Le samedi 5 novembre dernier eut lieu le 18e Congrès du RN au cours duquel le caractère janusien du parti cinquantenaire s’est de nouveau manifesté. Si dans son discours, quelques heures après sa victoire éclatante (84,84%), Jordan Bardella décrit les membres du parti qu’il dirige désormais comme « l’équipage du navire qui suit le cap pour le conduire à bon port », le RN semble davantage être dans la situation d’un navire en partance – encore arrimé à une terre qu’il cherche à quitter, et faisant face à un horizon radieux sa nouvelle figure de proue. L’Etudiant Libre revient avec vous sur cette journée historique pour le parti à la flamme.
“La vénération des cendres et la passation du feu”
Le RN fait les choses en grand pour ce 18e Congrès et investit la Maison de la Mutualité au cœur de Paris dans le Ve arrondissement. Une large équipe de sécurité est déployée et les forces de l’ordre sont sur place afin d’assurer le bon déroulement de l’événement. Rendez-vous à 9 heures pour l’ouverture des portes. On découvre alors une salle de conférence décorée aux couleurs du RN, parcourue de stroboscopes bleus blancs rouges et emplie d’une musique épique : l’ambiance est à la fête. C’est d’abord Jordan Bardella qui fait son entrée sous un tonnerre d’applaudissements, suivi de Marine Le Pen et enfin de Louis Aliot, suscitant moins l’émoi de l’assemblée.
Après la présentation du rapport financier du parti par Kévin Pfeffer, un clip vidéo d’hommage à Marine Le Pen, allant bientôt rendre son titre, est diffusé, alternant images de rencontres avec les Français et grandes étapes de sa présidence de onze ans à la tête du parti. C’est donc après cette séquence émotion que Marine Le Pen entame son « rapport moral » visant à faire état de la situation du RN fêtant ses cinquante ans d’existence en 2022. L’ex-présidente se félicite pour la place que son parti a réussi à obtenir, en devenant un véritable « parti de gouvernement », comme en témoignent les résultats à l’élection présidentielle et surtout ceux aux législatives (89 députés RN siègent à l’Assemblée depuis juin 2022), lui permettant d’affirmer : « Nous avons gagné la bataille idéologique ». Cette bataille est celle que le RN mène depuis sa création en 1972, mais c’est un passé et surtout un nom qui ne sont évoqués que succinctement : le Front national et Jean-Marie Le Pen. Dans la continuité de sa stratégie de dédiabolisation visant à normaliser le parti créé par son père, Marine Le Pen évite de s’appesantir sur ce passé et fait preuve d’une certaine dureté à son égard. Elle évoque la situation du RN lorsqu’elle en devient présidente en 2011 et le qualifie de « parti couturé des profondes blessures qu’une histoire tourmentée lui avait infligées », sans jamais prononcer le nom de son père dont l’ombre plane lorsqu’elle mentionne « l’héroïsme de quatre décennies de combats épiques » l’ayant précédée.
Marine Le Pen et le RN à sa suite semblent absolument s’inscrire dans l’esprit de la fameuse parole de Gustav Mahler définissant la tradition : « ce n’est pas la vénération des cendres mais la passation du feu ». Ce Congrès est bien le symbole de la transmission du flambeau à son nouveau dirigeant offrant au Rassemblement National un regard vers l’avenir. Toutefois, l’évincement des membres les plus influents du « clan d’Hénin-Beaumont » (Steeve Briois et Bruno Bilde en tête) ayant dénoncé « une potentielle “reradicalisation” du RN » pourrait signifier la tendance inverse avec un Jordan Bardella dont la verve et le charisme, ravivent le souvenir d’anciens hauts-dignitaires du FN.
Jordan Bardella : la nouvelle épopée ?
Ces dissensions internes au Rassemblement National ne se font pourtant pas ressentir au cours de cette journée davantage marquée du sceau de l’unité de ses partisans face aux accusations calomnieuses des députés Nupes à l’égard de Grégoire de Fournas, exclu quinze jours de l’Assemblée nationale pour avoir provoqué un trouble au sein de l’hémicycle. Jordan Bardella devient au cours de ce congrès le symbole de cette unité du RN, tant par son score de près de 85% à l’élection à la présidence du parti, que par l’adhésion presque unanime des militants que nous avons pu interroger. Bryan Masson, 25 ans et député des Alpes-Maritimes affirme qu’il « ne connaît pas de défaut de Jordan Bardella » et Pierre Le Camus, 23 ans, collaborateur d’élus en Nouvelle-Aquitaine et référent départemental des Jeunes avec Marine, confirme « qu’il n’a aucune faiblesse, il est parfait ».
Ce congrès est certes synonyme de triomphe pour le jeune premier mais son élection est également l’annonce d’une nouvelle épopée du RN menée par son nouveau dirigeant, qui pour la première fois de son histoire, n’est pas un membre de la famille Le Pen. Les partisans n’y voient absolument pas une rupture dans la ligne du parti mais bien « une continuité puisque le parti est une grande famille ; que l’on s’appelle Le Pen ou pas, depuis toujours c’est vraiment une famille politique » s’exclame Anne Jacqmin, élue RN à Versailles. David, 26 ans, militant depuis 2017 et collaborateur parlementaire acquiert une vision de long terme et annonce avec espoir : « Il faut pouvoir voir dans l’avenir : nous ne sommes plus le front, nous sommes le rassemblement et nous aspirons vraiment à gouverner. […] Le but c’est d’atteindre l’Elysée et Marine était en bonne voie jusque-là. ».
La principale interrogation repose effectivement sur 2027 et l’identité du candidat RN à la présidentielle. Marine Le Pen tentera-t-elle encore sa chance alors qu’elle n’a jamais été aussi près de ce but en 2022 ? Ou bien faut-il miser sur Bardella dont la jeunesse et le succès ne sont pas sans rappeler le parcours d’Emmanuel Macron ?