Le divorce franco-allemand sur l’énergie

Fin janvier, les ministres français et allemand des Affaires étrangères publiaient une déclaration commune à la suite d’une rencontre ayant pour thème l’énergie européenne. Si la France et l’Allemagne sont à l’unisson sur la production d’un hydrogène faible en émissions de carbone, cette entente ne saurait gommer des divergences profondes en matière de politique énergétique entre les deux États.

Deux politiques antagonistes

En plus d’appartenir au cercle restreint des puissances atomiques, la France investit depuis longtemps dans l’énergie nucléaire pour produire une électricité bon marché, peu sensible aux variations de la demande et pauvre en émissions carbone. Grâce à ses 56 réacteurs nucléaires, le pays est devenu le premier exportateur d’électricité en 2021. En revanche, la quasi-totalité du gaz consommé sur son territoire est importée, en provenance de Norvège (1/3), de Russie (17%) et d’Algérie (8%).

L’Allemagne nourrit quant à elle une aversion historique à l’égard de cette source d’énergie, imputable aux traumatismes de Hiroshima et Nagasaki ainsi qu’à la crise des Euromissiles dans les années 1980. Au cours de cette période, sous l’impulsion des Verts, le parti écologiste allemand, les gouvernements successifs amorcent un lent détricotage du parc nucléaire national au profit des énergies renouvelables. C’est ainsi que s’élabore la politique énergétique allemande, dite « Energiewende » (transition énergétique en français). Le chancelier Gerard Schröder accélère le mouvement à l’aube du XXIe siècle : deux lois votées par une coalition de sociaux-démocrates et d’écologistes fixent la part d’énergies renouvelables à atteindre dans le mix énergétique allemand, à hauteur de 40% en 2025. Angela Merkel enfonce le clou à la suite de la catastrophe de Fukushima en décidant de fermer définitivement les 17 réacteurs nucléaires allemands.

La politique allemande se heurte néanmoins à des problèmes de taille. L’instabilité de la production d’électricité fournie par l’éolien et le solaire, soumis aux aléas climatiques, justifie le recours au gaz, pourtant bien plus polluant que le nucléaire, et entre en contradiction avec les objectifs environnementaux de l’UE comme la neutralité carbone d’ici 2050.

L’interconnexion des énergies européennes, un levier de solidarité ?

Les frictions entre la France et l’Allemagne ne sauraient se comprendre sans tenir compte de ce paramètre : le système d’interconnexion des énergies à l’échelle européenne. Celui-ci, fondé sur un ensemble de canaux et de tubes reliant les États européens, est censé assurer la sécurité en approvisionnement en cas de crise majeure (catastrophes naturelles, rupture des relations politiques…). Il garantit en outre des échanges permanents d’énergies, ajustables selon les périodes. Par exemple, l’Espagne importe massivement de l’électricité française en été tandis que la France, elle, veille à l’acheminement de l’électricité espagnole en hiver.

franceinfo, « Crise énergétique : pourquoi la France livre-t-elle du gaz à l’Allemagne ? » (15 octobre 2022)

A l’aune de la guerre en Ukraine, la solidité de ce mécanisme, conçu comme un moyen de rapprocher les États membres de l’UE, a été éprouvée. La relation franco-allemande a d’ailleurs connu quelques remous. À court de gaz depuis le sabotage du gazoduc NordStream 2, l’Allemagne a su trouver le concours de la France pour lui en fournir ; l’Hexagone recevant en effet du gaz naturel liquéfié des Etats-Unis. De leur côté, les autorités allemandes ont manifesté une certaine amertume lorsqu’il s’est agi de maintenir leurs deux dernières centrales nucléaires afin d’exporter de l’électricité à destination de la France, dont la plupart des réacteurs sont en panne. Le ministre allemand de l’Économie et du climat, l’écologiste Robert Habeck, avait expliqué ce choix à cause de la situation en France « plus mauvaise que prévu ».

Les tentations égoïstes de l’Allemagne

L’engouement du Président français pour cette architecture tend toutefois à dissimuler une lutte d’influence que se livrent la France et l’Allemagne.

Le sujet majeur d’opposition concerne la reconnaissance du nucléaire comme énergie « verte ». Les États ou les entreprises engagés dans le développement de ces énergies reçoivent des subventions européennes, de la part de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) par exemple. La France, qui milite pour cette reconnaissance depuis des années, trouve face à elle une Allemagne inflexible. Et pour cause, les entreprises allemandes spécialisées dans le secteur des énergies renouvelables bénéficient avantageusement de subventions européennes. Ainsi le géant Siemens a-t-il reçu près de 291 millions d’euros en 2019 de l’Union Européenne. De 2019 à 2021, la BEI s’est elle aussi montrée généreuse avec l’industrie allemande : environ 18 millions d’euros lui ont été alloués contre 8 millions pour l’industrie française. En d’autres termes, reconnaître le nucléaire comme une énergie verte, éligible à des subventions européennes, reviendrait pour l’Allemagne à affaiblir la compétitivité de son industrie et à favoriser celle de la France.

En parallèle, les initiatives allemandes continuent à faire débat au sein de l’Union Européenne. Il y a encore quelques mois, l’Allemagne préférait faire cavalier seul et proposait un plan de 200 milliards d’euros d’aides dans le but d’enrayer la flambée des prix de l’énergie. Cette attitude était loin de faire l’unanimité en Europe. Championne de l’austérité à Bruxelles, l’Allemagne se permettait de dépenser massivement pour renflouer les entreprises gazières allemandes et instaurait de fait une concurrence déloyale.

Dans ce contexte, les oppositions de stratégie entre la France et l’Allemagne fragilisent un peu plus l’UE sur le dossier de l’énergie…

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Guillaume d'Aiglemont

Guillaume d'Aiglemont

Etudiant en M2 à l'IEP de Strasbourg, Guillaume s'occupe des sujets internationaux au sein de l'équipe de rédaction du site
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