeur Ludovic Danto, cette renonciation est un « acte faisant entrer la papauté dans la modernité politique, celle-ci s’entendant comme le fait que celui qui exerce l’autorité l’exerce pour un temps (…) et que la charge est comprise dans un sens éminemment fonctionnaliste : la fonction est clairement distincte de la personne qui l’occupe ». Elle rejoint ainsi la question laborieuse des deux corps du roi. D’ailleurs, le terme canonique est bien « renonciation », et non « démission », ce dernier ayant une connotation négative. Le terme de « renonciation » veut protéger le lien qui existe entre office ecclésiastique et sacrement de l’Ordre. 

Le processus par lequel Benoît XVI se démet de ses fonctions à la tête de l’Eglise est extrêmement compliqué. Le jour de l’annonce aux cardinaux, il explique : « Pour gouverner la barque de Saint Pierre et annoncer l’Evangile, la vigueur du corps et de l’esprit est aussi nécessaire, vigueur qui, ces derniers mois, s’est amoindrie en moi (…). A partir de 20 heures, le 28 février, je ne suis plus pape, ni pasteur suprême de l’Eglise catholique… Mais je veux continuer à travailler, avec mon cœur, avec mon amour, avec ma prière, avec ma pensée, avec toutes mes forces spirituelles pour le bien commun, pour le bien de l’Eglise et de l’humanité ». 

Le dimanche 17 février, premier dimanche de carême, le Pape ne célèbre pas de messe en public, mais, comme chaque semaine, bénit la foule rassemblée sur la place Saint Pierre depuis la fenêtre de son bureau, après avoir récité l’Angélus. Près de 150 000 personnes sont massées sur la place. Dans son homélie, il rappelle que l’Eglise appelle chacun de ses membres à « se renouveler dans l’Esprit et à se réorienter vers Dieu en reniant l’orgueil et l’égoïsme ». 

Le soir même, à 18h, Benoît XVI et les prélats de la Curie romaine cessent toute activité, et ce pour une semaine. Cette retraite, programmée au Vatican chaque première semaine de carême, et durant laquelle les cardinaux prient et méditent dans le cadre d’exercices spirituels, est prêchée par le cardinal italien Ravasi, ministre de la culture du Pape, et figurant dans la liste des papabili. 

Le lundi 25 février est rendu public le motu proprio Normas Nonnullas, daté du 22 février, qui précise un certain nombre de points concernant l’organisation du conclave.

Le véritable dernier rendez-vous du successeur de Jean-Paul II avec la foule est en fait prévu le mercredi 27 février, à 10h30. C’est le jour de l’audience générale, la 384e et dernière audience de son pontificat. 50 000 billets d’accès à la place Saint Pierre ont été vendus, et 200 000 personnes sont présentes. L’adresse du pape aux fidèles est troublante d’émotion : « Je ne porte plus le pouvoir de la charge pour le gouvernement de l’Eglise, mais dans le service de la prière, je reste, pour ainsi dire, dans l’enceinte de Saint Pierre (…). J’ai toujours su que la barque de l’Eglise n’est pas la mienne, n’est pas la nôtre, mais est la sienne. Et le Seigneur ne la laisse pas couler ; c’est Lui qui la conduit (…) Cela a été et est une certitude, que rien ne peut troubler ». Son dernier message porte sur l’intégrité morale et religieuse de l’Eglise. Il dénonce fermement l’hypocrisie religieuse et les divisions au sein du corps ecclésiastique. Le parcours en papamobile est bien plus ample que d’ordinaire.

Benoît XVI est pape jusqu’au bout. Le jeudi 28 février, dernier jour de son pontificat, il reçoit les personnalités prévues. Le matin, il s’entretient avec le président du Guatemala et les évêques italiens de Lombardie en visite ad limina. Puis, l’après-midi, il accorde une audience privée au sénateur Mario Monti, président du Conseil sortant et candidat à sa réélection. Un geste qui montre que le Saint Siège voit d’un bon œil la candidature de ce catholique, réputé pour sa rigueur. Le Saint Père salue tous les cardinaux présents à Rome, puis, à 16h55, reçoit les honneurs d’un piquet de la Garde Suisse, dans la cour Saint Damase. A l’héliport, il est salué par le Cardinal Doyen. A 17h15, ayant atteint Castel Gandolfo, ce sont le Cardinal Président et Secrétaire général du Gouvernorat, et l’Evêque d’Albano et Directeur du Domaine pontifical qui s’inclinent devant le presque Pape émérite. Puis, ce vieil homme en blanc qui achève huit années d’un pontificat agité, se présente au balcon extérieur du palais pour saluer la foule.

Le soir même, à 20h, débute la vacance du Siège apostolique. La Garde suisse se retire pour passer au service du Sacré Collège, tandis que la sécurité du Pape émérite est assurée par la Gendarmerie vaticane. Et dès le 1er mars débutent les démarches du Conclave.

Benoît XVI choisit de finir ses jours dans le monastère Mater Ecclesiae, situé dans les jardins du Vatican. Le 13 mars 2013, lorsque le cardinal Jorge Mario Bergoglio se présente au balcon du palais épiscopal sous le nom de François, le Pape émérite se déclare satisfait : « Après deux souverains pontifes originaires d’Europe centrale, le Seigneur a voulu montrer que le regard de l’Eglise était universel et a invité à une communion plus étendue, plus catholique ». Un message éloquent qu’il ne cessera de clamer, au faîte de sa vie terrestre. Une vie qui s’achève dans le silence, le 31 décembre 2022, à l’âge de 95 ans.

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Pétronille de Lestrade

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