L'Étudiant Libre

Il y a 200 ans, la deuxième guerre de Vendée

Princesse, héritière présomptive, veuve prématurée, chef de guerre, femme ostracisée, la duchesse de Berry a tout pour intriguer. Cause de sa perte, sa passion battante pour la France résonne encore dans le bocage vendéen.
Arrestation de la duchesse de Berry à Nantes le 7 novembre 1832 (Crédits : Wikipédia)

Rien ne laissait présager qu’elle deviendrait une partisane invétérée de la France de l’Ancien Régime. La princesse Marie-Caroline de Naples et de Sicile naît dans le royaume de Naples le 5 novembre 1798. En sa qualité de petite-fille du roi Ferdinand Ier des Deux-Siciles, elle reçoit une éducation simple, libre, et se révèle bientôt une grande artiste dans l’âme.

De l’autre côté des Alpes, la famille royale n’est pas aussi insouciante. Le vieux roi Louis XVIII n’a pas d’enfants. Son frère et héritier, le futur Charles X, a deux fils mais aucun petit-fils. Pour assurer la pérennité de la branche des Bourbons sur le trône de France, Louis XVIII est résolu à marier son neveu, le volage Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, à l’aînée des petites-filles du roi de Naples, Marie-Caroline, alors âgée de 18 ans. Le mariage est célébré par procuration en 1816. Un mariage entre deux êtres que tout oppose, et surtout l’âge puisque le duc a vingt ans de plus. Malgré le libertinage connu de celui-ci, le duc et la duchesse de Berry forment un couple uni, comme en témoignent de nombreuses lettres tendres. Installés dans le palais de l’Élysée aménagé pour eux, ils donnent naissance à quatre enfants. Deux seulement survivent, dont Henri-Dieudonné d’Artois, « l’enfant du miracle », comte de Chambord et duc de Bordeaux, né le 29 septembre 1820 au palais des Tuileries. « Enfant parvenu derrière un cercueil » aussi, puisque son père est assassiné sept mois plus tôt. C’est alors à ce petit bébé qu’incombe la lourde responsabilité de garantir le maintien des descendants de Louis XVI au gouvernement de la France.

La régente d’Henri V

Après le tragique décès de son époux, Marie-Caroline s’installe au palais des Tuileries, dans le pavillon de Marsan avec ses enfants. Veuve à 22 ans, elle y mène un grand train de vie, organisant toute sorte de bals et de réceptions qui marquent les esprits mondains de l’époque.

Mais le tournant des Trente Glorieuses a tôt fait d’éloigner cette « princesse de la mode » des futilités de la vie parisienne. Suivant la Cour de Charles X en exil à Bath puis en Écosse, elle s’entoure de légitimistes résolus qui définissent avec elle un programme politique pour une possible restauration de la branche aînée. Un programme au nom évocateur : l’Édit de réforme du royaume. L’un de ses alliés, Ferdinand de Bertier, l’évoque en ces termes : « Les idées les plus larges, les plus libérales, les plus favorables au peuple et en même temps les plus conformes à la gloire et à la grandeur de la France en faisaient la base ».

L’été 1831 est l’occasion pour la duchesse de Berry de revenir sur sa terre natale, l’Italie, d’où elle entretient une correspondance soutenue avec ses amis défenseurs des enfants d’Henri IV. Loin des regards, dans l’ombre de son écritoire, elle établit avec l’aide de ses ministres improvisés un plan qui ferait trembler Louis-Philippe : un vaste projet de soulèvement des Chouans pour renverser l’Orléanais et le remplacer par celui que les légitimistes appellent déjà « Henri V », adolescent encore inconscient de ce qui se trame à des kilomètres de Paris…

L’échec du nouveau 1793

 

La régente d’Henri V n’est pas femme à se laisser abattre. Si la Vendée doit se soulever, elle en sera l’instigatrice, pour conduire ensuite son fils sur le trône de France. Dans la nuit du 28 au 29 avril 1832, elle débarque clandestinement à Marseille. Mais au lieu des 2 000 fidèles annoncés, elle ne trouve que 60 hommes qui l’attendent sur le port. Qu’à cela ne tienne ! Elle se contentera de cette mobilisation locale. Le 21 mai, elle parvient, toujours incognito, aux Mesliers, un château isolé, perdu au milieu du bocage vendéen. Travestie en paysan, d’un pantalon et d’une veste rapiécée, elle se fait appeler « Petit Pierre ». Là, elle est logée par un certain Monsieur de Saint-André, adepte de son idée fixe. Le propriétaire consent à installer le quartier général de son hôte illustre dans sa demeure. La duchesse y convoque alors les chefs vendéens, descendants des officiers de 1793. Mais ceux-ci sont sceptiques, trop sceptiques. Ils avertissent la jeune femme : la paysannerie de la Révolution Française a bien évolué, jamais les fermiers n’accepteront de brandir une nouvelle foi les fourches, et pour un sujet controversé qui plus est, celui de porter le comte de Chambord sur le trône. De plus, le gouvernement de Louis-Philippe n’est pas hostile au clergé.

Mais c’est sans compter la détermination de Marie-Caroline qui s’obstine avec flamme, trop confiante dans les destinées de son fils. L’ordre de soulèvement est alors donné le 4 juin. S’ensuivent trois jours d’une répression sanglante, où les Chouans sont massacrés en grand nombre. La lutte est très inégale, puisque les troupes du roi comptent plusieurs milliers d’hommes, face à seulement quelques centaines de Vendéens mal préparés. Le 7 juin, deux compagnies du 29ème régiment assiègent le manoir de la Pénissière, tenu par Auguste de la Rochejaquelein et une cinquantaine d’hommes. La petite faction résiste héroïquement, à un contre dix. Mais les soldats royaux mettant le feu aux bâtiments, leurs adversaires sont contraints de se réfugier dans la forêt, déplorant plusieurs pertes. C’est ainsi que ce soulèvement est écrasé, dans l’indifférence de la population fatiguée des guerres civiles successives. Les derniers « Blancs » sont capturés par les « Culottes rouges » de Louis-Philippe. La partie semble définitivement perdue.

La consécration du naufrage des légitimistes

 

En cavale pendant six mois, la duchesse de Berry se réfugie dans la maison des demoiselles Duguigny à Nantes. Là, sa ténacité prend le dessus et elle réfléchit à un nouveau plan d’attaque. Sans grande conviction, bien qu’elle n’ose se l’avouer. Mais la cupidité de l’un de ses agents de liaison, un certain Simon Deutz, a raison de son pessimisme. Cet homme, que Victor Hugo qualifie de « fourbe », reçoit d’Adolphe Thiers la somme énorme de 500 000 Francs pour livrer sa maîtresse. Trahie, la duchesse de Berry et ses tous derniers fidèles se terrent davantage dans la demeure nantaise. Mais, le soir du 6 novembre, une centaine de gendarmes encerclent la maison. Affolée, la jeune femme entraîne sa suite dans un réduit exigu enfoui derrière la plaque de la cheminée. Les gendarmes ont, quant à eux, reçu l’ordre d’attendre leur proie à l’intérieur. Pour vaincre le froid, l’un d’eux allume un feu dans cette même cheminée. La plaque devient alors dangereusement rougeoyante et manque de mettre le feu à la robe de Marie-Caroline qui l’éteint à temps. Le matin, l’homme réitère son opération. Cette fois, la cachette s’enfume littéralement, et pour éviter l’asphyxie, les fugitifs sont obligés de sortir.

La mère du comte de Chambord se rend au général Dermancourt qui dirigeait la battue. Elle est alors conduite à la citadelle de Blaye, où elle est enfermée et étroitement surveillée par le colonel Bugeaud. Et c’est sous les yeux de celui-ci que la prisonnière accouche d’une fille, prénommée Rosalie, le 10 mai 1833. Une princesse qu’elle déclare fille d’un Italien, le comte Hector de Luccheli-Palli, qu’elle dit avoir épousé secrètement deux ans auparavant. Mais il n’en faut pas plus pour achever de la discréditer.

 Après quelques mois de détention sévère, la duchesse est alors libérée et expulsée à Palerme, où sa famille dépitée lui tourne le dos. C’est en Autriche qu’elle passe les dernières années de sa vie, où elle meurt le 16 avril 1870, ayant acquis la seule satisfaction d’avoir tenté de replacer sur le trône de sa patrie par alliance son fils, descendant direct du roi Henri IV…

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