L'Étudiant Libre

Toute dernière incarnation de l’Ordre de la Libération qui récompensait les résistants de la guerre de 40, Hubert Germain a rendu son dernier souffle le 12 octobre, à l’âge de 101 ans. Un témoignage poignant de ces heures qui ont fait la France.
Le mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, où reposera Hubert Germain.
Le mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, où reposera Hubert Germain.

Hubert Germain faisait partie des 1 038 Compagnons de la Libération. Ainsi nomme-t-on les résistants à l’Occupant ayant reçu la médaille de l’Ordre de la Libération des mains du général de Gaulle, depuis 1940. Tout bénéficiaire pouvait, dès lors qu’il l’avait reçue, l’arborer fièrement sur sa poitrine, et il y avait de quoi : l’Ordre de la Libération était le deuxième ordre national français, après la Légion d’honneur et même avant la Médaille militaire.

Comment peut-il en être autrement puisque l’un des maîtres-mots du général de Gaulle est « résistance ». « L’appel de la BBC » du 18 juin 1940, n’est que le début officiel d’une histoire de quatre ans pour les Français décidés à affronter l’Allemand qui arpente ses rues. De Londres, de Gaulle forme les Forces Françaises Libres, principal réseau de résistance qui s’ajoute aux multiples groupes déjà formés en métropole. Il n’arrête pas là son action, puisqu’au cours de l’été il rejoint rapidement l’Empire d’Afrique, et établit ses quartiers généraux à Brazzaville, capitale de l’Afrique Équatoriale Française. Avide de gloire, brûlant de voir le « Boche » écrasé, le « Grand Charles » comme on le surnomme alors en appelle à tous les hommes et femmes disponibles. Fort de ces appuis, c’est le 16 novembre 1940 qu’il crée l’Ordre de la Libération, afin de « récompenser les personnes ou les collectivités militaires et civiles qui se seront signalées dans l’œuvre de libération de la France et de son empire ». Désormais, la motivation doit être la course à la Libération dans tous les sens du terme.

Les titulaires sont d’abord dénommés les Croisés de la Libération, puis deviennent les Compagnons. En signe de rappel des ordres de la chevalerie, de Gaulle se fait appeler le Grand Maître. La décoration est composée de l’insigne, surmonté d’un ruban. L’insigne n’est autre que la croix de Lorraine, dont le revers est gravé de la devise « Patriam Servando, Victoriam Tulit », soit « en servant la patrie, il a remporté la victoire ». Le ruban vert et noir symbolise l’état de la France en 1940 : le noir du deuil et le vert de l’espérance.

L’Ordre dispose d’un siège, d’abord à Londres, puis à Alger en 1943 et enfin à Paris à partir du 20 novembre 1944, avant de devenir forclos en 1946. Seul de Gaulle a le pouvoir de transgresser cette exclusion. C’est ainsi qu’on le voit remettre la haute distinction à Winston Churchill le 18 juin 1958, ainsi qu’au monarque anglais George VI lui-même le 2 avril 1960, à titre posthume. En tant que Grand Maître de l’Ordre, le général étrenne un collier fait de neuf maillons d’or réunis par des croix de Lorraine. Chacun est gravé du nom des territoires qui, l’un après l’autre, reformèrent l’Empire : Afrique Équatoriale Française et Nouvelles-Hébrides, Océanie et Guyane, Somalie et Réunion, Afrique du Nord et Antilles, Nouvelle-Calédonie et Cameroun, Indes et Levant, Madagascar et Saint-Pierre-et-Miquelon, Afrique Occidentale Française et Indochine, France.

" Je pars faire la guerre. "

Hubert Germain

Avec la mort d’Hubert Germain, c’est l’Ordre de la Libération qui est enfoui sous terre à tout jamais. Le Grand Maître était unique : le général de Gaulle. Seuls les Français dont la main du « Grand Charles » avait effleuré l’épaule et dont les doigts avaient apposé la croix sur la poitrine pouvaient se dire Compagnons. Et Hubert Germain était bien le dernier sur cette terre à pouvoir le clamer haut et fort.

Fils d’un général des troupes coloniales, la révélation résistante d’Hubert survient à Bordeaux, comme il le relate à l’AFP en 2018. Alors qu’il passe le concours d’entrée de l’École navale, en pleine débâcle du printemps 1940, le jeune homme de 20 ans fixe la feuille qu’on a mis devant lui. Sa vue se brouille, ses doigts tremblent, il a honte. « Mais qu’est-ce que tu fais là ? », lui reproche une voix intérieure. Se levant alors brusquement, il déclare à l’examinateur : « je pars faire la guerre ». Désormais, rien ne peut l’arrêter. Quelques semaines plus tard, il embarque à Saint-Jean-de-Luz sur un navire transportant des soldats polonais vers l’Angleterre. C’est le 24 juin 1940 qu’il débarque à Londres. Ayant reçu ses affectations, il intègre alors la Légion étrangère, à l’exemple de son père, et combat. La Syrie, la Libye, Bir Hakeim, l’Égypte, l’Italie et la Provence, les Vosges, l’Alsace : toutes ces terres raisonnent encore de son acharnement pour la délivrance de sa patrie. Pierre Messmer, dont il fut le frère d’armes à Bir Hakeim, en 1942, parle de lui comme d’un « roc ».

Blessé, il est décoré par le général de Gaulle fin juin 1944 en Italie. Il poursuit sa carrière militaire quelques années après la guerre, avant de devenir ministre dans le gouvernement Messmer de 1972 à 1974, sous la présidence de Georges Pompidou. Il prend sa retraite quelques années plus tard, fort d’une carrière militaire, civile et politique brillante à tous égards.

En tant que dernier représentant de l’Ordre de la Libération, Hubert Germain sera inhumé au Mont-Valérien le 11 novembre prochain, site chargé d’histoire et de symboles pour les résistants de la Seconde Guerre mondiale, puisque plus d’un millier de résistants et otages y furent fusillés. De quoi faire de ce lieu et de la tombe du « der des ders » une empreinte et une effigie de la lutte pour notre pays, la France.

Pétronille de Lestrade

Pétronille de Lestrade

L’Ordre de la Libération s’est éteint
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