Chronique d’une illusion perdue

Il est de ces soirées qui laissent un goût amer en bouche, coutumières aux suiveurs passionnés des exploits du XV de France. Hier, c'est la France entière qui l’a expérimenté en ses propres terres, avec une intensité et une violence rares.

Il est de ces soirées qui laissent un goût amer en bouche, coutumières aux suiveurs passionnés des exploits du XV de France. Hier, c’est la France entière qui l’a expérimenté en ses propres terres, avec une intensité et une violence rares.

Il y eut certes, celle de 2011, quand Craig Joubert, ignorant le visage tuméfié de Parra et les multiples fourberies de Richie McCaw et de ses coéquipiers, offrait sur un plateau la Coupe du Monde aux All Blacks… On se souvient vaguement d’une autre en 2015, où ces mêmes All Blacks firent boire le calice jusqu’à la lie à des coqs déplumés. 

Et puis ce match d’octobre 2019, quand Jaco Peyper renvoyait Vahaamahina au vestiaire, avant que Biggar ne se charge de crucifier tous ses coéquipiers… Pour un petit point déjà… Ces soirées-là se compteraient même en dizaines si les moins de vingt ans les avaient pu connaître.

Mais celle d’hier soir, au panthéon de ces cuisants barouds d’honneur, figurera dans les premières places.

La chute fut en effet à la hauteur des attentes, de l’engouement, de la passion, inédites, qui l’avait précédée. 

La plus grande fête du ballon ovale aurait dû, c’était écrit, couronner son hôte, mais le rugby est cruel et l’histoire est tragique : il n’en a rien été.

Quatre années de préparation avaient redonné vigueur et espoir au rugby français, meurtri par une décennie de résultats chaotiques. Une victoire de prestige face à une Angleterre finaliste, une autre à Cardiff dans l’antre gallois firent voir au monde du rugby que la France renaissait de ses cendres. Quelques deuxièmes places et UN COVID plus tard, on retiendra cette victoire face aux All Blacks, première d’une longue série (de 14 succès) pendant laquelle les Boks eux-mêmes furent éteints dans un Vélodrome incandescent. Entre-temps, un Grand Chelem confirmait la France au pinacle du rugby mondial. Une génération dorée était née, emmenée par son inoxydable Dupont, par la dangerosité constante d’un Penaud, le courage de Grégory Alldritt, la régularité d’un Thomas Ramos, les charges dévastatrices de Uini Atonio… Le tout sous l’œil attentif et exigeant de Fabien Galthié et de son staff qui avaient fait grandir cette génération, jusqu’à se payer le luxe de coiffer toutes les nations du rugby.

La défaite en Irlande l’année suivante n’était qu’un feu de paille, vite éteint par une humiliation infligée à Twickenham à des Anglais aux abonnés absents. 

Ne comptait que ce match d’ouverture, minutieusement préparé, pour  remettre les dés en jeu face à des Blacks piqués que leur supériorité soit contestée (tant par les Français que par les Sud-Africains ou les Irlandais). De retour dans l’hexagone, la magie du ballon ovale avait alors conquis tout un peuple, séduit par ses artistes, prêts à lui apporter la plus belle des consécrations. 

Les promesses furent tenues et le succès acquis d’entrée lançait idéalement les Bleus vers le tapis rouge déroulé jusqu’à la finale. Trois succès plus tard, se profilait alors le début de la compétition, la vraie, celle où la moindre erreur devient tragique, celle où les adieux peuvent survenir à l’improviste, celle où les colosses peuvent subitement pleurer d’en être évincés. 

La faute à un tirage depuis longtemps biaisé, il fallait que deux des plus grands tombassent, à peine sortis de leur poule. La malédiction qui frappa une nouvelle fois le XV du Trèfle, et son vétéran Sexton, fut pour les Bleus un coup de semonce : malheur au vaincu, point de justice au pays de l’ovalie. 

Et soudain le rêve s’est écroulé. A la sueur, succédèrent l’abattement, les larmes, les regards vides, la prise de conscience insidieuse de la fin d’une histoire. 

Une transformation contrée qui aurait dû être rejouée ? Un Ben O’Keefe acquis à la cause des Sud-Africains ? Ou plutôt l’incapacité de cette équipe a se mettre l’arbitre dans la poche, comme les anglo-saxons savent si bien le faire ? Cette pénaltouche ratée de Jalibert, ce coup de pied direct de Ramos ? Un Cheslin Kolbe laissé trop libre ?

La liste pourrait être longue de ces faits de jeu qui ont transformé ce match, tant attendu, en tragique désillusion…Un point vous manque et tout est dépeuplé.

Restera, la déception une fois oubliée, le temps un peu écoulé, l’extraordinaire aventure d’une équipe qui nous aura fait vibrer, a redonné goût au ballon ovale, rassemblé un peuple autour de valeurs fédératrices qui forgent un esprit propre au rugby. Restera cette épopée au dénouement certes malheureux, mais qui fut l’une des plus belles du rugby français, de cette victoire inaugurale de février 2020 à ce succès contre les All Blacks devant un public survolté. Alors, en repassant dans sa tête tous les exploits de ce groupe d’exception, comment ne pas croire qu’il se souviendra de l’âme du panache français : celui qui voit les perdants se relever, et repartir au combat quand tout est perdu, fidèles à la devise de Charette : “Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais”…

Rémi Maraval

Rémi Maraval

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