Nicolás Gómez Davila : à la découverte de l’érudit colombien qui dénonce les erreurs théologiques de la Modernité

Dans l'ombre du XXe siècle, Nicolás Gómez Dávila a forgé une pensée radicalement critique, élaborée dans la discrétion. À travers ses scholies et son regard sur la modernité, ce philosophe colombien méconnu expose une vision subversive, dénonçant les erreurs théologiques qui sous -tendent les fondements de notre société contemporaine. Plongeons dans l'univers d'un actionnaire authentique, dont la réflexion résonne encore dans les failles de nos constructions sociales.

Lorsqu’il en vient à l’élaboration de la pensée traditionaliste, peu feraient mention de Nicolás Gómez Dávila, non qu’il ne soit pas pertinent de l’évoquer, mais parce qu’il est si peu connu. Né en 1913 à Bogotá, ce philosophe colombien n’a en effet jamais recherché la renommée, distribuant les rares copies de ses ouvrages à ses proches plutôt que de les faire éditer en grand nombre.

 

Après avoir surmonté une grave pneumonie, il s’installe en France, où il vit jusqu’à ses vingt ans, puis retourne en Colombie, où il constitue une impressionnante bibliothèque de 30.000 livres dans laquelle il passe le plus clair de son temps. Refusant de participer à la politique de son pays ou d’exercer une fonction, il envoie à ses amis plusieurs des aphorismes qu’il rédige, exercice de style consistant à ramener le propos philosophique à une phrase très pure. Entre 1977 et 1994, ces aphorismes sont publiés en recueils : Scholies pour un texte implicite, Nouvelles scholies pour un texte implicite, Scholies successives pour un texte implicite. Sont aussi publiés un essai sur le droit et la justice, De jure, et une œuvre posthume, Le Réactionnaire authentique.

Ces textes, remarquables pour leur grande précision stylistique, sont marqués par l’influence de Montaigne, que Gómez Dávila affectionne particulièrement, et des philosophes des Lumières, dont il admire la verve et l’audace. A travers ces scholies (terme  désignant le commentaire antique ou médiéval d’une pensée), le philosophe mène une étude critique de la modernité, et de la pensée occidentale qui en accouche, en s’attachant à démontrer que ses erreurs politiques et philosophiques procèdent avant tout d’erreurs théologiques : il rejoint là la vision de Juan Donoso Cortés, qui s’attaque lui aussi au projet d’humanisation de Dieu par la civilisation moderne. Gómez Dávila dénonce ainsi une vision prométhéenne, qui, découlant d’hérésies chrétiennes (gnosticisme, arianisme, et même stoïcisme, qui opère d’après lui une divinisation de l’homme), provoque l’avènement de l’athéisme, du progressisme, du subjectivisme et du relativisme, quatre piliers de la pensée moderniste.

Bien que le philosophe se garde de proposer une application politique concrète à ses critiques (il écrit notamment : « La philosophie est l’art de formuler lucidement des problèmes. Inventer des solutions n’est pas une occupation d’intelligences sérieuses. »), il conserve cependant un attrait marqué pour un Moyen-Âge, période qui précède la souveraineté progressivement étendue à l’Etat, au peuple, et enfin à des classes sociales par-delà les frontières ; le Moyen-Âge incarne aussi la période où la société l’emporte sur l’Etat, notamment par le biais du droit coutumier en lieu et place de la loi royale. En y reconnaissant le paradigme de l’anti-modernité, Gómez Dávila fonde sur la société féodale l’idéal d’un ordre hiérarchique qui fait accéder l’homme à une liberté dont l’État libéral ou totalitaire le prive par le biais de l’individualisme.

 

Réactionnaire authentique, le Colombien n’en n’est pas moins une figure d’avenir, dont l’ambition d’établir une tradition critique éclaire à travers l’histoire les fondements même des sociétés que nous bâtissons, et qui, d’après lui, seront vouées à l’effondrement tant que nous ne saurons pas quels principes immortels doivent en régler l’organisation.

Image de Baudouin Dhéricourt

Baudouin Dhéricourt

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