Retirée dans une petite place au coeur du centre ville de Vienne, nichée derrière un Zara et un marchand de bonbons, une petite église à la façade orange surprend les passants. Habitués au palais de la Hofburg et au château de Schönbrunn, ceux-ci oublient de visiter la Crypte des Capucins. Fondée en 1620 et abritant cent quarante neuf sépultures de la dynastie Habsbourg , elle reste ce haut lieu du monde d’hier.
Son emplacement au coeur du centre ville très commercial de Vienne dénote avec son architecture classique, son historicité et sa sacralité. Les gens se pressent et affluent dans le quartier mais la crypte impose un silence, un respect certain. Billet pris, la visite commence. Une fois que la porte principale ait été traversée, suit une longue pièce dans laquelle sont placées une vingtaine de tombes grises. La plupart d’entres elles sont richement agrémentées de gravures et de détails sombres qui, au touché, témoignent d’une main d’oeuvre remarquable. Les petites sépultures d’enfants princiers ou impériaux morts en bas-âge surprennent et rappellent la mortalité infantile dans les siècles passés. Après le parcours de cette vaste pièce dans laquelle dort à tout jamais l’empereur Matthias et bien d’autres, on franchit la plus belle partie de la crypte. Elle est dédiée à l’impératrice Marie-Thérèse (1717 -1780) et à ses proches. Le gigantesque tombeau de l’impératrice émerveille les pupilles. Y est gravée la scène du couronnement; y sont sculptées des têtes de mort. La sublime voute de style rococo représentant l’au-delà suscite admiration et contemplation. Ornée de dorures, elle dénote avec l’austérité et l’atmosphère morbide de la crypte. Au côté de Marie-Thérèse, repose son défunt mari l’empereur Francois Ier de Lorraine. Sa tombe, plus modeste et plus petite, embellit et magnifie celle de sa femme. L’autre pièce regroupe les sépultures d’autres Habsbourg dont celle de Maximilien, frère de François-Joseph, dernier empereur du Mexique. A ses pieds est posé un sombrero, témoignant de la postérité de ce Habsbourg malgré le désastreux Second empire du Mexique.
Dernier lieu des héros de l’empire
Franchir les deux dernières pièces, c’est pèleriner vers le mythe Habsbourgeois. Les grands de cette dynastie y reposent: François-Joseph, Sissi, Rodolphe.Le tombeau de François-Joseph, surélevé, s’impose et triomphe. A la gauche de celui-ci se trouve le tombeau de son fils Rodolphe, à sa droite celui de son épouse Elisabeth de Wittelsbach, dite Sissi. On observe, on touche, on sent l’odeur des bougies se consumant. On écrit aussi. Plusieurs lettres et dessins embellissent la sépulture de l’impératrice farouche. Les déclarations d’amour, les prières, les chapelets laissent penser que le temps s’est bel est bien arrêté et que la fascination pour Sissi demeure . La tombe de l’impératrice Zita ne reste pas inaperçue malgré la place considérable qu’occupe Elisabeth dans les mémoires collectives. Zita, la discrète et la bienheureuse, est sujette aux dévotions: chapelets, bougies et médaillons décorent sa dernière maison; elle qui descendante de la maison Bourbon a renoué avec la chaîne du temps en épousant un habsbourg.
Un lieu où l’étonnement se mêle à l’émotion
Avant de franchir les murs de la bâtisse, le visiteur réduit la crypte à une visite parmi d’autres, un extra entre la Hofburg et le Belvédère. Pourtant, la simplicité et l’émotion émanant de cet endroit suscite un étonnement et un intérêt certain. Le baroque, la sobriété, les allusions à la mort – qui sont omniprésentes- surprennent et amènent à la réflexion suivante: que l’on soit empereur ou simple sujet nous sommes tous égaux face à la mort. Visiter la crypte c’est visiter le monde d’hier. Celui des empereurs et des impératrices qui ont façonné pendant dix siècles un empire qui, bien que puissant, ne sut pas résister aux velléités d’un Frédéric de Prusse ambitieux , aux conquêtes napoléoniennes et à la Grande Guerre. En quittant la crypte, les pages du Monde d’hier reviennent à l’esprit: «C’est toujours dans les lieux où il devient essentiel à la vie de tout un peuple que l’art atteint son apogée». Dès lors, la pensée de Stefan Zweig devient limpide.