L'Étudiant Libre

Hortense de Beauharnais, plus bonapartiste que Bonaparte

Hortense de Beauharnais, c’est la belle-sœur méconnue de Napoléon Ier, c’est la mère tourmentée de Napoléon III, c’est la fille chérie de Joséphine. Femme de transition dont la lourde tâche était d’assurer la suite de la dynastie impériale, elle a marqué l’histoire du premier XIXème siècle d’une empreinte si discrète qu’on en a oublié jusqu’à son existence…
Crédits : Wikipédia

Lorsque Marie-Josèphe Rose de Tascher de la Pagerie et le vicomte Alexandre de Beauharnais mettent au monde leur fille cadette, Eugénie-Hortense, le 10 avril 1783 à Paris, ils ne se doutent pas encore du destin incroyable de ce bébé et de sa contribution indéniable à l’avancée de l’histoire de France. La petite Hortense grandit sous les yeux attendris de sa chère mère, Joséphine, délaissée par un père qui finit cruellement sous la lame de la guillotine, en pleine Terreur révolutionnaire. Mais cette mort tragique signe le début d’une nouvelle vie pour les deux jeunes femmes, lorsqu’un petit général corse frappe à leur porte un beau matin. Très épris de la mondaine Joséphine, Napoléon Bonaparte l’épouse le 9 mars 1796, et adopte ses deux enfants Eugène et Hortense avec toute l’affection dont il est capable. Hortense le relate dans ses mémoires : « il m’accueillit avec toute la tendresse d’un père ».

Introduite alors malgré elle dans l’incroyable destinée de la famille Bonaparte et emportée dans le tourbillon de la période post-révolutionnaire, la belle-fille de l’empereur avance en âge, sous les yeux attentifs de son intrigant beau-père.

Reine de Hollande et mère du dauphin de France

Le couple impérial est désespéré : Joséphine n’a toujours pas d’enfants. Mais l’impératrice ne s’avoue pas vaincue. Déterminée à assurer sa position et à renforcer ses liens avec la famille Bonaparte, elle organise le mariage de sa fille avec Louis Bonaparte, frère de son époux. Selon les mots mêmes de l’empereur, cette union « est le résultat des intrigues de Joséphine ». De belle-fille de Napoléon Ier, Hortense en devient la belle-sœur en épousant le 4 janvier 1802 son oncle, de sept ans son aîné. C’est le prélude d’un mariage très malheureux, les futurs parents de Napoléon III ne sont pas assortis… Louis est un homme difficile, rongé de jalousie, au tempérament susceptible, et souffrant de paralysie. Mais son frère refuse catégoriquement le divorce, qui serait un scandale. Dans une lettre du 2 mai 1807, il supplie le jeune couple de tenir bon. À Louis, il écrit : « vous avez la meilleure femme et vous la rendez malheureuse » ; et à Hortense : « Louis est un homme juste quoi qu’il ait des idées extraordinaires ».

De ce mariage échoué naissent cependant trois garçons : Napoléon-Charles en 1802, Napoléon-Louis en 1804 et Louis-Napoléon en 1808. L’Empereur adopte aussitôt l’aîné, qu’il considère comme son futur successeur, mais le petit garçon ne vivra que quatre ans.

En 1806, Louis Bonaparte devient roi de Hollande, et Hortense est contrainte de le suivre à La Haye. Mais son époux est réellement de plus en plus invivable. La séparation tacite est progressivement dévoilée au grand jour, avant qu’elle ne devienne officielle en 1810, lorsque Louis abdique et que la Hollande est annexée par la France. La reine déchue conserve la charge des enfants et une pension lui est allouée, lui assurant son indépendance. Une manière pour son beau-père et beau-frère de lui prouver sa sympathie. Après une résistance molle, elle finit par céder aux avances du comte Charles de Flahaut, fils naturel de Talleyrand, et donne naissance, en Suisse, au duc de Morny, qu’elle ne côtoiera jamais. Un épisode que les proches de la jeune femme garderont jalousement secret.

De retour à la capitale, Hortense de Beauharnais, en digne fille de sa mère, s’adonne aux plaisirs mondains et anime des salons côtés où se retrouve la haute société impériale.

« Quand on partage l’élévation d’une famille, on doit en partager ses malheurs »

Napoléon Ier est contraint de répudier son épouse stérile. Sa belle-fille perd alors les faveurs de la Cour, mais grâce à la nouvelle impératrice Marie-Louise d’Autriche elle demeure dans l’entourage de l’empereur. Elle devient alors l’une des plus proches confidentes de la mère du roi de Rome. Au moment des troubles du mois de mars 1814, elle lui conseille même de rester à Paris, n’approuvant pas les décisions du conseil de Régence.

Contre toute attente, Hortense est pour lors sous la protection des alliés légitimistes et de Louis XVIII, de retour pour quelques mois sur le trône de France. Le nouveau roi la fait même duchesse de Saint-Leu, du nom d’un château acquis par son mari en 1804, à Saint-Leu-la-Forêt. De l’île d’Elbe, Napoléon fulmine. Mais la mort de Joséphine, le 29 mai 1814, semble apaiser les tensions entre les deux Bonaparte déchus. De retour de sa prison insulaire, l’empereur reçoit Hortense et lui pardonne froidement cet écart : « quand on partage l’élévation d’une famille, on doit en partager ses malheurs ». Désireuse de prouver son attachement à sa famille d’adoption, celle-ci suit l’illustre dépossédé à la Malmaison du 25 au 29 juin 1815, avant son départ définitif vers son tombeau, sur la lointaine île de Sainte-Hélène…

Désormais, Hortense de Beauharnais est suspecte. La première Restauration vire au bannissement, l’exil est inévitable. Après quatre mois à Aix-les-Bains, elle entame alors une « vie errante et persécutée ». Elle réside dans le grand-duché de Bade, à Constance, quand le gouvernement français l’en chasse. Avec ses deux fils, elle pérégrine entre Augsbourg et la Suisse, accueillie par ceux qui daignent lui ouvrir leur porte. Elle finit par s’installer de manière pérenne dans le canton de Thurgovie, et fait l’acquisition en janvier 1817 du légendaire château d’Arenenberg, sur les bords du lac de Constance.

Hortense n’oublie pas quel est le nom qui lui fut conféré par alliance, un nom devenu damné, mais qu’elle a l’intention de faire renaître, si Dieu le veut, pour qu’il s’accorde de nouveau avec le trône de France. Elle décide alors de rompre avec le comte de Flahaut, et refuse le divorce que Louis Bonaparte réclame. Mais en contre-partie, elle doit partager l’éducation de ses enfants avec son mari. Gardant avec elle son petit dernier, Louis-Napoléon, la jeune femme mène alors une existence qu’elle veut insouciante, faisant d’Arenenberg le centre d’une petite vie de Cour. Elle y réunit quelques illustres fidèles, comme Juliette Récamier ou Alexandre Dumas, et compose pour eux des morceaux musicaux. L’un d’eux, resté célèbre, « Partant pour la Syrie », devient le chant de ralliement des bonapartistes sous la Restauration…

Mais voilà que ses fils observent avec intérêt les mouvements révolutionnaires en Italie, et intègrent la communauté des Carbonari. La mère inquiète leur écrit des sentences pleines de sens, consciente de sa responsabilité confiée par son défunt beau-père : « Il est des noms magiques qui peuvent avoir une grande influence sur les évènements. Ils ne doivent paraître dans les révolutions que pour rétablir l’ordre. Leur rôle est d’attendre avec patience. S’ils fomentent des troubles, ils auront le sort des aventuriers ». Après l’insurrection des Romagnes en 1831, Hortense a la douleur de perdre son cadet, Napoléon-Louis. La femme trop tourmentée s’enfuit avec son benjamin, serrant contre elle ce petit garçon qu’elle a pour mission d’éduquer à la Revanche… S’établissant pour de bon dans son cher château d’Arenenberg, Hortense de Beauharnais rédige ses mémoires de 1831 à 1835, avant de s’éteindre doucement, dans les bras de son fils adoré, le 5 octobre 1837, avec la conviction que son garçon restaurera un jour la dynastie réprouvée.

Reposant près de sa mère, à Rueil-Malmaison, la mère du second empereur de France aura accompli son devoir : restaurer au nom qu’elle porte la dignité qui lui fut accordée par son fondateur, rendant ainsi justice au précepte formulé par celui-ci : « L’avenir d’un enfant est l’œuvre de sa mère ».

Pétronille de Lestrade

Pétronille de Lestrade

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